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Au temps jadis

Enregistrements à la Sorbonne le 3 juillet 1927 - M. Emile Violet, vigneron à Clessé (Saône et Loire)

Dans le temps

J'ai entendu dère bien des coeups, à ma grand, quemeint lus vieux éreint malreux. Dans çu teimps on manjut du cheti pein prœ pouvò vendre le bllié ; on fosait de la galette de cartouchlles qu'ère sarrée quemeint on gôzon, même on avait essàyé de fare moudre de les creuses de calons pr'en fare de la férœne.

La sau ère se chi qu'on l'achetut à tièchon, en contrebande, et qu'on la tièchut dans des pœrtus de meureilles, deri lu meublles, de poeu des gapieins. Le seucre ère se rare qu'on n'en beillut qu'ès malèdes et p' es fannes en tieuches.

Y n'y ave point d'allemœt'es, on gardut le fùye le sò sous les chllious et pe, le matin, pœr le rampri, on se srevut de chœvnous trempés dans le seufre. Y n'ère pas rare d'allé vé on voisin pœr queri du fùye, on appourtut on petion de braise, dans n'on sabout, qu'on betut su de l'amadou.

Pœr se leumé, on soulait avò des creusùyes, y ne fosait pas bien chllié et preteint on ère à la vellie des dix, douze lantou ; les fan-nes que felieint éreint en chllian du fûye, les hoummes que tri-i-yeint des ambres ou bin que bieu-eu-yieint éreint deri.


Dans çu teimps, on soulait brissi bien fâ la veille, tant qu'à minet des cœups. Prœ felé y ère la même chouse ; les joeunes fan-nes nouvallemeint mariées deveint fare tout lou leinge dave lou couneille ; y ère l'habitude d'avò je ne sais combin de douzain-nes de chemises de grousse tôle, et y ère zalles que felieint tout.

Pœr les nouces, autrevò ; on dansut dans ne greinge. On menut de la vieille (sic) et pœ de la fête-rouge ; lus menétris éreint su le treu, en chllian de zôs, y avait la chandòle que srevut à leumé toute la greinge. Lus magnats de la nouce tirieint des coeups de pistoulet de teus lus chllians, y ère l'habitude. La couteume ère ari que les magnats des autres pâys vegnieint éssâyé de tùyé le fùye, on se coulletut, on se tregouissut, les fan-nes avieint poeu. Y n'ére pas rare de vò de les nouces quoi on ère on cent, même mâ ; y ère du monde de la famille que srevieint, dave des bounnœ de net blliancs.

On étaujut bien mâ que voure : après les moissons on lliœnut dans les frét’ius, surtout les an-nées que le bllié ère leuné, cheti, ou bin qu'y avait du charbeuchlle, ou bin oncoure qu'y vegniait de les grands sti-i-yes, que tout p' tefenut, qu'y n'y avait du foin negonlûye ; celés an-nées itié on fosait mangi la paille és bêtes tant qu'à la derire beuche, et pœ, p'les étarni, on allut à la fioeuge dans lus boeus.

L'hivé, surtout, on vivait mau ; on manjut des rèves, des tieudres ; pr'étaugi, on n'amprut point de fùye à mîde : quand y avait de la nœge, après que lus z'hoummes avieint fait la chala sous les valouches, on marandut à l'étraublle dave des graufes d'entrequîlle ; on manjut juste on bœllion de pein pr'achever, dave ne petiète sacô de fremage.

Quand les cartouchlles n'éreint pas leunées, que le n'avieint pas blliouqué, peurri dans tarre, on les manjut dave on petion de sau daveu, en les pllieumant dave son t'iut'iau. On n'achetut du bon pas ma de doeu coeups dans eun'an ; on ousut d poin-ne touchi és ûyes ; du vin on en bevait l’été, mais I'hivé on l'étaujut dave du rôpi qu'ère souvent ésse plliat que de l’adye : y ne déssàyut d'ière.

Eune grande gourmandise, y ère du pelé, ou bin de les poeus de panœ, mais on n'en fosait pas souvent. On ère foeu pre les fretôles ; même, ne vò, ion de mes grands, qu'ère on petion racapin, manjut de les reutîlles de sau : vous pensez bin qu'y n'ère d'ière sade !...


On pout dère qu'al éreint encres dans çu teimps et pe que le travau ne les épantut pas, mais lus poures vieux avieint lus oeus tourdus, al éreint tout affoulés, agremiaulés, al avieint la plliau tanie, reguœrnie, requinquelliounée quemeint la pllieumoeure des vîyes ceupes : y ère à foeusse de s'épeuilli du grand matin, d'allé dézandé u travau, de pioeuchi, de bèssé, d'affét'yi, de pourté la bauchoule, de mau vivre et de se t'ieuchi talé, repelé teus lus sòs.

Les fan-nes n'avieint d'ière le teimps de pâné, ni d'euvri lous croisées dans lous mosons basses, ni de ramouéssi lous cadettes que sieintieint le rechlliou : le traveillieint presque autant que lus z'hoummes, l'éreint à la vœgne quand zaux ; le pourtieint lous petièts su lous têtes dans lou greu que le betieint, en n'haut, sous ne tête d'ambre.


Y ne fosait pas bon s'écouané dans çu teimps, les fan-nes n'avieint d'ière le teimps de réd'ié, pre fare la bûye; y ère la même chouse ; le ne pouvieint pas souvent touchi à ne chausses, ni à on gremissiau, ni se seté : on repoeussut tout pre l'hivé.


Et preteint, môgré toutes lous misères, le monde de çu teimps éreint èsse d'iais que celés de voure ; je crorais même qu'a n'éreint pas se souvent en bœzvœlle, qu'al éreint pe possiants, on pouvait les chlliacbourné sans qu'a parlieint de fri : al éreint quemeint le vin de çu teimps, on, en fosait moins que voure, mais al ère p't'être bin malliou...

Au temps jadis

J'ai entendu dire bien des fois à ma grand-mère, comment les vieux étaient malheureux. Dans ce temps on mangeait du chétif (mauvais) pain pour pouvoir vendre le blé ; on faisait de la galette de pommes-de-terre qui était serrée comme une motte de terre, même on avait essayé de faire moudre des coquilles de noix pour en faire de la farine.

Le sel était si cher qu'on l'achetait en cachette, en contrebande, et qu'on le cachait dans des trous des murailles, derrière les meubles, de peur des agents du fisc. Le sucre était si rare qu'on n'en baillait (donnait) qu'aux malades et puis aux femmes en couches.

Il n'y avait point d'allumettes, on gardait le feu le soir sous les cendres et puis, le matin, pour le rallumer, on se servait de chénevottes trempées dans le soufre [fondu]. Il n'était pas rare d'aller chez un voisin pour chercher du feu, on apportait un peu de braise, dans un sabot, qu'on mettait sur de l'amadou.

Pour s'éclairer, on avait coutume d'avoir des croiseuls (anciennes lampes à huile), cela ne faisait pas bien clair et pourtant on était à la veillée des dix, douze autour ; les femmes qui filaient étaient à côté du feu (de la lumière), les hommes qui triaient des osiers ou bien qui teillaient étaient derrière.

Dans ce temps, on avait coutume de peigner le chanvre bien tard la veillée, jusqu'à minuit, des fois. Pour filer c'était la même chose ; les jeunes femmes nouvellement mariées devaient faire tout leur linge avec leur quenouille ; c'était l'habitude d'avoir je ne sais combien de douzaines de chemises de grosse toile, et c'étaient elles-mêmes qui filaient tout.

Pour les noces, autrefois, on dansait dans une grange. On jouait de la vielle et puis de la cornemuse ; les ménétriers étaient sur le treuil (pressoir), à côté d'eux, il y avait la chandelle qui servait à éclairer toute la grange. Les jeunes gens de la noce tiraient des coups de pistolet de tous les côtés, c'était l'habitude. La coutume était aussi que les jeunes gens des autres communes venaient essayer d'éteindre le feu (la lumière), on se colletait, on luttait bruyamment, les femmes avaient peur. Il n'était pas rare de voir des noces où on était un cent, même davantage ; c'était des gens de la famille qui servaient à table, avec des bonnets de nuit blancs.

On épargnait bien plus que maintenant : après la moisson on glanait dans les chaumes, surtout les années où le blé était avorté, chétif, ou bien qu'il y avait du charbon [sur les épis], ou bien encore qu'il venait de grandes sécheresses, que tout périssait, qu'il n'y avait du foin nulle part ; ces années-là on faisait manger la paille au bétail jusqu'au dernier brin, et ensuite, pour faire la litière, on allait couper de la fougère dans les bois.

L'hiver surtout, on se nourrissait mal ; on mangeait des raves, des courges ; pour économiser, on n'allumait pas de feu à midi : quand il y avait de la neige, après que les hommes avaient fait la chalée (sentier dans la neige) sous les flocons, on déjeunait dans l'étable avec des gaufres de sarrazin ; on mangeait juste un morceau de pain pour achever, avec un petit morceau de fromage.

Quand les pommes-de-terre n'étaient pas trop chétives, qu'elles ne s'étaient pas gâtées, pourries dans terre, on les mangeait avec un peu de sel avec, en les pelant avec son couteau. On n'achetait de la viande pas plus de deux fois dans un an ; on osait à peine toucher aux œufs ; du vin on en buvait l'été, mais l'hiver on l'économisait avec du râpé (piquette) qui était souvent aussi plat que de l'eau : cela ne désaltérait guère.

Une grande gourmandise, c'était du riz au lait, ou bien de la bouillie de maïs, mais on n'en faisait pas souvent. On était fort pour les croûtons frottés d'ail ; même, une fois, un de mes grands-pères, qui était un peu [trop] économe, mangeait des rôties (tartines) de sel : vous pensez bien que ce n'était guère sucré !...

On peut dire qu'ils étaient ardents à l'ouvrage dans ce temps et puis que le travail ne les épouvantait pas, mais les pauvres vieux avaient les os tordus, ils étaient tout courbaturés, recroquevillés, ils avaient la peau flétrie, plissée, chagrinée comme l'écorce des vieux ceps : c'était à force de se lever de grand matin, d'aller rapidement au travail, de piocher, de bêcher, de briser les mottes, de porter la hotte à terre, de mal vivre et de se coucher endolori, brisé tous les soirs.

Les femmes n'avaient guère le temps de paner (essuyer les meubles), ni d'ouvrir leurs croisées dans leurs logements du rez-de-chaussée, ni de balayer leurs carrelages de pierre qui sentaient le reclus (renfermé) : elles travaillaient presque autant que les hommes, elles étaient à la vigne en même temps qu'eux ; elles portaient leurs jeunes enfants sur leurs têtes dans leur berceau qu'elles plaçaient ensuite en haut de la vigne, sous un pied d'osier.

Il ne faisait pas bon se déchirer dans ce temps, les femmes n'avaient guère le temps de raccommoder, pour faire la buée (lessive), c'était la même chose ; elles ne pouvaient pas souvent toucher à un bas [pour tricoter], ni à une pelote de fil [pour coudre], ni s'asseoir [pour se reposer] : on repoussait tout pour l'hiver.

Et pourtant, malgré toutes leurs misères, les gens de ce temps étaient aussi gais que ceux de maintenant ; je croirais même qu'ils n'étaient pas si souvent en bisbille, qu'ils étaient, plus patients ; on pouvait les taquiner sans qu'ils parlent de férir (donner des coups) : ils étaient comme le vin de ce temps, on en faisait moins que maintenant, mais il était peut-être bien meilleur...


Source : Gallica - Au temps jadis



Calendrier

Calendrier traditionnel

Calendrier traditionnel
Calendrier traditionnel
Ce diagramme, valable pour la région niverno-morvandelle,
a été dressé pour l'année 1951, année où Pâques se trouve à l'équinoxe.



Noël



Les Douze jours ou Petits Mois

De Noël jusqu'à l'épiphanie s'écoule une période de douze jours bien caractérisée qu'on appelait les Petits Mois parce que, assurait-on, le temps qu'il faisait chaque jour, du 25 décembre au 5 janvier, préfigurait le temps qui dominera au cours de chacun des douze mois de l'année.



Le Jour de l'An

La veille au soir, le petit monde mettait souliers et sabots sous le manteau de la cheminée, attendant les cadeaux du Père Janvier. Le lendemain matin ils trouvaient pipes et « soldats en sucre, chats, lapins, petits Jésus bleus ou blancs soit dans des collerettes de papier découpé soit dans des boîtes en carton », tout ce que l'étalage de l'épicière du bourg pouvait présenter. Pour les plus pauvres, c'était une paire de chaussettes ou de mitaines que la grand-mère tricotait , au vu et au sus de tout le monde, depuis la veillée de Noël, celà n'empêchait pas l'émerveillement ! Le père, lorsqu'il joignait ses sabots à ceux de ses enfants, les trouvait garnis d'une pomme de terre, d'une carotte ou d'un oignon, ce qui déclenchait les rires.
Joyeux, battant des mains, les enfants, par petits groupes, se rendaient chez les parents et voisins pour souhaiter :

« Bonne année, bonne santé
et le paradis à la fin de vos jours »

alors que les jeunes gens hurlaient :
« La boune an-née des canes,
l' bec dans l'iau, l' cul dans la marde »

à toute personne rencontrée.

Rendant visite aux gens aisés, gazous et gazilles glanaient sous, dragées ou fruits, surtout les garçons, s'ils étaient matinaux, puisque ce jour de l'An il fallait que le premier bonjour soit donné par une personne de sexe masculin pour porter bonheur.
Naguère, aux environs de Luzy, fermiers, métayers et ouvriers agricoles offraient un chapon à leur propriétaire ou à leur patron. Ils étaient retenus à déjeuner et copieusement abreuvés.
Les voisins se souhaitaient la bonne-année et se payaient réciproquement la goutte tout en parlant de leurs bestiaux et de leurs récoltes. De bon matin les hommes avaient fait boire les bêtes à cornes afin qu'elles bénéficient de la première eau ; ils n'avaient pas manqué, vers Corbigny de fouetter la servante de la charrette pour faire venir du beau froment et avaient, à Fléty, trait eux-mêmes les vaches pour avoir du lait toute l'année.
Si beaucoup bibaient un œuf cru, ce qui les gardait de toute maladie, les femmes du Bazois songeaient à la lessive qu'elles devaient faire les premiers jours de l'année « pour avoir des poulets de bonne heure ».



Epiphanie - Le Jour des Rois

épiphanie ! jour de liesses que fêtaient les échevins de Nevers en buvant l'hypocras (ancienne boisson à base de vin, sucrée au miel et aromatisée) qui leur était offert, que fêtaient Nivernais et Morvandiaux en levant gravement le coude, mouillant le gosier pour faire couler le gâteau traditionnel.
Et pour les Rois nul ne se serait avisé de travailler, voire de filer la quenouille. Cette dernière interdiction était illustrée à Planchot, commune de Planchez, par l'histoire de cette vieille qui, au petit jour, n'avait pas encore abandonné sa besogne : un cheval parut à sa porte qui lui dit « Femme, les rois sont ...» ; à quoi répondit la vieille « Rois ou non, faut qu' je finisse mon étoupon », ce qui ne lui porta pas chance.

Dans la région de Clamecy, la quête, accompagnée de chants, était faite par les enfants. A Fâchin, sud de Château-Chinon, les jeunes filles se réunissaient et s'en allaient quèter, de porte en porte, en chantant une complainte :

Ils l'ont fait boire de la suie et du vinaigre.
Tu m'as fait comme le traître de Judas
Tu m'paieras ça Judas.
Tu m'paieras ça Judas.

Tourte aux pommes de terre
Les ménagères, même les plus pauvres, préparaient le gâteau des Rois qui était, une galette - sorte de brioche très serrée en pâte - ou des grapiaux dans la région de Châteaux Chinon, une tourte de blé noir ou de pommes de terre rapées à Frétoy, des gaufres en Amognes, des couronnes de brioche ailleurs. Et dans chaque gâteau était mis, en guise de fève, une noisette ou un haricot.

L'après-midi se tiraient les Rois en famille ou avec les voisins, suivant un scénario immuable : Après avoir coupé le gâteau, la maitresse s'adressait au plus jeune caché sous la table. A la question : Phoebe Domine, pour la première part il répondait : Pour Dieu ! faisant ainsi mettre de côté la part du pauvre. Il désignait ensuite les bénéficiaires de chacun des morceaux, gardant le dernier pour lui. La fève faisait le Roi ou la Reine, et ou celui-là de choisir aussi un partenaire. C'était alors de bruyants : Le Roi boit ! et : La Reine boit ! Ceux qui omettaient de saluer ainsi les souverains éphémères devaient payer à boire et étaient, en Morvan, barbouillés de suie.
Le Roi offrait du vin à ses sujets d'un jour et faisait une ronde avec sa Reine ; cette dernière était, en Amognes tenue d'inviter son Roi et les jeunes gens à un goûter qui avait lieu le dimanche suivant. En Morvan, l'enfant auquel on devait sa couronne était pris pour page.
Dans la soirée, les enfants et les jeunesses « râpaient la pierre du feu », y plaçaient des feuilles de buis que la chaleur faisait tourner ; les petits voyaient là un signe de réussite pour leurs entreprises et les filles l'assurance de trouver un bon mari (Vauclaix, Rémilly, Frétoy).

Buis
Les feuilles de buis

Emission de radio du 21 janvier 1999
Le calendrier traditionnel - Michel Salesse
N° inventaire Mpo : 3193


La Chandeleur et la Saint-Blaise

Ah ! la Chandeleur, fête des chandelles. Encore une fête de la flamme et de la lumière, fête païenne entre toutes, mais on avait soin de faire bénir les chandelles et les bougies de la maisonnée.
En Morvan, à la messe de la Chandeleuse, on faisait brûler un cierge à ce pauvre saint Joseph, un peu oublié dans tout ça, mais c'était pour qu'il garde les « mouches » (les abeilles) de la loque et des « effreumis » (fourmis).

Vers Château-Chinon et Villapourçon chacun emportait la cire de ses abeilles chez un voisin possédant un moule et qui faisait des cierges d'environ 1 mètre de long. En Morvan, comme en Bas-Pays, les chandelles étaient bénies par le prêtre, avant la messe, et conservées dans les familles pour être allumées en cas d'orage ou lors de l'agonie d'un proche. Dans ce cas, le cierge servait à signer le défunt et il l'accompagnait jusqu'au cimetière, tenu par une bonne femme préposée à ce rôle.
A la messe étaient déposés sur l'autel écheveaux de fil, argent, oeufs ou grains pour obtenir un meilleur rendement des semences.

Aussitôt après la cérémonie, à Frétoy, on réveillait les abeilles de bon matin, on enlevait la cape de paille et l'on priait auprès des ruches.
Un mets cérémoniel existait qui figure encore sur la table des paysans du Nivernais et du Morvan, les crêpes, qui donnent à la Purification le nom de Bonne-Dame-Crêpière. Ces crêpes n'étaient autre, en Morvan, que les lourds grâpiaux que l'on faisait sauter pour porter bonheur à la maisonnée : la fille à marier se chargeait de tourner la première crêpe pour, en cas de réussite, trouver rapidement l'époux de ses rêves, une telle coutume étant en corrélation avec la croyance au mariage des oiseaux en ce 2 février.
S'il était, en général, interdit de laver le jour de la Chandeleur, on se gardait de coudre, dans la région de Fours pour protéger les enfants contre toutes brûlures.

Quant aux dictons du jour, ils se rapportaient tant aux prévisions météorologiques qu'aux veillées. C'est ainsi que les laboureurs du Morvan assuraient qu'

Ai laivoueille de lai Chand'leur
L'hiver pass' vou reprend rigueur.

De plus, la sagesse populaire prétendait que
S'il pleut sur la chandelle
Il pleut sur la javelle.

exprimant ainsi la croyance en la prédominance du temps de la Chandeleur jusqu'au moment des foins, ce qu'affirmaient d'autres dictons plus nuancés :

Si le soulei luzarne,
l'hivar ne s'rai pas parti aivant 40 zors.

(si le soleil se montre et se cache alternativement, l'hiver durera quarante jours de plus)
et
Il ne faut pas que le soleil beurleuze
sinon la pluie tombera pendant quarante jours

La Chandeleur, enfin, annonçait la mort des veillées qui avaient débuté à la Saint-Martin et se terminaient vers Carnaval (Mardi-gras) :

La Chandeleur
Coupe le cou aux veilleurs.
Carnaval
Les avale.

Le lendemain, jour de la Saint Blaise, les fermières faisaient offrandes au curé pour la santé du bétail.



Carnaval et Carême

« V'là les gâs qu'courrent Carnaval, les cheins n'jappant pas paireil. »

Cair'mentran : Syncope de Carême-entrant pour Carême-prenant. On appelle ainsi les trois jours qui précédent le mercredi des Cendres.

Cairnâval : Carnaval, masque, personne masquée ou déguisée. S'habiller en « cair-nâval », se déguiser, se couvrir de vêtements ridicules ou effrayants. Nous disons « cairnâvals » pour des masques, des figures grotesques.

Le temps de Carnaval arrivait avec les "Jours-Gras" précédant le premier dimanche de Carême et se poursuivait jusqu'à la veille des Rameaux.
En général, les masques ne faisaient leur apparition aux veillées qu'à partir du Dimanche gras et, bien qu'on les rencontre jusqu'aux Brandons vers Saint-Benin-d'Azy et jusqu'à la Mi-Carême à La Fermeté, ils cessaient le soir du Mardi gras ou, au plus tard, le Mercredi des Cendres, marquant ainsi la période appelée Cairamentrant ou Cairmentrant (carême entrant) et annonçant la fin des veillées :

Pour Carnaval
On jette les veillées sous la table.
La bonne Vieille les ramasse
Et les conduit jusqu'à Pâques


Mercredi des cendres

Mais si Mardi-Gras était bien le jour du triomphe pour Carnaval, le lendemain, mercredi des cendres, consacrait sa déchéance et son calvaire. Comme pour la veille, chaque village avait ses coutumes particulières, fidèlement respectées chaque année.
On ne manquait pas de railler ceux qui avaient fêté Carnaval, en chantant ironiquement, à leur approche, ce vieux dicton :

Jugement de Carnaval

Le jugement de Carnaval,
interprété par "Les Enfants du Morvan"
lors de l'Estivade 2005 à Dijon (21)
Pansou, pansouair
Te n'és pas chu soûl qu'au souair
Pansou, pansouair !...
Pansou et son péjoratif pansouair qui, d'ordinaire, indiquent un individu à gros ventre sont synonymes ici de gourmand et d'ivrogne : Gourmand, ivrogne, tu n'es pas aussi saoûl aujourd'hui que ces jours derniers.

Dès l'aube de ce mercredi fatal, des hommes masqués et munis de lanternes lancés à la recherche du héros de la veille, parcouraient les rues, furetant dans tous les recoins, sous les porches et jusque dans les cave où ils trouvaient toujours quelque chose à boire.
Quand finalement on le découvrait c'était un attroupement général du village. Carnaval, toujours promené par les rues, était alors conduit en cortège funèbre où toutes les fantaisies étaient de mise, jusqu'au lieu du jugement. Arrivés sur une place du village, Carnaval était jugé ; non seulement, bouc émissaire, il était chargé de tous les maux et rendu responsable des malandres ayant assailli bêtes et gens, mais encore il servait de prétexte à l'évocation des petits scandales de l'année écoulée :

« Carnaval, dit le premier, n'est-ce pas toi que j'ai rencontré un jour de foire, vautré dans un fossé ?
- Oh ! non, répond l'autre, ce n'est pas lui, c'est le père Lazare.
- Carnaval, n'est-ce pas toi qui as volé les lapins de ma voisine ?
- Que nenni ! réplique le défenseur, tout le monde dit que c'est Untel
- Carnaval, n'est-ce pas toi que l'on a vu, à minuit, sortir de chez une jeune veuve ?
- Mais non, vous savez bien que c'est le grand Louis... »

C'est au milieu des rires, francs ou jaunes, que Carnaval était condamné à être brûlé ou noyé.

Carnaval condamné à être brûlé

Le cortège reformé, on menait le grand mannequin, soit à un bûcher préparé avec soin depuis les veilles des Jours Gras, soit au bord d'un étang ou d'une rivière, où il était jeté et noyé. Le tout dans un charivari de cris, instruments, chansons, rondes et danses qui durait toute la nuit. Parfois même, les divertissements, excès de table et libations, se poursuivaient jusqu'au Dimanche de Carême, premier des quarante jours d'un régime et d'une vie plus astères.
A Quarré-les-Tombes, c'est un homme masqué que l'on condamnait au bûcher après un semblable jugement ; un mannequin était substitué au joyeux drille copieusement abreuvé pour l'exécution par le feu le soir du mardi gras.

A partir des années 1880, avec l'enracinement de la République et la restauration des libertés fondamentales, le Carnaval au village peut exprimer à nouveau sa verve satirique publiquement, mais non sans garde-fous. C'est souvent dans le cadre d'une organisation municipale ou communale formelle, telle que le comité des fêtes, ou non, tels que les petits comités temporaires d'habitants, qu'il se ranime, avant que la Grande Guerre ne le renvoie en hibernation. Mais il demeure prétexte à liquider les rancunes, à exprimer les oppositions et les contestations. Le mannequin de Carnaval reste donc le support des contestations, tolérées dès lors qu'elles ne portent pas directement atteinte aux lois et à l'ordre établi.

En 1898, par exemple, alors qu'Emile Zola vient de publier "J'accuse", les antidreyfusards de Luzy confectionnent un mannequin figurant l'écrivain puis, après l'avoir promené dans les rues, l'incinèrent et en dispersent cendres et débris dans la rivière où il dérive " [...] pour venir enfin se heurter aux piliers des cabinets d'aisance du champ de foire. Le défenseur de Dreyfus, se trouvant dans son élément, refusa d'aller plus loin", conclut avec un malin plaisir l'antidreyfusard Journal du Morvan (Numéro du 5 Mars 1898 ; Emile Zola vient de publier "J'accuse", à la une du journal l'Aurore.)



Fête des Brandons - Le 1er dimanche de Carême

Borde : Grand feu qu'on allume dans les champs et principalement sur les hauteurs le premier dimanche de Carême. Faire une « borde », allumer une « borde », brûler une « borde », toutes ces locutions sous-entendent un feu très nourri et flambant.

Borde

Dimanche des Bordes, des Brandons, des Bures, les trois termes renfermaient la même idée d'un feu de branchages, de fagots, de bruyères, allumé le premier dimanche de Carême. D'anciens rituels appellent cette journée solennelle « Dominica de lignis orditis », ou en français, dimanche du Bohordis, nom qui traduit littéralement le latin par bois ourdis c'est-à -dire mis en lignes, ou en tas échafaudés

Le premier dimanche de Carême, les feux de brandons s'allument dans le Morvan en l'honneur des jeunes mariées de l'année, puisque non seulement ceux-ci, presque partout, avaient le privilège, voire l'obligation, d'allumer le feu mais que la borde favorisait les mariages. A Villapourçon et Château-Chinon, à Prémery et dans la région de Saint-Saulge l'honneur d'enflammer le bûcher était réservé à la dernière mariée, alors qu'à Frétoy on s'en remettait « au premier homme marié de l'année » et à Glux au plus ancien de la maison.

C'est ce soir-là qu'on brûle toutes les ronces, épines et broussailles, provenant de l'élagage des haies car tous les cultivateurs doivent avoir terminé de « plaisser » leurs haies.. Il y a une sorte d'émulation et l'on est très fier d'avoir le feu le plus gros, celui qui dure le plus longtemps et qui se voit de plus loin. Plus le feu est gros, plus on est considéré comme un bon cultivateur.
Tout ce bois n'est là qu'un aliment pour le feu qui devait atteindre et à demi consumer un baliveau, fiché au milieu du bûcher : mai traditionnel !
Ce qu'était ce mai ? Une simple perche à Sangué, commune de Lurcy ; un baliveau ébranché à tête enrubannée vers Saulieu, surmonté d'un botte de paille ou de foin à Dun-les-Places, d'un gros bouquet de houx vers Château-Chinon... A la confection les jeunes gens s'affairaient, à moins que la coutume veuille que les derniers mariés en aient la charge ou que le premier jeune marié de l'année conduise le bois.

Des chants, des cris joyeux s'élevaient alors que montait la flamme et des rondes - « adieu à la danse jusqu'à Pâques » - entraînaient enfants et jeunes gens.

On attendait que soit atteint le baliveau et surtout ce qui le couronnait. A Villapourçon et Château-Chinon, si la flamme ne s'élevait pas jusqu'au bouquet de houx surmontant le baliveau, la jeune fille à marier en l'honneur de laquelle ses compagnes avaient fait dresser le mai n'avait aucune chance de se marier dans l'année. On disait à Lurcy que le baliveau « tombait sur le plus cornard » et, vers Saulieu, lorsque brûlé en pied il se couchait, il était pris et porté par les jeunes gens jusqu'à la plus proche maison se trouvant dans la direction qu'il indiquait : les habitants se devaient d'abreuver les porteurs et leur suite.

A Quarré-les-Tombes, on allume des feux appelés "bourdes", au milieu desquels on a planté une perche ornée d'un bouquet et d'un ruban. Les jeunes gens dansent autour en tenant à la main une poignée de glui enflammé. Quand la flamme atteint à la hauteur du bouquet, le plus hardi s'élance et arrache la perche, qui est portée au dernier marié de la Commune. Celui-ci donne une bonne main aux jeunes gens qui promènent ensuite le bouquet dans le pays en quêtant. Cet usage s'étend à une grande partie du Morvan.

Petits et grands à l'assaut des braises
Petits et grands à l'assaut des braises
Angela LUPERINI-SDAEZ

Dès qu'il ne restait plus du feu qu'un brasier incandescent on "croyait" (sautait) la borde. Les jeunes gas candidats au mariage retroussaient la blouse et mettaient la "culotte dans les bottes". A tour de rôle, chacun d'eux s'exerçait à franchir d'un seul bond l'énorme foyer. Malheur au maladroit qui ne réussissait qu'à demi, ou dont les talons seuls écrasaient les derniers charbons brûlants. Il était hué et accablé de quolibets. C'était, de plus, un fort mauvais présage : sa fiancée l'abandonnera, ou tout au moins le trahira. Il s'agissait parfois des derniers mariés, hommes et femmes, qui désiraient un enfant.
Dans la région de Glux, où la borde était allumée dans l'ouche où l'on faisait le chanvre, on dansait autour pour "avoir du beau chande", comme cela se faisait encore en 1885 à Saint-Honoré-les-Bains.

Un dernier rite marquait le jour des Brandons : La consommation des beignets. Ces beignets étaient, en général, fournis, par les mariés de l'année ou tous ceux qui avaient changé de logements dans l'année.

On croyait que le vent qui souffle le "jour des Bordes" serait le vent dominant durant toute l'année, croyance consacrée du reste par un dicton :

Le pus fort vent du jor des Bordes,
Le pus souvent, tote l'an-née déborde.

Le Carême

Qu'on n'aille pas croire que le Carême n'était occasion qu'à des pratiques païennes, magiques, druidiques, mélangées, déformées ou substituées aux pratiques religieuses. Le jeûne, imposé par l'Eglise, était impérieux et péremptoire. Nul n'y échappait, sauf les très grands vieillards, à qui on tolérait un jeûne modéré, mais qu'ils refusaient souvent, et les enfants jusqu'à six ans, « âge de raison ».
A partir de six ans et un jour, on jeûnait comme un grand et on « tenait le coup » même si l'estomac protestait. Et jeûner n'était pas une plaisanterie.
Le matin donc, à la place de la soupe de potée, avec un morceau de lard froid et de fromage, c'était une soupe maigre, au pain. Soupe « à la lirette » (Quand l'eau bout, elle est faite). On jetait simplement une petite cuiller de crème dans l'eau bouillante et on trempait le pain. A vrai dire, une bonne demi-livre de pain pour une écuelle, pour « tenir la tripe ».
Si les labours étaient durs : on avait la « soupe à l'huile », qui était une soupe aux légumes, où prédominait le chou-rave, « graissée » à l'huile de navette ou de colza. Une cuillerée pour quatre ou cinq personnes. Les commis l'appelaient la « soupe borgne », car « il lui manquait au moins un oeil ».
A midi, pas de viande. Les légumes étaient accommodés à l'huile, ce qui, pour des mangeurs de saindoux, est une punition terrible, et infamante.
Certaines maîtresses de maison refusaient même de servir des oeufs, car les oeufs, c'est bien de la « carne » (de la chair, donc un produit animal) et le temps de Carême est bien un temps de « carne-n'avale ».

Commune de Fretoy - 1883

Chez nos populations, ce temps de mortification a bien perdu de son ancienne austérité. Jadis, beaucoup de personnes jeûnaient les cloches, c'est-à -dire tout le temps que Jésus-Christ est resté au tombeau, depuis le vendredi saint, à midi, jusqu'au dimanche matin. On disait aussi que pendant ce deuil de l'église, parce que les cloches ne sonnent pas, elles allaient à Rome à confesse. On ne jeûne plus guère que le Vendredi-Saint, et encore !
Il en est de même des jours gras et des jours maigres. Cette observance n'existe plus dans beaucoup de maisons.



Rameau de buis

Pâques fleuries - Ses rameaux, ses coutumes

Le dimanche qui précède Pâques est appelé "Pâques-fleuries" ou "Pâques-buis" parce qu'aux buis bénis on mêle des bouquets des premières fleurs des champs. C'est la première fête du printemps.

Dans toutes les églises sont bénis de simples rameaux de buis qui étaient décorés de dragées, pralines ou autres sucreries. Dès la sortie de la messe on s'empressait d'orner de buis bénit les croix des cimetières, les ruches et les étables. Le buis bénit protégeait maisons et cultures de la foudre et de la grêle, c'est pourquoi on en gardait quelques brins pour asperger la maison en cas d'orage et on oubliait pas d'en ficher un rameau en terre dans chaque champ. C'est avec un rameau qu'on donnait - et que l'on donne encore - l'eau bénite aux morts ; les vivants, confiants dans son pouvoir protecteur, en portaient un brin au chapeau.

    Le Vent des Rameaux

    Une croyance à peu près générale concernait le Vent des Rameaux et, particulièrement, celui qui soufflait, pendant la messe, au moment de l'élévation (Saint-Benin-d'Azy) ou de la procession (Fours, Villapourçon, Château-Chinon). Il se trouvait toujours quelqu'un pour observer le coq du clocher puisque le vent du jour devait dominer pendant les trois-quarts de l'année.

    Les vents d'Ouest et du Sud-Ouest amènent la pluie. Il suffit pour s'en convaincre de voir, dans le Haut-Morvan, les pignons des bâtiments exposés à l'Ouest revêtus de bardeaux ou d'esseaux en châtaignier pour les protéger de l'humidité. Le vent du Sud-Est est chaud et sec ; ceux du Nord et du Nord-Est amène le froid, la grêle et souvent la gelée.

    C'est le jour des Rameaux, au moment de la procession du matin, que les vents se livrent bataille pour décider lequel dominera toute l'année. Aujourd'hui encore, bien des vieillards regardent le coq du clocher, au moment où le prêtre heurte les portes, pour savoir qui l'emportera de galerne ou solaire, de bise ou drévent.

      Drévent (ou dravent ; pour dret vent, droit vent) est le vent d'ouest.
      Solaire (ou soulaire, soulare) est le vent du midi, du sud-est ou du soleil levant, selon les localités.
      Bise (ou hie) est le vent du nord-est, quelquefois du nord.
      Galerne, qui se dit plutôt galarme, galarne, a un sens différent suivant les pays de la province. Le mot vient du bas-breton gwalarn, nord ou est. Sur nos côtes, la galerne est le vent du nord-ouest. C'est aussi le sens dans une partie du Nivernais (région de Varzy, vallée de la Nièvre, Lurcy-le-Bourg, région de Pougues-les-Eaux, Chaulgnes, Varennes-les-Nevers, etc.). Les cultivateurs redoutent le vent de galerne. « Galarme, mauvais gendarme », disent-ils en maint endroit, ou encore :

    Soulard et drévent
    Sont deux bons enfants.
    La bige et galarme
    Deux mouvas gendarmes.

    C'est le vent qui amène les pluies glacées, les giboulées de grêle, de grésil, et fait geler la vigne.

    Galarne,
    Tue sa femme.
    La bie
    L'enser'lit.
    Dravant
    La mène à l'enterr'ment
    Et soulaire
    La met en terre.

    « Le vent ne passe jamais de bise en galarme par le Nord, mais fait toujours le tour par soulaire et drévent... Galarme est mauvais. Mais les jardiniers redoutent tout autant soulaire qui grille les fleurs des arbres fruitiers, des pommiers en particulier, qui n'ont guère à redouter les gelées en raison de leur floraison tardive. »
    A Livry le vent de galarme est le vent humide de la pluie qui s'oppose au vent desséchant de soulare (est). Et il en est de même en Morvan et dans de nombreuses localités du Nivernais, où galarme est le vent du sud-ouest, ou du sud-sud-ouest.
    « Le vent est en galarme, on va avoir de l'eau ! » dit-on à Entrains où les vieillards connaisent encore la formulette de Coucelles citée plus haut, avec la variante finale :

    « ... Dravent
    S'en va pleurant
    Et soulaire
    La mène en terre. »

    Ajoutons que les bateliers de Loire appelaient la rive droite « le cousté de la galerne » et, par opposition, disaient « en mer » pour désigner la rive gauche.


Semaine Sainte

La Semaine Sainte était marquée par des interdictions quasi générales comme celle concernant la lessive qui, cependant, se limitait à Vauclaix au jeudi, vendredi et samedi-Saint, comme à chaque semaine des Quatre-Temps. En Morvan on ne filait pas à la quenouille les trois jours précédant Pâques, sous peine de se percer la main "comme les Juifs l'ont percée à Jésus Christ".
Bien que ce ne fût pas un vrai jour chomé,on n'entreprenait rien et l'on ne terminait que ce qui eût souffert d'être "laissé en chantier".


Lundi de Pâques

Note de l'abbé Jean Leboeuf, relative au Prisio du lundi de Pâques.

Ce jour-là , à Nevers, et en quelques autres villes ligériennes, non citées, « on capturait les ecclésiastiques paraissant en public, ou bien on les surprenait dans leur lit, de bon matin, dans les maisons proches de l'église, et on les conduisait, nus au besoin, à l'église où on les plaçait sur l'autel pour les asperger d'eau bénite ». Selon l'abbé Leboeuf, ces Prisio, ces saisies au lit, « exprimaient la crainte des laïcs de voir les vignes et les arbres fruitiers gelés pendant que les prêtres dormaient au lieu de faire des prières ou des processions matutinales. »
Mercure de France - mai 1735



Les Rogations

Procession des Rogations

Au matin des trois jours qui précèdent l'Ascension, le curé faisait une procession dans la campagne, toutes bannières dehors, pour demander à Dieu la protection des récoltes et la perfection des travaux de fouâchïon (fauchaison) le premier jour, de moichon (moisson) le deuxième jour, et de menoinze (vendange) le troisième dans les pays de vignes et dans le Morvan qui en est dépourvu, la méniyon, c'est-à -dire les récoltes d'arrière-saison, avoines, blé noir et légumes des champs.

Airgardez ben l'temps des Rogations
Le premir zor çai s'rai l'temps d'lai fouessillon
Le deuxième zor le temps d'lai mouchon
Le troisième zor le temps d'lemblévation.

La puissance divine ne protège que les récoltes de ceux qui assistent aux prières, chaque famille a, donc, grand soin de s'y faire représenter au moins par un de ses membres.

La procession, avec le curé, le marguillier et les enfants de chœur en tête, défilait à travers champs par les vieux chemins, et s'arrêtait aux croix des carrefours au pied desquelles, parfois, les habitants avaient déposé du beurre, des œufs, des gâteaux de miel. La messe du matin était dite devant l'une de ces croix. Le marguillier rassemblait les offrandes dans un grand panier qu'un enfant de chœur lui aidait à porter au retour. Il arrivait que certaines tournées fussent longues et la procession était coupée par un repas pris en plein champ ou offert traditionnellement par un propriétaire aisé ou un châtelain de l'endroit au prêtre et à ses servants.

On tirait des présages du temps qu'il faisait durant ces trois jours, et selon qu'il faisait beau ou pleuvait le premier, le second ou le troisième jour, la fauchaison, la moisson ou les vendanges devaient être sèches ou mouillées.



Le mois de Mai

Le premier mai, à la fontaine de Saint-Jacques de Saulieu, l'eau bue à l'aurore vous préservera toute l'année de la fièvre.
In'se marie en mai que les fous et les égarés.

La quête des pâtres ou la Reine de Mai

La pratique des quêtes chantées au premier mai avec une reine habillée de feuillage avait complètement disparu avant la fin du XVIIe siècle. En quelques localités (Challuy, Lurcy, région de Fours), les pâtres se réunissaient encore sur une chaume ou dans un champ le premier dimanche de mai pour faire la Miance, c'est-à -dire consommer en commun les offrandes de leurs maîtres, oeufs, salé, galette, vin.

Les bergers, les porchers et les pâtres célébraient encore la Miance selon les traditions venues du fond des âges. Le matin du premier mai, ces jeunes gens réunis désignaient un des leurs comme Reine de Mai, le vêtaient dune robe de feuillage où s'entrelaçaient le plus souvent des branches de genêt fleuri et des rejets de noisetier, l'armaient d'une longue tige verte de coudrier ou d'églantier. La Reine de Mai ainsi parée et son cortège allaient dans les villages et les fermes en faisant résonner la campagne de cris joyeux et de chansons qui annonçaient le retour du joli mois de mai. La petite troupe s'arrêtait devant le seuil de chaque maison et chantait à plein, voix un ou plusieurs couplets de quête dont l'air n'a malheureusement pas été noté :

Porchère

O vous, le maîtr' de la maison,
Je vous en prie, levez-vous donc.
Prenez le grand couteau long,
Coupez large et coupez long.
C'est pour moi, mes compagnons,
Pour fêter à la ville
Le joli, joli mois de mai.
Sortez de votr', sommeil,
Apportez-nous le mai.

O la maîtress' de la maison,
Je vous en prie, levez-vous donc.
Cherchez dans votre corbillon
Quint' seize oeufs apportez donc.
C'est pour moi, etc...

Le grand garçon de la maison,
Je vous en prie, levez-vous donc.
Prenez le grand' pichet rond,
A la cav' descendez donc.
C'est pour moi, etc...

Vous la grand' fill' de la maison,
Je vous en prie, levez-vous donc
Sortez et nous danserons.
C'est pour moi, etc...

Un des garçons portait un grand panier pour recevoir les offrandes, des oeufs le plus souvent, du lard quelquefois, ou un gâteau de miel, et chez les plus pauvres une poignée de fruits, noix, pruneaux. Puis les jeunes gens se réunissaient sur une chaume ou bien au bord d'une fontaine pour faire avec leurs provisions le repas de la miance qu'on appelait le berlot.
A. Millien, qui fut dans son enfance et son âge mûr le témoin de ces pratiques séculaires, les a décrites dans un de ses plus jolis morceaux, La Quête des Pâtres, dont tous les petits Nivernais devraient savoir quelques strophes. Nous en citons trois des plus caractéristiques.

La quête des pâtres ou la Reine de Mai

Sous un ample manteau tissé de brins de saule,
De branches de bouleau, de jets de noisetier,
Le plus jeune d'entre eux disparaît tout entier ;
De la Reine de Mai c'est lui qui tient le rôle
Dans ce long vêtement de verdure enfermé,
Lentement il agite une flexible gaule...
Le mai, le mai ! donnez le mai !

Or, tandis qu'ils s'en vont ainsi de porte en porte,
Entrant dans le logis qui leur fait bon accueil
Ou groupés en joyeux tumulte près du seuil,
Quand s'emplit le panier, que le plus âgé porte,
Des oeufs frais, du lard rosé et du miel parfumé,
Présent de la grand-mère ou de la fille accorte,
Le mai, le mai ! donnez le mai !

Et lorsqu'ils font ensuite, au bord de la fontaine,
Des dons qu'ils ont reçus un régal en plein air,
Dansent, mélant les sons de flûte au rire clair,
En mon esprit s'évoque une époque lointaine
Et d'un vieux culte mort, un instant ranimé,
Passe devant mes yeux une image incertaine.
Le mai, le mai ! donnez le mai !

Dans certaines localités, ces manifestations du premier mai présentaient un caractère particulier.


Le mai aux filles

Le mai aux filles - photo-montage

En Morvan, la nuit du premier mai, les amoureux, dans quelques villages encore, ont coutume de « planter un mai » à la porte des jeunes filles du pays.

Probablement avait-il invité la fille à la danserie et lui avait parlé. Ils avaient sans doute sauté ensemble par-dessus le brasier du premier dimanche de Carême (La borde), certainement même il avait obtenu d'elle des entrevues et les deux amoureux étaient d'accord. Mais il fallait ritualiser et alors le jeune homme plantait un "mai".
Un beau baliveau de charme, au nom flatteur, qu'il ornait de rubans ou de bouquets, et qu'il fixait solidement à la maison de la fille. Mais un vrai "mai", c'est-à -dire un baliveau de belle taille, de dix ans environ, planté dans le sol, arrimé fortement au pignon de la maison, et, si possible, attaché au balcon ou au volet de la chambre de la jeune fille, alors que les "mais" ordinaires, plantés par le groupe des jeunes, étaient sommairement installés, à la diable.

L'explication de tout ceci est que le jeune homme voulait montrer au monde qu'il tenait si fort à la fille qu'il était capable de faire un tour de force et d'adresse pour le prouver.
On répétait de bouche à oreille les prouesses extraordinaires qu'avait faites celui-ci ou celui-là , bravant les chiens, le vertige et même le fusil du vieux, pour afficher devant le village ses intentions matrimoniales.
Les plus amoureux, ou les plus forts, n'hésitaient pas à monter sans bruit le baliveau jusqu'à la faîtière et à l'enfiler dans la cheminée jusqu'à ce que le pied posât sur la dalle de l'âtre.
Il était même fréquent, que l'arbre choisi fût si volumineux et si lourd que l'on renonçât à l'extraire de la cheminée et alors il restait là , se desséchant auprès du feu, léché par les flammes, "sauré" par la fumée, le panache de ses branches faîtières dépassant de la souche, comme pour montrer fièrement que là , dans cette maison, il y avait belle fille, ardemment désirée.
Un jour, en hiver, au cours d'une flambée, le mai prenait feu comme une torche et mettait le feu-ronflant dans la cheminée, ce qui n'inquiétait personne, car c'était la façon la plus courante de ramoner. Le lendemain, on passait dans le conduit un "rachon" d'épine, et il se trouvait propre comme un sou neuf.

Dans le Morvan du pays de Saulieu et à Vic-sous-Thil, le 1er mai, avant le jour, chaque galant mettait à la porte de sa belle une branche d'arbre ornée de fleurs et de rubans. A Vic-sous-Thil, le dimanche suivant, à la fête de Thil, la jeune fille rencontre le garçon : on danse ensemble sous les tilleuls, et le cavalier ramène la jeune fille chez elle ; les parents l'invitent à diner en famille ce qu'on appelle "reconnaître le mai".

Quelquefois, c'étaient des groupes de jeunes gens qui plaçaient les mais et ils venaient voir les familles le soir pour recevoir des oeufs (Morvan) ou un verre de vin (Nivernais). Souvent, c'est un jeune homme qui faisait ainsi sa cour.
Aux maisons des jeunes filles qu'on voulait critiquer, on mettait des objets variés d'un caractère désobligeant : épines, chardons, houx en la plupart des pays (Morvan, Fours, vaux d'Yonne, etc...), ou bien un homme de paille costumé (Bazois, vallée de la Nièvre), des orties (Saint-Parize), un paquet de poireaux, d'oignons ou de raves attachés par une guenille au chiffon de la porte (Tracy), ou bien même on éclaboussait la porte d'ordures (Courcelle).
La coutume du mai aux jeunes filles, encore vivace en 1914, ne survit plus que çà et là . M. Emile Bouchetard nous écrit de Sauzay, commune de Corvol¬l'Orgueilleux, que cette année encore (1946), les jeunes gens ont posé des mais sur les cheminées de telle et telle jeune fille du village et sont venus les retirer le soir pour avoir un verre de vin. « Dans la nuit, ajoute-t-il, ils s'étaient emparés de tous les instruments agricoles qui n'étaient pas rentrés et les avaient conduits à l'abreuvoir; au matin, il y avait ainsi à la rivière un gros rouleau de fer, une charrette, une voiture à bras, une brouette, etc...»

Le mai

Le premier matin de mai, est une surprise pour chaque jeune fille :
surprise heureuse pour celle qui trouvait :

surprise moins heureuse avec :


Aux filles réputées pour mener une vie dissolue, on mettait une botte de paille (qui habituellement, sert à faire la litière des animaux dans les étables).
Cependant il arrivait qu'une jeune fille, honorée d'une branche de Charme ou de Bouleau, voit ses parents se lever de bon matin pour retirer le "Mai". C'est que le jeune homme, qui s'était ainsi déclaré, n'avait pas l'agrément de la famille, et voyait ses avances repoussées.

Un arbre qui posait problème d'interprétation : le cerisier! En fleurs c'était une déclaration d'amour. Sans fleur, une allusion à la facilité à grimper sur un cerisier (?). Quelle offrande !
Pour les mais gracieux, les garçons osaient se présenter dans les jours qui suivaient pour se laisser offrir le verre de bienvenue. Pour les autres, plus désobligeants, inutile de préciser qu'ils restaient anonymes, bien que, souvent, la jeune fille ait une idée de sa provenance.


Le mai sur le fumier

Moins poétique que la pose du mai aux maisons des jeunes filles, mais tout aussi répandue, était la coutume du mai planté sur le fumier.
A Frétoy, vers 1880, la veille du premier mai au soir, tous les enfants et un certain nombre d'hommes se rendaient au bois avec une serpe dans la poche, et on taillait, on coupait dans les grandes propriétés forestières de l'Etat ou des châtelains et étrangers. « Ce jour-là , dans la commune de Frétoy, on coupe plus de deux cents baliveaux.»
La même pratique se retrouvait dans tout le Morvan.

Et le matin du premier mai, avant jour, on plantait sur le fumier un hêtre bien droit, lui aussi couronné de fleurs et de rubans, parfois orné d'une croix attachée avec un ruban rouge ou bleu qui n'a d'autre mission que de protéger la chaumière de la foudre en servant de paratonnerre, moyen souvent plus dangereux qu'efficace, et dit-on aussi, d'éloigner les serpents des étables.

Les raisons invoquées pour justifier cette pratique variaient suivant les pays : empêcher les sorciers de prendre la graisse du fumier (Amognes, vallée de la Nièvre, région de Brinon), en écarter les « bêtes venimeuses » ou les empêcher d'y faire leur nid (Morvan, Bazois), protéger les animaux domestiques de la piqûre des « bêtes venimeuses» ou des «mauvaises mouches » (Tracy), empêcher les « tie-vache » (gros crapaud) de sucer le lait des vaches (vieille femme de Tracy), éviter la mortalité du bétail (Saint-Loup en Puisaye).


Le beurre de mai et l'oing

Le beurre de mai était ainsi appelé parce qu'on le battait le premier mai. On lui attribuait de merveilleuses propriétés thérapeutiques. C'était un remède de choix contre les douleurs, les furoncles, les plaies. On l'utilisait, paraît-il, avec le même succès dans le traitement des maladies du bétail et, tout particulièrement, contre les maladies des mamelles et les blessures des pieds.

Ce beurre une fois fait, était roulé en grosse boulette et collé à la principale poutre de l'unique pièce de la maison, où on le laissait rancir. Voulait-on l'utiliser ?... on grattait légèrement sa surface, puis on prélevait dans la masse la quantité dont on avait besoin. Plus tard, on le conserva d'une façon moins primitive en l'enfermant dans une vessie de cochon.
Ce beurre est ensorcelé ; car si celui qui l'a fait prononce ces paroles « Mon Dieu, je renonce au démon et au péché ! », le beurre ne se tiendra collé nulle part.

La graisse de porc, fondue et non salée, puis conservée d'une façon analogue, sous le nom de oing, était employée aussi pour soigner les plaies, les contusions et toutes les lésions inflammatoires.


Rosée de mai

Puie d'avril et rousée d'mai
Valont mieux que l'chayot du roué.

La rosée du premier mai, en particulier, passait pour avoir une vertu singulière. Dans le Morvan, avant soleil levé, on en frottait le pis des vaches et des chèvres pour qu'elles aient du lait toute l'année et, entre les deux dernières guerres, bien des personnes âgées suivaient encore cette pratique que les jeunes commençaient à tourner en dérision. M. de Chambure dit que c'était la coutume à Moulins-Engilbert d'aller "prendre la rosée" le premier mai.

On se levait à la piquote du jour, et on allait pieds nus faire une promenade sentimentale dans la prairie voisine, toute ruisselante des pleurs de l'aurore. Cet exercice matinal guérissait entre autres les maladies de peau.

Les jeunes filles, en particulier, ne se bornaient pas à aller avant soleil levé pieds nus dans l'herbe humide pour éviter malandres et éruptions, mais mouillaient leur mouchoir de rosée pour s'en baigner le visage et avoir le teint frais. On prétendait aussi que cette rosée effaçait les pioles ou taches de son.

On lâchait les bœufs dans les embouches le matin du premier mai avant soleil levé pour que la rosée fortifie leurs membres.

Enfin, on étendait sur la rosée de mai le chanvre prêt à être tissé pour le faire blanchir.


Le jour des crouéyottes

croisettes, croujottes, crouéyottes ou croûyottes

Le premier dimanche de mai, chacun apportait à la messe pour les faire bénir, des faisceaux de petites croix rustiques faites de simples baguettes de coudrier, ornées de quelques fleurettes ou de branches de buis, et liées ensemble. Elles étaient de dimensions égales, sauf celle de la chenevière qui était beaucoup plus longue. Ces croix s'appelaient des croisettes, croujottes,crouéyottes ou croûyottes. On les rapportait précieusement à la maison après l'office, et les jours suivants, on en plantait dans les chenevières et dans tous les champs ensemencés afin d'attirer la bénédiction divine sur la future récolte, et, en même temps la préserver de la grèle.

Dans la région de Château-Chinon, les croisettes étaient attachées en trois endroits par paquets de 7 ou de 9 ; deux ou trois baguettes seulement étaient fendues vers leur extrémité et portaient dans la fente un petit morceau de bois formant croix. Chaque paquet était surmonté d'un bouquet de fleurs des champs dites de la Sainte-Vierge (harbe è lè croûyotte).

Le pouvoir de ces croisettes ? Elles protégeaient de la grêle et du gel, appelaient la bénédiction de Dieu sur les récoltes, gardaient les héritages " des influences nuisibles de la terre et du ciel ", favorisaient la reproduction des abeilles. En Bazois, non seulement on mettait une croisette au milieu du rucher, ou sur la ruche unique, mais à l'intérieur même du panier étaient disposés deux morceaux de croisette bénite afin que les abeilles les utilisent comme charpente première pour confectionner leur gâteau de miel ; dans la même région, celui qui découvrait la croisette en fauchant " se faisait arroser " par le patron du domaine alors que, dans la région de Château-Chinon, il devait payer à boire aux autres faucheurs, ce qui l'incitait " à la glisser subrepticement "dans le secteur du faucheur voisin.

Les crouyottes

Il y a cinquante ou soixante-dix ans, presque toutes les familles mettaient des " crouyottes " dans leurs champs de grain pour les préserver de la grêle. Ne vous moquez pas ! Combien d'inventions ne sont pas plus capables d'arrêter la grêle, mais combien plus dangereuses ...

Je me souviens avec émotion de ce dimanche des " crouyottes " lorsque j'étais toute enfant, je crois le dimanche avant les Rogations. Mon père les faisait avec des jeunes tiges de noisetier le dimanche matin et on les portait bénir à la messe. Si l'après-midi il faisait beau, on allait en famille les porter dans les champs ; on en piquait une au beau milieu et, après une courte prière, on allait dans un autre champ.

Plus tard, tous les habitants se retrouvaient à l'entrée du village les hommes jouaient aux quilles, les enfants couraient sur la route et les femmes papotaient, pas d'autos pour déranger, quelquefois une voiture à âne dont le conducteur attendait patiemment qu'on lui ouvre le passage.

La moisson venue (pas de moissonneuses batteuses), on coupait à la faucille ou au ratelot. Plusieurs personnes conduisaient de front un " ordon " ; il ne fallait pas foncer pour essayer de trouver la " crouyotte ", car la première personne qui la voyait essayait de prendre le chapeau d'un autre pour la coiffer. La personne était à l'amende et payait à boire ou les chevaux de bois pour la fête patronale (St Barthélémy).

Les dernières " crouyottes " ont été plantées dans les années 1960-62 dans les hameaux de Montsauche.
J.D. - Montsauche - L'almanach du Morvan 1979 - Lai Pouèlée


Croyances diverses

- On cure les fontaines le dernier jour d'avril pour qu'elles recueillent l'eau du premier mai.
- Il ne faut pas semer pendant les Rogations : les pucerons dévoreraient la récolte.
- En mai, ne pas changer la paille des lits, ne pas faire la buie, ne pas déménager, quelqu'un mourrait dans l'année.
- Il ne faut pas se marier en mai, dit-on, mais les raisons invoquées ou les conséquences redoutées varient selon les pays :

    - C'est le mois de Marie (Nevers);
    - C'est le mois où sortent les marcauds* (Alligny, Moux);
    - C'est le mois où on mène les ânesses aux baudets (Glux);
    - L'un des deux époux mourrait prochainement (région de Luzy);
    - Les mariés n'auraient pas d'enfants (région de Fours);
    - On risque de se marier deux fois et le premier mariage prend tout le bonheur (Marzy).

* Marcau, maircau, marcou : chat mâle, matou



La Saint-Jean

Les feux de la Saint-Jean

La coutume devait être à peu près générale vers la fin du XVIe siècle puisque Nevers même avait son feu, allumé devant la cathédrale Saint-Cyr aux frais de la ville, par ordre des échevins et qu'il est certain que les villes furent les premières à abandonner de telles manifestations populaires.

Les feux de la Saint-Jean

Selon l'abbé Boutillier, érudit consciencieux au XIXème siècle, « en Morvan surtout, la veille de la Saint-Jean, tous les jeunes gens se réunissent et le soir allument sur les montagnes de véritables feux de joie que les curés bénissaient encore au commencement de ce siècle ». Et Desforges d'assurer, sans donner toutefois de précisions qu'en 1875 la coutume existait encore dans les campagnes, surtout dans le Morvan... chaque village avait le sien ».

Cependant Dupin aîné, qui publia en 1853 une étude sérieuse sur les mœurs des habitants du Morvan ne parle que des apports et des louées de la Saint Jean sans mentionner les feux ; il est vrai qu'il ne signale pas plus les bordes solidement établies cependant.

Nos enquêtes ont abouti à des négations nettes pour Villapourçon, Saint-Péreuse et Château-Chinon (non, de mémoire d'homme) alors que pour Ouroux, Mhère, Corancy et Planchez il s'agit de feux disparus dont on se souvient encore (cf. carte). Niés maintenant pour toute la région morvandelle, ils ne peuvent être affirmés que pour les Amognes et quelques localités voisines comme Decize et Coulanges-les-Nevers où la tradition fut renouée en 1949 : « les rondes et les chansons se succédèrent autour du brasier et quand il s'écroulera chacun voudra le franchir et emporter chez soi un charbon encore ardent » (« Journal du Centre » - 25 juin 1949).

Ainsi, en Morvan et dans les Vaux d'Yonne, les bordes seules ont subsisté comme feux traditionnels alors que vers l'ouest se sont maintenus les deux feux ; quant à l'Entre-Loire-et-Allier il ne connaissait plus, vers la fin du XIXe siècle, ni l'un, ni l'autre et la région de Neuvy-sur-Loire avait, comme seul feu annuel, le bûcher du mercredi des Cendres où était jeté le mannequin de Carnaval.

Coutume en régression, elle a, de plus, où elle subsiste, perdu l'un de ses principaux caractères : il n'est plus question du mât solidement planté, autour duquel les fagots étaient amassés, comme cela se faisait en 1589 à Nevers. En somme, il ne s'agît maintenant que d'un simple feu de joie autour duquel on danse, bien qu'à Thiernay, commune de La Fermeté les fagots sont encore collectés par les jeunes gens, le feu allumé par des jeunes fiancés et franchi à l'aide d'une perche.

Comme pour les Brandons, naguère les plus petits villages des communes où subsistait la coutume avaient leur feu particulier le soir du 23 juin ; le saut par-dessus les flammes était de rigueur «pour ne pas avoir de furoncles au derrière » (Asnois, Monticgny-aux-Amognes - doc. Millien) ou « pour faire mûrir les raisins » (Charenton, commune de Pouilly - doc. Millien). En Morvan, les jeunes mariés avaient le privilège d'allumer le feu mais aussi l'obligation, d'offrir des beignets. Les tisons étaient emportés par les assistants, dans un sabot, et précieusement conservés, car tant en Morvan qu'en Amognes, on ne se serait avisé de demander du feu le jour de la Saint-Jean-Baptiste «parce qu'on dit que celui qui donne du feu ce jour-là donne le bonheur de sa maison » (doc. Millien).

Ces quelques faits montrent bien le rapport existant avec Noël - saut du feu, furoncles - et Carnaval - beignets après le feu. Ajoutons qu'en Amognes les charbons du feu des Brandons étaient conservés pour allumer le bûcher de la Saint-Jean.
Jean Drouillet - Folklore du Nivernais et du Morvan



La louée

La louée vers 1886

Outre la fête patronale que dans chaque commune les habitants tiennent toujours à honneur de célébrer, il existe encore trois louées dans la région (apports) : une à Cercy pour la Saint-Pierre (29 juin), une à La Nocle pour la Saint Cyr (16 juin), une à Fours pour la Saint-Jean (24 juin).

Mais toutes ont perdu de leur importance et de leur charme, car ce qui surtout rendait pittoresques ces anciennes assemblées, c'était l'arrivée des nombreux domestiques venant offrir leurs services, parés des attributs de leur profession :

    Un fouet autour du cou pour les charretiers,
    Un épi de blé à la bouche ou au chapeau pour les moissonneurs (Ces ouvriers se louent pour la durée de la moisson seulement, on dit qu'ils font « leurs oeuvres ».),
    Un flocon de laine au chapeau pour les bergers,
    Une feuille de chêne pour les valets de ferme,
    Une plume de volaille pour les servantes,
    Une rose au corsage pour les femmes de chambre,
    Une feuille de laurier pour les cuisinières.
Sylvain COMMEAU. Directeur de l'Ecole de Mouësse


La louée de la Saint-Jean

Les louées de domestiques sont liées aux fêtes de la Saint-Jean dans de nombreuses localités nivernaises et morvandelles. Dupin ainé pouvait d'ailleurs écrire au milieu du XIXe siècle que :

Les domestiques se louent ordinairement aux apports de la Saint-Jean, époque à laquelle commencent les grands travaux, jusqu'à la Saint-Martin où ils sont terminés.

Les domestiques de ferme sont loués d'une Saint-Jean à l'autre ou de la Saint-Jean (24 juin) à la Saint-Martin (11 novembre). Les jours de louée sont les fêtes patronales : lundi de la Pentecôte, Trinité, Fête-Dieu, Saint-Jean et Saint-Pierre, selon les localités.

Les jeunes gens qui offraient leurs services plaçaient sur leur chapeau une feuille de noyer ou une feuille de tilleul ; les charretiers avait une ficelle nouée à la boutonnière de leur veste ou portaient un fouet sur leurs épaules, la verge pendant d'un côté de la poitrine, et la mèche de l'autre ; les laboureurs et les bouviers avaient une feuille d'arbre à la bouche ou sur leur chapeau ; les servantes tenaient à la main un bouquet de roses ou une fleur au corsage. A Moulins-Engilbert, le palefrenier garnissait son chapeau de paille et le bouvier de foin, alors que la cuisinière arborait une petite branche de laurier-thym ; à Fours, le moissonneur avait un épi de blé à la bouche ou au chapeau, le berger un flocon de laine à la casquette, le valet de ferme une feuille de chêne, la servante une plume de volaille, la femme de chambre une rose au corsage et la cuisinière une feuille de laurier comme à Moulins-Engilbert.

On discutait les prix et, le marché conclu, le patron donnait 5 francs d'arrhes au domestique retenu. Si ce dernier, réflexion faite ou renseignements pris, se dédisait, il devait rendre non seulement les arrhes, mais les doubler. Si le patron se rétractait, le domestique conservait les 5 francs reçus.

Dans le bas Morvan, les domestiques avaient droit, en plus des gages convenus, à des sabots (de une à huit paires, selon les conventions arrêtées) ; les servantes recevaient ordinairement deux livres de laine, avec lesquelles elles se tricotaient des bas. Les sabots étaient fabriqués à la ferme par des sabotiers ambulants ; la laine provenait de la tonte des moutons ; on la filait et on la teignait à la maison.


La louée quotidienne

Depuis le début du XIXe siècle, et jusqu'à la dernière guerre, au moment de la fenaison et de la moisson, les fermiers ou entrepreneurs allaient, chaque matin vers 4 heures, sur la place publique de la localité retenir les hommes de journée dont ils avaient besoin. On appelait cette louée quotidienne « la place ». Là se débattait le prix de la journée pour les faucheurs d'une part, pour les faneurs, les javeleurs ou les piocheurs d'autre part. Le plus haut salaire, s'il était donné à deux ouvriers, au moins, de chaque catégorie, déterminait le prix dû à tous ceux qui avaient été retenus la veille par les employeurs, ou qui étaient embauchés pour toute la campagne. Le prix officiel était enregistré par le garde-champêtre qui, moyennant 0 fr. 50, en délivrait des relevés, pour éviter les contestations.

Avant-guerre, les prix donnés aux faucheurs variaient entre 4 et 6 francs par jour. Ceux des faneurs, javeleurs ou piocheurs étaient ordinairement inférieures de 1 franc. L'ouvrier qui conduisait l'équipe et travaillait en tête des autres était désigné sous le nom de capitaine. Il était très fier de cette marque de confiance. On lui donnait 0 fr. 25 ou 0 fr. 50 par jour de plus qu'à ses compagnons. Il prenait souvent un malin plaisir à faire attraper, à ces derniers, une bonne « suée ».

Tous les ouvriers étaient nourris et généralement bien nourris ; ils avaient droit à une chopine de vin à midi et à une autre à 4 heures. Après le repas de midi, ils pouvaient faire peurgnière, comme on dit en Nivernais, c'est-à -dire faire la sieste pendant une heure. Mais ils travaillaient d'un soleil à l'autre.

Aux environs de Luzy, où les fermes étaient encore exploitées par des communautés taisibles, on prenait pour la fenaison et la moisson un ou deux journaliers, des hommes d'oeuvres, comme on les appelait, et on les conservait pendant toute la durée des grands travaux. On leur payait une somme forfaitaire de 120 francs et on leur fournissait le terrain nécessaire pour emblaver deux tonneaux de pommes de terre. Quelquefois, on les réglait en nature et on donnait à chacun de 30 à 35 doubles décalitres de blé.


La « loue » du Parc de Nevers

Les « Maries »

« P 'tit frée, tint don bin mon bâton qué fasse danser la Marie. »

Elles arrivent, vers huit heures du matin, en ce jour chaud de la Fête-Dieu, a la « loue » du Parc de Nevers, par les routes de Pougues, de Coulanges, d'Azy, d'Imphy, de Saint-Pierre, celles qui vont revendre pour un an leurs fatigues aux fermiers, celles qui font au petit jour jaillir à deux mains le lait blanc du pis des vaches, celles qui pétrissent la pâte de froment, qui enfournent et qui rangent sur les claies, longtemps avant que le citadin soit réveillé, le bon pain bis de chez nous, celles qui traînent par les champs, dans les paniers énormes, dans les « quadrains » étamés, les repas des faucheurs et des moissonneurs, celles qui ont souvent du coeur, de la santé toujours, les belles filles pauvres de notre riche Nivernais, les « Maries. »
Elles arrivent par deux, par trois. Elles ont leurs robes neuves qu'elles retroussent gentiment et marchent sur le gazon pour garantir leur unique jupon blanc, et sa dentelle à deux sous le mètre de la méchante poussière. Elles parlent peu ; mille pensées assiègent leurs cerveaux simples. Chez qui vont-elles tomber cette année ? Celle-ci avait une mauvaise maîtresse qui lui faisait la vie bien dure ; celle-là était au contraire choyée par sa fermière, qui ne la traitait pas comme une servante, mais comme l'enfant de la maison ; pourquoi la mère a-t-elle voulu lui faire quitter une aussi bonne place ? pour qu'elle gagne ailleurs une ou deux pistoles de plus ; elle en veut bien à ce grigou d'argent. Hélas ! ses parents sont presque misérables, et quatre pièces de cent sous leur donneront une quinzaine de paix et de joie. Une autre laisse dans le domaine où elle était le « boyer » Lazare qui l'aimait bien et qui lui a promis d'aller la voir n'importe où ; le « boyer » a de bonnes jambes ; elle sait bien que dix ou douze lieues ne l'effraieront pas, mais elle sait aussi que les gars oublient vite et que, si celle qui va la remplacer est jolie, le danger sera bien grand. Une autre chante, taquine ses compagnes, plante des fleurettes à toutes les boutonnières de son corsage, esquisse quelques pas de polka au milieu du chemin.
- Mon guieu qu't'es donc bin aise, ma Lise.
- Pour sûr. Té sais don pas qué l'maît' Claude est v'nu hier au soir mé louer à groûs' prix.
- Té vas au Perry ?
- Oui.
- Chançarde, j'y seus à présent ; ton boun'ami Pierre mène les ch'vaux là .
- Té l'as dit, ma belle. Et j'vas à Nevers rin qu'pour mé prom'ner, rin qu'pour valser tout mon saoul avec Pierre. C'est nout'darniée saison d'doumaines ; nous faut pûs qu'cent écus pour avoir l'argent d'nout'ménage. J'vons nous marier à l'aut' Saint-Jean.
- Chançarde, chançarde ! répète un peu tristement l'amie.
Lise est ravie ; elle arrondit les bras, se dandine sur la pointe des pieds.
- Et ioup' lon la ! ... et ioup' lon la !...

« P'tit frée, tint don bin mon bâton qué fasse danser la Marie. »

La « loue, » la foire aux servantes bat son plein. Fermiers et fermières examinent ... la marchandise ; les offres et les refus de pistoles se croisent. Telle maîtresse frisant la quarantaine et prenant de l'embonpoint, cherche la forte abatteuse d'ouvrage qui en fera pour deux. Telle autre, jalouse des bonnes, à tort ou à raison, veut à n'importe quel prix la plus laide de toutes. Quelques vieux garçons essaient de découvrir, parmi les mûres, la physionomie qui trahit le plus de ... complaisance ... - « Babet... un lait de poule ... et mon bonnet de nuit. »
Et bientôt les groupes s'éclaircissent. Maintenant tout au plaisir. Chacune a cherché des yeux et presque toujours rencontré son galant. On s'en va manger sur le pouce, boire une chopine ou deux, les mines s'allument, les langues sont aussi habiles ce soir qu'elles étaient paresseuses ce matin.
Les bals du Parc se remplissent : polkas, valses, quadrilles se succèdent sans interruption et sont toujours suivis du traditionnel double baiser. Sur les bancs, dans les coins, les mains trainent dans les mains, les projets, les confidences, les promesses, les serments s'échangent et... s'envolent. .. ironiques et légers parmi les feuilles et les lanternes vénitiennes, au son des vielles, des clarinettes et des musettes, comme se sont envolés ceux de l'an passé, et comme s'envoleront ceux de l'an prochain, ceux de la dernière loue qui précédera la fin du monde.

« Tint don bin mon bâton, p'tit frée, qué fasse danser la Marie. »

Et, dans neuf jours, le lendemain de Saint-Jean, les pauvres « Maries, » si pimpantes, si heureuses aujourd'hui sous les « parquets, » reprendront leurs habits courts, leurs petits bonnets et s'en iront par les chemins, portant sous le bras tout leur linge : deux ou trois jupes et camisoles, deux ou trois paires de bas, quatre ou cinq mouchoirs enveloppés dans un vieux rideau. Elles s'en iront vers les nouvelles fermes où les douze mois qui viennent vont s'écouler pour elles, s'écouler comment ?...Elles seront bien un peu inquiètes, un peu craintives avant d'entrer.
Et, le long des routes, elles songeront, le coeur gros, à cette Fête-Dieu, aux paroles trop belles de leurs amoureux. Ils passeront, lointains et comme plaintifs, cette fois, les cris des gars mêlés aux sons des vielles, des clarinettes et des musettes.

« P'tit frée ! ... P'tit frée ! ... tint don bin mon bâton qué fasse danser la Marie. »

Louis Mirault dit Fanchy



Les veillées

Départ pour la veillée

La Saint-Martin a passé ; la vie sera tout intérieure. Terminés les travaux des champs. Les jours sont courts et la soupe, mangée « à la chandelle » est vite avalée. C'est alors que commencent les veillées qui se poursuivront jusqu'à Carnaval, voire jusqu'à l'Annonciation, la Notre-Dame-de-Mars.

Ce qu'elles avaient de caractéristique ?
« Pendant qu'on teille le chanvre ou que besogne le frotteux venu de la Marche, de la Corrèze ou de la Creuse ; pendant que jeunes et vieux délirent* les noix ou tressent des paniers d'osier ; alors que quelque vieille se crispe à son rouet en fredonnant une chanson d'antan, que le bébé dort dans son berriée de bois, un joueur de panse inspiré fait entendre des airs anciens. Et puis un conteur en verve fait défiler devant son auditoire béat une séquelle de personnages légendaires avant d'aborder l'histoire terrifiante sur laquelle on se quittera.

    Délié : Prononcer délie (e sans accent). Peler, éplucher, décortiquer (verbe délier ?) Se disait notamment (et peut-être même exclusivement ?) de la préparation des noix, avant de presser les cerneaux dont on retirait l'enveloppe pour faire l'huile. Ce travail se faisait souvent à la veillée en famille. - Petit lexique du parler nivernais du val de Bargis

Dans les chaumières morvandelles à la tignasse de glui, alors que hurlent le vent et les loups, la veillée revêt un caractère plus mystérieux.
Des chansons s'élèvent et les galvachers, de retour au pays, ont bien des choses à dire. Mais les contes de sorciers, de dames blanches, ou de meneurs de loups font prime. La pièce, chichement éclairée par une lampe « nourrie avec l'huile de chénevis », se peuple de gnômes, de lutins, de loups-garous, de culards, fantômes des enfants morts avant le baptême. Et n'est-ce point le Malin que l'on voit danser au milieu du feu de chènevottes, semblant mener le Grand Sabbat ?

La veillée, c'est la vie intime de la maison ensevelie sous les ravouses* de neige ; c'est le triomphe du grand rêve intérieur de l'homme après les épanouissements de la belle saison »

    Revouse : amas de neige produit par le vent lorsqu'il souffle avec violence. en Morvandiau : ravousse, ravoûse, reviouse. Le glossaire du Morvan - De Chambure - 1878

Ces veillées, qui se faisaient entre voisins, où les jeunes gens, serrés les uns contre les autres échangeaient des promesses, où les vieux remâchaient leurs souvenirs ... ne sont plus, à leur tour, qu'un souvenir.

En teillant lai cheindre

L'souair ès voueillies
Voiqui l'pé Robin
Chité l'dos ai feu
Vé lai chem'née
Çantin, raicouintin
Maintes çanteries
Qu'en chœur reprenin
Tote lai teillerie.

Dihors le vent souguenillo c'ment l'djabe
Enteurmis lai saipings et las tôles de çâgnes
A nouegeo ded' peu san derompe lai neut
A z'entendin couailler lai choûes
Zaipper lai renairds heuler lai loups
A peu itou das aut' breuts
Que v'nin on ne saivin point d'où.

Lai p'tiots gars al alvin ben poûe
Du peut le « Mouva » qu' lareigno d'pairtout
Das leutings qu'marandin l'paing d'lai mai
D'lai vaudouieille juchée su son bailai
Que danso lai peurtentaine
Davou sai biaude de grouss' laingne.

Lai fonne du grou Tonin
Beurçot tenderment son nourrain
Le Touène teillo des meules de cheindre
En aut' aippointo las dents d'son raitiau
Pendiment qu'le gars Mairceling
Addoublo lai courrouées deu fléiau.

Ailors le pé Robin airdonno d'se taiser
A peu, ben lentement s'mettin ai raicointer
L'histouère marveillouse de lai fée Mélusine
Que tertous croyin vouer per daivou la cortines
Du grand lyit ai ridiaux ai fond de la cueûsine
Chou lâ solives sombres
A lai lueur falote
Que f'sin danser las ombres
D'eune vielle loupiote.

Madame Ravaud Adrienne - 71760 Issy-l'évêque


    Les piqueries

    Les "piqueries" se faisaient presque tous les samedis de novembre à mars, tantôt dans un village, tantôt dans un autre.

    Il fallait, lorsqu'on n'usait pas des services de la coudrète, coudre et tricoter. Ils ne chaumaient pas les "chizas" (ciseaux des couturières) et sur la cheminée se trouvait en permanence la pelotte à épingles, le "baudet" morvandiau. Qui se souvient de l'atiquet que les tricoteuses plaçaient sur leur poitrine et qui servait de point d'appui pour les aiguilles ? un rien, certes, ce petit corps dur, amande, noisette ou dent de porc, mais combien ingénieux.

    Certains travaux exigeaient une main-d'oeuvre spécialisée ou abondante : à la "coutrére" (couturière) la confection des chemises, des blouses et des caracos, au "coudré" (tailleur d'habits) le soin des paletots et des pantalons, et à tout un essaim de jeunes filles celui des couvertures. Et nous ne saurions parler des couvertures sans évoquer les piqueries d'hier dont la coutume, venant de la région d'Autun, s'étendit à Lucenay-l'Evêque, Moux, Planchez et, plus tard, à Ouroux.

    Départ pour la veillée

    La maîtresse de maison qui avait une ou plusieurs couvertures à faire convoquait une dizaine de jeunes filles des environs, voire une quinzaine. Le tissu (satinette de couleur différente pour le dessus et le dessous, ou satinette et cretonne), était tendu sur un cadre de bois placé sur des chaises ; la laine bien répartie, il ne restait plus qu'à piquer dessus et dessous, en suivant des dessins tracés à la craie : travail souvent exécuté au son de la musique. Tout était terminé le soir même. C'est alors qu'arrivaient les jeunes gens et l'on fêtait l'ouvrage en un joyeux bal qui durait une partie de la nuit.

      Roger Gauthey nous faire part de ses souvenirs concernant un évènement heureux de la vie d'un village d'autrefois de la région d'Etang Sur Arroux :
      Rares, dit-on, étaient autrefois les occasions de se donner du bon temps ! Pourtant nos Morvandiaux savaient profiter du moindre incident de la vie quotidienne pour se retrouver et se réjouir ensemble. D'ailleurs, en cette occasion, il ne s'agissait pas seulement de se divertir mais de respecter une coutume venue de très loin et chargée de signification.
      Chaque jeune fille atteignant l'âge de la puberté, commençait à se constituer, tant bien que mal, un trousseau. Mais le moment venu, lorsque le boulayeur, encore appelé « croque-avoine » ou « peût-homme », avait rempli son travail d'entremetteur et obtenu promesse de mariage des parents et de la jeune fille, on pensait à couvrir le lit des futurs mariés.

      quatre pièces de bois montées en rectangle
      Et un beau soir, on se réunissait pour « piquer la couvârte ». Dans la "carrée" pièce souvent unique de la maison, on montait le métier qui servait dans tout le village. Les quatre pièces de bois montées en rectangle sur des tréteaux et fixées ensemble par des chevilles.
      Alors savamment, les anciennes tendaient la première étoffe de dessous et les jeunes répartissaient la laine blanchie et longuement cardée sous l'œil attentif et critique de leurs aînées. On la recouvrait de l'étoffe de dessus, la plus belle qu'on avait pu s'offrir.
      De l’armoire, on sortait les « patrons » - le plus souvent en papier journal jauni par les ans et l'usage - où l’on reconnaissait des tracés faits de piqures d'épingles en forme de fleurs, festons ou arabesques.
      Ces patrons soigneusement disposés sur l’étoffe de dessus, on saupoudrait le papier de blanc de Troyes, et modèles enlevés, on voyait les pointillés blancs que les piqueuses devraient suivre patiemment.
      Au rythme des conversations, des plaisanteries et des rires, on piquait, envers - endroit, en réduisant progressivement le métier pour se retrouver toutes vers le milieu de l'ouvrage.
      C'est alors que les réjouissances commençaient et l'on dansait branles et rondes, plus tard bourrées et polkas. Bien sûr, les futurs époux, héros de la soirée, devaient subir les plaisanteries habituelles aux morvandiaux, que pouvait suggérer cette couvârte, œuvre de tout le village, symbole de leur prochaine union.
      Bulletin de liaison N° 63 du groupe folklorique « Les Enfants du Morvan » de Dijon (21) - 1985

    Anonyme : Voici une réjouissance que j'ai vu pratiquer, étant toute jeune au début du siècle.
    Souvent, les grosses couvertures du lit se faisaient à la maison, c'était comme un grand couvre-pied. On tendait une première étoffe sur un genre de métier, on mettait au milieu de la laine de mouton bien nettoyée et cardée et une deuxième étoffe souvent à fleurs par-dessus. Avec une ficelle trempée dans une bouillie de farine et d'eau, on traçait des losanges pardessus en laissant tomber la ficelle d'un coup sec. On invitait des jeunes filles du coin pour piquer cette couverture à la main, ce qui demandait la journée entière. Le soir, les garçons venaient avec les musiciens et on dansait tard dans la nuit.
    Ceci se pratiquait comme beaucoup de coutumes en Morvan, avant la guerre de 1914, qui a changé la façon de faire de beaucoup de choses.


    Chansons

    La Jouse Frisanon


    Odette Fossot - Danses et chants du Morvan - Arfolk SB 337

    Le ch'tit borgeaillon (Et youp)


    Bibi - N° inventaire : 1670 - Maison du patrimoine oral à Anost (71)

    Polka des gars de Jnas (La sauteriotte)


    Jeannot Gauthier - N° inventaire : 1670 - Maison du patrimoine oral à Anost (71)

    Mazurka de Massingy


    Roger Tellier - N° inventaire : 1670 - Maison du patrimoine oral à Anost (71)


    Contes et légendes

    Des récits de veillées.
    En ce temps-là , les vieux racontaient des histoires « pour passer le temps et empêcher de s'endormir ». Mais, « les autes fois », on ne restait cependant pas sans rien faire, comme aujourd'hui : les femmes filaient, alors que les hommes faisaient des paniers ou même battaient au fléau dans la grange ; la parole était le fait des vieux qui avaient acquis le droit de parler par leurs travaux d'antan ; on se méfie en effet de la parole : ceux qui parlent sont des feignants ou des « ouvre-gueule ».


    Le Morvan est aussi ce que l'on y ressent, ce qui s'y chuchote lors des veillées, ce qui fait détourner les regards lâches, ce qui se colporte dans les chaumières, pour s'échapper avec la brume, la fumée de l'âtre ou s'évanouir dans la nuit... ce qui fait frémir et rappelle ce coin perdu et pauvre, ce coin mal famé, dur et oublié...

    Les légendes du Morvan font aussi partie de notre patrimoine.
    Puissent ces pages et ces images (cliquez sur l'image) vous emmener loin, loin ... Alors vous serez du Morvan !

    Contes et légendes du Morvan

    Avec l'aimable autorisation de Sandra AMANI


      Ein tor de force... et de béte


      Conte dit par Hélène Déceneux vers 1983
      Ein tor de force... et de béte
      PDF : Patois et traduction

      Ce conte est tiré de « L'Ame du Morvan », la traduction française de ce texte a été réalisée par l'atelier patois d'Alligny-en-Morvan.


      La Pierre qui vire

      C'était les autres fois.
      Les grands bois des comtes de Chastellux résonnaient, la nuit tombée, du chant des loups qui hantaient ces lieux. Il n'y avait rien, alors, dans ces cantons que des taillis immenses jalonnés d'arbres immenses que les comtes gardaient pour les charpentes de leurs bâtiments.
      Là , coulait le Trinquelin descendu des hauteurs et qui chutait entre des roches et des souches qui le faisaient gronder en tonnerre. Et pourtant, les hommes y venaient le jour.
      Ils travaillaient à couper, scier, charrier, écorcer et affluaient des hameaux alentour pour repartir le soir, au brun du jour. Dès l'aube, les cris résonnaient et les appels aux bœufs retentissaient pour retrouver et appeler les bêtes qui passaient la nuit à brouter la pourotte des clairières.

      C'était un temps où le monastère des bénédictins de la Pierre-qui-Vire n'était pas encore construit. Bien bien avant, quand le pays sentait encore le païen.
      En revanche, la Pierre, elle, existait. Et depuis bien avant les choses d'avant. Et si on la disait vivante, c'est qu'elle pivotait sur son énorme socle.
      A ce qu'on en disait. Et les choses étaient précises.

      Il y avait, en effet, au hameau de Vaumarin, une chapelle ou une église dont la cloche tintait. Et, la nuit de Noël, la cloche égrenait ses douze coups d'airain qui se perdaient dans les frondaisons immenses.
      Au premier de ces coups, disait-on, la roche énorme s'ébranlait. Et, au fur et à mesure que les coups tapaient, la Pierre dévoilait un antre géant dont on racontait qu'il étincelait d'or et de pierreries. Mais, au douzième des coups, ce bloc reprenait lentement sa place pour un an.

      Mais, bien sûr, en cette nuit de Noël où chacun allait à la messe, personne ne s'était risqué à s'approcher de la Pierre pour voir ce que les autres racontaient.

      Or, un jour, les charretiers qui hantaient les lieux voulurent en avoir le coeur net. Ils regroupèrent leurs bœufs, couplèrent les chaînes, enfoncèrent les coins, ceinturèrent la roche, taillèrent des leviers, menèrent un train d'enfer toute une matinée et, quand tout fut prêt, les deux lignes d'attelées de dix paires de bœufs chacune, s'ébranlèrent à grands coups d'aiguillon ; les gars piquaient les bêtes au dos, aux reins, aux cuisses, les bœufs donnaient au joug, les mufles rasaient le sol en lâchant des filets d'écume et des sons sourds d'excitation et de nerfs. Les chaînes étaient ferrées à mort, les anneaux criaient sur le granit et les hommes hurlaient et juraient. Vraiment, la scène les surprenait eux-mêmes.

      Les boeufs donnaient au joug

      Mais la Pierre ne bougea pas.
      Ils auraient pu la desceller, sûr de sûr et vingt dieux de cent dieux ! Mais une force la retenait en place, défendant le trésor caché dans les entrailles.
      On s'y reprit deux fois, trois fois jusqu'à ce que les bêtes, rendues, commencèrent à se coucher dans les traits.

      Or au hameau de la Provenchère, dans une pauvre maison couverte d'une lèpre de chaume et de mousse. vivaient le Jean Pieuchot et la Nanette. Ils avaient un enfant de quelques mois qui ne marchait pas. Le Jean travaillait en journée à couper du bois pour les comtes, bois qui partait pour le flottage au moment des lâchures d'eau.

      Comme chez beaucoup, la misère guettait dans le logis et comme beaucoup, la Nanette avait été bercée par les histoires de cette pierre et de son trésor. Elle attendait donc, depuis plusieurs mois, la nuit de Noël. Son homme partit à la messe, elle prétexta la garde de son enfant pour demeurer chez elle. Elle le vit s'éloigner dans le noir et la neige avec son falot qui disparut dans les ténèbres.

      Elle enveloppe son petit

      Aussitôt elle enveloppe son petit dans un vieux châle, se passe une mante sur le dos, allume sa lanterne, bouche la porte et emmène l'enfant accroché à son épaule. La nuit était noire et le chemin mauvais mais la pauvre était guidée par l'espoir d'améliorer l'ordinaire et de quitter cette misère qui les tenaillait d'une année sur l'autre. Sa volonté, ce soir-là , était d'autant plus inébranlable qu'elle attendait ce moment depuis des mois déjà .

      Sans se perdre et sans s'émouvoir des bruits qu'elle entendait autour d'elle, la Nanette parvint au pied de la Roche imposante dont l'ombre la dominait de sa masse.
      Là , elle attendit. Le froid pinçait et son petit demanda le sein. Elle se blottit sous la pierre qui l'abrita du vent et elle patienta.

      Soudain, elle l'entendit. Un tintement, au loin, lui parvint. C'était l'heure. La roche, dans un sourd roulement, la bouscula un peu et elle s'en retira, affolée et à la fois pleine d' espoir.
      Bientôt, l'antre apparut à la faible lueur de sa lanterne. Les coups, lentement, se succédaient.
      Vite, elle pénétra dans la faille et sans retard, elle posa son petit sur un tas de ces pièces et pierreries qui lui donnaient un tournis inconnu.
      Quant aux coups de cloche, elle ne les comptait plus. Elle emplit une besace de pièces à pleines mains dans une précipitation fébrile. Et bientôt le roulement du rocher se refit entendre comme un foudre poussé sur les pavés de Quarré-les-Tombes.

      Vite, vite, elle se rue au dehors, trébuche, se reprend et tombe dans la neige, s'affalant sur sa besace qui dégorge ses pièces d'or. La lourde Pierre se tait et le silence reprend sa place dans ces bois désertés.
      Et l'enfant ! Son enfant ! Il est sous la pierre, elle l'y a oublié. Son cri déchire la nuit, la pauvre n'est plus elle, elle frappe le roc de ses poings mais là où les bœufs avaient échoué, comment, elle, aurait pu vaincre le monument ?

      Elle regagna le logis, abasourdie, prise de folie et quand le Jean revint, il la trouva dans un coin de la pièce, hagarde et échevelée.
      En voyant le sac à terre dégorgeant de pièces d'or, il comprit ce qu'elle avait fait. D'abord il s'en réjouit : un tel butin était inespéré. Mais l'absence du petit l'assaillit aussitôt et il tenta de faire parler la malheureuse.

      Le lendemain, avec d'autres, il alla au rocher. Le jour n'y changea rien et la Pierre ne bougea pas.
      Ils attendirent un an et l'Annette reprit courage.
      Le soir de Noël arriva, l'homme et la femme prirent le chemin du rocher avec autant d'espoir que d'angoisse. Retrouveraient-ils leur enfant ?

      Bientôt, à l'écoute du clocher lointain, ils entendirent le premier coup de minuit. La pierre roula sourdement, la faille apparut et la Nanette, suivie de son homme, se précipita dans la brèche avant qu'elle ne fût totalement dégagée.

      Au fond, assis là où l'avait laissé sa mère un an auparavant, l'enfant attendait calmement. La joie fut immense et les pauvres ne pensèrent pas au trésor qui les entourait. Ils regagnèrent la nuit, le chemin, la maison bien plus heureux qu'avec n'importe quel butin.

      Quant à la Pierre, il semble qu'à compter de cette nuit, elle se soit immobilisée. La cloche de Vaumarin ne tinte plus et les grands bois sont là qui veillent sur le Roc.
      Philippe Berte-Langereau


      La fontaine aux bœufs

      La fontaine aux bœufs

      Qui mieux que Saint Grégoire - dit "Le Grand" - était habilité à soigner la cocotte et autres sales denrées qui pouvaient s'abattre sur le bétail ? Peu de monde, en vérité, mis à part quelques "endev'deux" aux formules magiques et aux incantations sulfureuses.
      A vrai dire, c'est à la chapelle de ce saint guérisseur qu'on se rendait jadis pour exorciser la maladie de son bétail à cornes.
      Le 12 mars, force pèlerins allaient en procession sur les rives de la Romanée, invoquer Saint Grégoire en sa chapelle bâtie dans le nord des Morvans, près de Villeneuve-les Presles.
      En 1746, on vit ainsi plus de 10.000 pèlerins venir implorer le saint alors qu'une redoutable épizootie décimait bœufs et vaches.

      La fontaine aux bœufs
      Près de la chapelle se tient une modeste source dite « la Fontaine aux bœufs ». Autrefois, une niche y abritait la statuette de Saint Grégoire le Grand. Et une étrange histoire s'y rapporte.

      Un jour, un charretier des environs débardait du moule avec deux bœufs rouges de l'ancienne race d'ici. L'homme connaissait les attributions du Saint et l'avait déjà sollicité contre la maladie d'une bête. Mais ce jour-là , occupé à terminer une coupe, il passa plusieurs fois devant la statue sans se découvrir.
      On entendit l'angélus tinter au clocher de Villeneuve et les deux bœufs s'arrêtèrent devant le bon saint figé dans sa niche. Le charretier jura comme il se doit, piqua les bêtes, piétina son bonnet, s'en prit finalement au saint qui resta de marbre. Rien n'y fit, l'attelage ruminant demeura en place.
      - Ah! c'est ça ? dit-il, vous voulez que je salue le saint ? Attendez voir.
      Et hors de lui en voyant le jour s'éteindre alors qu'il avait un voyage à faire, il brandit son aiguillon, en piqua la statue en criant : - Allons, mon Grégoire, marche donc ! Et, repiquant ses bœufs, il leur intima une dernière fois l'ordre d'avancer. Mais les deux rouges, à l'instant, s'écroulèrent morts à ses pieds.
      Philippe Berte-Langereau - Illustrateur : Jean-Marc Stalner


      Les mille et une nuits du Léon de Villapourçon

      Versin originale
      Les mille et une nuits du Léon de Villapourçon
      Les mille et une nuits du Léon de Villapourçon

      La griffe du Diable

      C'est une roche haute de trois mètres et mesurant douze mètres de tour, tombée, on ne sait comment, en équilibre sur un socle. Elle porte dans ses flancs une large empreinte produite par des érosions naturelles et qui ressemble à une griffe colossale.
      A ses pieds, l'amoncellement des pierres donne l'impression d'un caméléon apocalyptique préposé à sa garde.
      Comment une pareille mise en scène n'inspirerait-elle pas la légende ? Et celle que l'on conte est si vieille, qu'elle est, depuis bien longtemps, reçue dans la tradition. Pour Uchon, c'est de l'histoire.
      L'action se perd dans la nuit des temps, mais on sait qu'elle se passait à l'époque lointaine où les habitants de Toulon avaient décidé de jeter, sur l'Arroux, un solide pont de pierre.
      On procédait alors à peu près comme aujourd'hui, et plusieurs concurrents briguaient l'adjudication des travaux. Or, si le prix proposé paraissait rémunérateur, les conditions étaient dures.L'une d'elles notamment, plus dangereuse, fixait, pour l'achèvement du pont, un délai trop court à dire d'experts. L'inexécution de cette dernière clause entrainait retenue de la moitié du paiement.
      Effrayés par ces exigences, les entrepreneurs d'alentour s'étaient retirés les uns après les autres, peu soucieux de risquer la ruine pour un gain peut-être illusoire.
      Un jour, survint à Toulon une sorte d'aventurier, maître maçon ambulant, comme il s'en trouvait au moyen âge, habile de son métier, d'ailleurs, et confiant en son expérience.
      D'où venait-it ? Du Nord, croit-on.
      Il menait à sa remorque une gracieuse enfant, sa fille, à qui de grands yeux bleus dans un visage pâle auréolé de cheveux d'or donnaient un charme indéfinissable.
      A peine arrivé, le maçon s'enquiert. Il apprend qu'un pont est à construire, examine les charges imposées, et, plus audacieux que ses confrères, prend l'engagement de livrer le travail en temps voulu.
      Il se met à l'oeuvre, engage ses ouvriers et pousse activement les travaux.
      Cependant, le temps presse et bien que l'arcade soit menée bon train sur ses étais habilement combinés, voici venir la veille de l'échéance fixée pour la livraison du pont, et, par une erreur incompréhensible, la clef de voûte manque. Il faudrait une énorme pierre pour combler le vide et parachever l'oeuvre. On la trouver ? On n'en connatt pas sur place ; Uchon seule pourrait la fournir. Mais Uchon n'est pas proche et le transport d'une telle masse, si tant est qu'il soit possible, exigerait plusieurs jours.
      Le maçon perdra-t-it donc le bénéfice de son industrie ? Le pauvre homme se désespère et s'arrache les cheveux.
      Au demeurant, il n'était point dévot et plutôt que d'invoquer le secours du Ciel « Holà s'ecrie-t-it. Messire Satan, venez à mon aide, et vous n'en serez point leurré. »
      Rarement le diable se méle ostensiblement des affaires des hommes. Il n'en finirait plus de répondre à tous les mécréants qui l'invoquent. Mais il a parfois son idée et se montre quand il lui sied.
      Cette fois, Satan mûrissait un projet. Ce maître en laideur et en corruption voyait d'un oeit haineux croitre en sagesse et en beauté la fille du constructeur. Rebelle à ses instigations, la belle enfant nourrissait en son coeur l'amour le plus chaste pour un brave garçon qui secondait son père avec intelligence. Le jeune homme, violemment épris de ses charmes lui avait demandé sa main et tous deux, fiancés désormais, n'attendaient que l'achèvement de l'entreprise pour obtenir le consentement paternel.
      Trop favorable était l'occasion, le diable parut. Dans sa hâte, il n'avait pas pris le temps de se donner une apparence décente. Aussi n'était-il pas beau. Sa longue tête grimaçante, ornée d'une barbe de bouc, d'oreilles de loup et de deux cornes sinistres, ballottait sur un corps eflanquë, de stature colossale, et noir comme les moricauds des pays infidèles. Ses pieds et ses mains se terminaient en griffes, et, sur son dos, deux longues ailes nervées comme celles des vampires, se repliaient, au repos, avec un bruit de papier froissé.
      « Or ça tu réclames mes services ? Je suis à toi, bonhomme ; mais rien pour rien, a bon entendeur salut ! »
      Puis, de sa voix tantôt rauque, tantôt glapissante : « Je vois d'ici, parmi les roches d'Uchon, la pierre qui, sans équarrissage, sera ta clé de voûte. Demain je te la baillerai avant l'aurore. »
      Tremblant, d'abord, et médusé par la frayeur, le maçon s'était ressaisi. L'appât du gain l'endurcissait. « Oui bien, fit-il, mais qu'exigerez-vous en échange ? Mon âme, peut-être ? » - « Ton âme ne vaut pas qu'on se dérange. Non, ce qu'il me faut, c'est ta fille. » - « Ma fille ? vous plaisantez, elle n'a point seize ans ! » - « Il me la faut, te dis-je, ou tire-toi d'affaire. »

      La griffe du Diable
      Certes, le constructeur n'était pas un père modèle, mais la prétention du diable lui parut si monstrueuse, qu'il résista longtemps. Cependant, Satan voulait sa proie. Tantôt persuasif, tantôt menaçant, il fit tant et si bien que le malheureux père, grisé par ses promesses de fortune, se laissa tenter. Au bout d'une heure, il apposait sa signature sur le contrat livrant sa fille au diable, à condition que la clé de voûte lui serait apportée secrètement la nuit suivante, avant que le coq n'eut chanté. Satan avait partie gagnée. Satisfait, il étendit ses ailes et prit son vol en ricanant.
      A peine eut-franchi l'horizon qu'un homme effaré surgit d'un buisson et prit sa course vers la ville. C'était le triste fiancé, involontaire témoin du marché criminel qui allait briser sa vie.
      Haletant, il accourt près de la jeune fille, et lui conte tout ce qu'il vient de voir et d'entendre. Terrorisés, les pauvres enfants vont se jeter aux pieds de la Madone. Et soudain, le jeune homme se relève, une inspiration lui vient.
      Sans perdre une minute, il se munit d'un sac, glisse au fond le coq le mieux gorgé du bourg et s'élance vers le pays d'Uchon. Cinq lieues l'en séparent, mais le danger lui donne des ailes. Avant minuit, il atteint le sommet de la montagneet se blottit contre un rocher. La nuit est belle, la lune étend partout ses rayons blafards.
      Bientôt, un gigantesque oiseau de nuit grossit dans le ciel et vient planer sur la montagne. Il tournoie, descend et s'abat sur une roche comme un vautour sur sa proie.
      C'est Satan. Il saisit le bloc entre ses griffes et, de nouveau, s'élève dans les airs.
      De sa cachette, le jeune homme a tout vu. Prestement, il tire du sac le coq endormi, le secoue et, bien en face de la lune, le perche sur le roc.
      Réveillé en pleine nuit, le chanteur matinal s'imagine voir l'aurore, et, de sa voix la plus claironnante, jette vers le ciel son cri de triomphe. Tout aussitôt déchire l'espace un affreux blasphème répercuté par les échos de la montagne. Dupe de l'ingénieux fiancé, Satan croit son marché rompu. Ses griffes se détendent, ses bras s'ouvrent et le rocher fend les airs pour retomber avec fracas sur le granit qui, depuis lors, lui sert de piédestal.
      Telle était la dureté de la pierre, que le choc ne la brisa point mais, la griffe du diable, brulant des ardeurs de l'enfer, s'y était incrustée. L'empreinte en est visible et demeure en témoignage de l'histoire.
      Vainement, au point du jour, le constructeur attendit sa clé de voûte. Satan fut infidèle et le maçon encourut la déchéance. Mais, tandis qu'il se lamentait, vinrent à lui les deux fiancés. La joie qui rayonnait sur leur visage avait assez d'éloquence. Et comprenant enfin son ignominie, le père dénaturé implora son pardon.
      E. Fyot.



En Côte-d'Or comment meurent nos coutumes

C'est un lieu commun de dire que la plupart des traditions et des coutumes qui ont fait le charme de la vie de nos villages meurent progressivement et que certaines ont même complètement disparu, parfois, constatation incroyable, du souvenir des vieillards !
Pour celui qui est attaché à toutes ces manifestations populaires, une question angoissante se pose : Comment ces coutumes qui paraissent enracinées depuis des siècles dans nos campagnes, peuvent-elles ainsi s'éteindre ?
C'est ce problème que j'ai voulu aborder en cette étude en recherchant les causes et les circonstances qui ont pu faciliter la disparition de tel ou tel usage et en les soulignant chaque fois que cela m'a été possible par un exemple emprunté à notre folklore bourguignon.
En effet, grâce à plusieurs grandes enquêtes entreprises par la Section de Linguistique et de Folklore de Dijon, j'ai eu la chance de pouvoir dépouiller un certain nombre de dossiers d'enquêtes assez complets où notamment les raisons de l'extinction des coutumes mentionnées étaient envisagées.
A vrai dire ces raisons apparaissent multiples et fort complexes.
Cependant pour schématiser, il nous est possible de distinguer deux grandes catégories de causes : transformation des conditions matérielles et évolution psychologique. D'autres motifs ont pu intervenir, mais presque toujours on reviendra peu ou prou à l'une de ces deux grandes raisons majeures.

1. Transformation des conditions matérielles

Il est logique que la coutume qui est liée à un mode particulier de travail, de genre de vie, qui est liée à des conditions économiques, sociales, techniques spéciales, cesse d'être pratiquée le jour où ces modes et conditions viennent à être bouleversés.
Le machinisme en facilitant les travaux agricoles et en particulier la moisson et le battage a tué bien des usages inhérents à ces occupations : louées des domestiques, les fêtes de la moisson, les paulées ou tue-chien, les longues chansons rengaines de moisson et de battage au fléau.
Autrefois quand la moisson s'effectuait à la faucille ou à la faux, le cultivateur ne pouvait songer à rentrer lui-même toutes ses récoltes, il devait recourir, afin de ne pas allonger démesurément la période utile - au grand détriment de la qualité des grains, - à une main-d'ouvre exceptionnelle. Dans les pays à blé accouraient au début de juillet toutes sortes de manouvriers venus de pays d'élevage ou de pays vignobles. A ce moment avaient lieu de pittoresques louées.
Les travailleurs se divisaient en équipes. Une joyeuse émulation se développait, excitée par de longues chansons rengaines et toutes sortes de croyances. Pour bien se faire voir du patron, les ouvriers étrangers à la maison, multipliaient leurs soins et leurs prévenances.
Ce serait à celui qui finirait le premier, rentrerait la dernière voiture ou qui confectionnerait le plus gros bouquet ou qui le placerait au meilleur endroit de la grange. Le maître du domaine était alors tenu de les récompenser en conséquence. Et c'était le repas de fin de moissons, animé, copieux, spectaculaire.
Or aujourd'hui que voyons-nous ? Grâce à ses machines, le cultivateur peut aisément avec son personnel restreint effectuer sa moisson. Pas besoin d'embauche étrangère et partant plus de louées, plus d'émulation. L'unique domestique n'éprouve plus le besoin d'extérioriser son zèle par quelque bouquet de moisson. La nourriture s'étant bien améliorée, le besoin d'un banquet final ne se fait même plus sentir.
Autrefois, dans presque toutes les maisons de Bourgogne, on faisait brûler dans l'âtre la bûche de Noël. Aujourd'hui on ne fait plus de feu dans la cheminée. Une cuisinière nickelée en empêche l'accès.Donc plus de bûche de Noël.
Autrefois on avait coutume dans le Morvan de brûler la paillasse du mort le long des chemins. Aujourd'hui, les paillasses sont remplacées par de coûteux matelas. La valeur de ceux-ci a fait sombrer le rite.
A Noël, les parrains avaient coutume de donner à leurs filleuls un pain blanc appelé « cogneu » ou « époigne ». Avec la généralisation du pain de boulanger, ce cadeau ne serait plus considéré comme une gourmandise. Le cogneu a donc disparu.
On ne porte plus de pantalon à pont. Aussi l'expression « dénouer les aiguillettes » qu'employaient les jeunes gens en tirant des coups de fusil lors des mariages n'est plus comprise. Elle tombe en désuétude, comme celle de « tirer les aiguillettes » et partant l'usage de tirer des coups de feu !
Autrefois dans l'Arrière-Côte, les jeunes gens qui n'étaient pas de noce allaient réclamer « la chandelle » c'est-à-dire la lumière nécessaire pour éclairer la salle de danse, autrement dit une soirée de bal. La danse est toujours en vogue. Aussi les jeunes gens exigent toujours des jeunes mariés un bal, mais comme l'électricité a remplacé la chandelle, l'expression n'est plus usitée.
Les foires étaient nombreuses et très fréquentées. Il y avait même des foires spécialisées, louées, foire des petits cochons, foire des châtaignes, foire des ratelots, etc. Aujourd'hui le moindre hameau est visité plusieurs fois par mois par des maquignons ou des négociants. Les cours sont publiés journellement. Le paysan n'a plus à se déranger pour vendre son bétail ou pour acheter ce dont il a besoin.
Les domestiques sont rarissimes. Ils trouvent de l'embauche facilement. Ils n'ont plus besoin d'aller offrir leurs services. On n'utilise plus de ratelots, de faux, de liens, aussi les raisons d'être de ces foires où l'on vendait ces objets se sont évanouies.
La dépopulation des campagnes a influé aussi sur le sort de certaines coutumes. Il faut un groupe de jeunes suffisamment nombreux et actifs pour organiser des feux de brandons ou de Saint-Jean, pour collecter les fagots nécessaires à l'édification des bûchers, pour préparer les cortèges carnavalesques, pour chanter la complainte du Vendredi saint, pour poser des mais aux maisons des jeunes filles, pour fêter saint Nicolas ou saint éloi, pour se livrer à des batailles entre villages ou à certains jeux mettant en scène un nombre appréciable de participants.
Lorsque la population juvénile d'un village se clairsème, il n'est plus possible de trouver sur place les animateurs requis. Aussi les manifestations que cette jeunesse organisait tombent-elles. A moins que d'autres éléments ne viennent maintenir envers et contre tout la tradition. Je songe par exemple aux fêtes des conscrits. Le conseil de révision obligatoire et à dates fixes en assure la persistance. Si les conscrits d'un seul village sont trop peu nombreux ils se réunissent aux conscrits d'autres villages. Ainsi la coutume peut demeurer.
L'amélioration de la condition des classes laborieuses et principalement des classes paysannes a entraîné aussi la disparition de certains usages ; les quêtes du Nouvel An, du Vendredi saint, les « Os Drilloux », lors des mariages, les quêtes des sonneurs, des sacristains, etc. Les cadeaux en cours pour Noël, ou d'autres fêtes : noix, noisettes, pruneaux, pommes, pain blanc, œufs, etc., ne contenteraient plus les enfants de maintenant.
Si beaucoup de confréries ou de sociétés de Saint-Vincent ou de Saint-Éloi végètent, c'est qu'elles étaient surtout des sociétés de secours mutuels. Avec l'enrichissement des cultivateurs et des vignerons, leur utilité apparaît moins évidente.
La nourriture s'est également sensiblement améliorée. Dans la ferme la plus écartée, les menus varient à chaque repas et la viande est servie tous les jours. Aussi les repas et les mets cérémoniels comme le craquelin lorsqu'on tue le cochon, ou le jambon de Pâques ou les gaufres de Noël ou les mariottes de la Chandeleur et bien d'autres tendent à se perdre. Jambon, gaufres, gâteaux de toutes sortes figurent sur les tables à tout instant.

II. Évolution psychologique

La transformation des conditions matérielles est souvent une cause péremptoire de la disparition de nos coutumes. Mais elle ne l'explique pas toute. Il y a aussi une évolution de la mentalité qui a influé. Dans certains cas les conditions matérielles sont demeurées les mêmes, l'usage cependant a décliné. Il est nécessaire alors de faire intervenir des facteurs psychologiques.
Ces derniers apparaissent multiples : individualisme plus prononcé, tendance à la paresse ou simplement restriction des loisirs, respect humain (en bonne ou en mauvaise part), rationalisme, besoin de simplification, réalisme, adoucissement des mœurs, etc.
J'illustrerai chacune de ces causes par quelques exemples :

1. L'individualisme.
Autrefois l'habitant d'un village ou le membre d'une classe d'âge, se sentait beaucoup plus étroitement lié à ses concitoyens. Cet esprit collectif permettait le maintien de nos coutumes. Avec l'affaiblissement de la solidarité communautaire, certains ont cherché à esquiver certaines charges et ont pu y réussir.
On m'a raconté qu'à Marey-sur-Tille la fête de Sainte-Catherine s'est trouvée arrêtée vers 1880 par une jeune fille qui refusa le chanteau, symbole de l'obligation qui pesait sur elle d'organiser la fête de Sainte-Catherine de l'année suivante. Ce n'est pas à vrai dire ce simple geste qui a tué la fête. Il devait y avoir déjà dans l'air une certaine lassitude, une certaine désaffection. Aussi le geste de cette catherinette ne rencontra aucune réaction et nulle ne songea à passer outre et à renouer le lien rompu.
Cet affaiblissement de l'esprit collectif explique la disparition progressive des feux des Brandons, des Cortèges carnavalesques, du Brûlement de Carmantran, des feux de la Saint-Jean, etc.
Pour organiser des manifestations de cette envergure, il faut une équipe dévouée et pleine de bonne volonté, sachant obéir à des chefs. Notre mentalité de plus en plus individualiste rendait impossible de telles fêtes.
Autrefois, principalement au mois de mai, les jeunes gens se complaisaient à « mener sur l'âne » les maris qui avaient battu leur femme au cours de l'année. C'était une espèce de punition satirique que leur infligeait la communauté. Une telle manifestation suppose chez un groupe de jeunes gens une discipline publique inébranlable, car il est aisé de concevoir que les maris condamnés à l'épreuve seraient plutôt récalcitrants.
Les menées sur l'âne ont complètement disparu. Les jeunes gens n'ont plus eu la cohésion et l'énergie nécessaires. Imbus des idées nouvelles, répandues par l'éducation scolaire, ils avaient le sentiment de violenter la liberté d'autrui et d'usurper un droit de justice qui ne leur appartenait pas.
Par contre, il est curieux de constater qu'à l'occasion les jeunes gens savent se regrouper notamment lors des mariages et organiser de tumultueux charivaris pour fustiger des unions qui leur déplaisent (vieillard et jeune fille) ou des époux qui ne leur ont pas payé leurs « droits ».
Pourquoi la menée sur l'âne s'est-elle perdue, tandis que le charivari est demeuré vivace ? Je crois que la raison doit en être cherchée dans ce sentiment de respect humain qui s'est certainement beaucoup développé dans nos campagnes avec l'instruction obligatoire. La menée sur l'âne l'offusquait davantage que le charivari.

2. Le respect humain.
Examinons donc ce nouveau facteur.
Pour reprendre cet exemple de la menée sur l'âne il semble qu'outre l'affaiblissement de l'esprit collectif, un autre facteur ait joué. Il a paru contraire à la dignité humaine de promener ainsi en public l'auteur d'une scène de ménage. Tout notre droit punitif a tendu à supprimer les châtiments extrinsèques et spectaculaires. Une telle évolution devait nécessairement réagir sur les comportements populaires.
C'est ce sentiment de respect humain qui explique la disparition d'un grand nombre d'autres coutumes.
Dans la nuit du 1er mai, les jeunes gens se plaisent à poser dans les maisons des jeunes filles des branches d'arbres. Autrefois chaque espèce avait sa signification. Seul le charme gratifiait une jeune fille méritante. La grincheuse recevait un fagot d'épines, la débauchée une branche de sapin ou une « selle », la fille-mère Une branche d'arbre fruitier, en fleurs, etc. Tous les défauts y passaient. Aujourd'hui ces distinctions ne paraissent plus de mise. Toutes les jeunes filles à peu près honorables reçoivent la branche de charme. Quant à celles dont la réputation est par trop répréhensible on se contente de les oublier dans cette distribution.
Ce motif de respect humain, de décence explique sans doute la disparition de coutumes comme :
- celle d'offrir du vin à la sortie de la messe de mariage ;
- celle de déposer des bouquets le long du passage des cortèges de mariages, afin d'obtenir quelques menues sommes d'argent des gens de la noce ;
- celle de la corbeille de la mariée, où celle-ci tend une corbeille pour recevoir les dons des personnes venant lui offrir des compliments ;
- celle du ruban rendu à la sortie de l'église devant le cortège de noce ; les enfants et les jeunes gens n'enlevaient la ficelle ou le ruban que si les nouveaux mariés leur donnaient quelque argent ;
- et sans doute bien d'autres « quêtes » ou rites pouvant avoir un aspect vexatoire. On ne veut plus avoir l'air de « quémander ».

3. La pudeur.
Très voisin du motif précédent est celui-ci qui a contribué certainement à faire disparaître diverses coutumes telles que celles des relevailles, la bénédiction du lit nuptial, l'exposition des draps dudit lit lors de la « rôtie » ou « trempée », la menée sur l'âne, etc.

4. Rationalisme plus développé.
Avec le développement de l'instruction, un grand nombre de croyances plus ou moins bizarres, de superstitions plus ou moins ridicules se sont effacées : formules ou médicaments plus ou moins baroques pour la guérison des maladies, jeteurs de sorts, sources oraculaires ou miraculeuses, branche plantée dans un tas de fumier le premier mai pour éloigner les serpents, tisons des feux des bordes contre la foudre, brandons mobiles promenés à travers les vergers, etc. La liste serait interminable.
C'est cet esprit plus positif des habitants de la campagne qui a entraîné la désuétude des rites de l'aspersion de blé ou de riz ou de l'épreuve du balai lors de l'arrivée des jeunes époux à leur nouvelle demeure, de l'obole déposée dans la main du mort, du deuil imposé au rucher, etc.
Certaines coutumes proprement religieuses ont souffert également de cet état d'esprit. Au XVIIIe siècle il y a eu des curés « éclairés » qui ont lutté énergiquement contre tout ce qui leur paraissait de nature superstitieuse dans la religion. Et cette attitude n'a pas été sans préjudicier à d'autres pratiques qui auraient pu être considérées comme très orthodoxes.

5. Intervention de l'église. Attitude plus critique de celle-ci.
On comprend que l'église ait pu se montrer réticente vis-à-vis de l'usage du pallium étendu au-dessus des deux futurs, de la bénédiction du lit nuptial, de certaines observances ayant cours lors des pèlerinages, de la prohibition des mariages au mois de mai, de l'étrange cacophonie dite « réveil des saints » lors de l'office du Vendredi saint. On comprend moins la désaffection qui a frappé la cérémonie des relevailles, la bénédiction des fontaines, des puits et des ruchers lors des processions des rogations, la bénédiction des petites croix que l'on plantait dans les champs le 3 mai, ou celle des semences le jour de la Saint-Michel, l'offrande de pain bénit lors de la messe de minuit, les offertes en nature, etc.
A Morey, les enfants de chœur se rendaient tous les dimanches matins dans chaque maison et donnaient plusieurs aspersions d'eau bénite pour attirer la protection du ciel sur les habitants. On les gratifiait en remerciement de quelques sous. Il est curieux de lire ce qu'écrivit le curé de ce village, à propos de ce pieux usage : « après 1870 j'ai laissé tomber cette coutume et j'ai même favorisé sa fin parce que l'esprit de notre temps n'est plus au niveau d'un acte de piété pareille qui était devenu l'occasion de fréquents blasphèmes et que pour cette raison les enfants eux-mêmes ne se souciaient plus de continuer ».
Le même prêtre signalait qu'à Sainte-Sabine les jeunes gens offraient, à la porte de l'église au sortir de la messe du mariage, du vin et des biscuits aux nouveaux épousés et à toutes les personnes présentes. « L'usage est tombé en désuétude car il n'a plus sa raison d'être. Autrefois quand la foi était vive les jeunes mariés communiaient à la messe même de leur mariage ou recevaient à jeun ce grand sacrement. C'est pourquoi on se hâtait de leur apporter quelque réconfort. »
Si la foi a perdu sa vigueur, il faut remarquer que parfois l'église a suivi l'évolution des temps et apporté des accommodements aux règles primitives. En autorisant la viande plusieurs fois par semaine en carême et les œufs presque constamment, l'église a contribué à rendre moins saillants et moins essentiels la coutume du bœuf gras ou celles des quêtes des œufs le Vendredi saint, des roulées ou des œufs teints de Pâques.

6. Tendance à la simplification.
En principe nous pouvons dire que les coutumes compliquées ont tendance à disparaître plus rapidement que les coutumes toutes simples.
Lors des mariages le curieux échange de propos qui avait lieu entre les amies de la future et les jeunes gens, sur le pas de la porte, ou le si charmant « Rain d'Amour » n'ont pu se maintenir. Notre jeunesse n'a plus la patience de les entreprendre.
De même finies les longues sonneries de cloches du jour des morts, finis les jeux quelque peu complexes comme le Piqueromme ou le Montmorency. Finis aussi les donages du premier dimanche de carême.
Cette tendance à la simplicité a pu d'ailleurs s'allier à un certain penchant à la paresse ou à la négligence. A l'étang-Vergy, lors des mariages, les jeunes gens se plaisaient à présenter les outils du futur. Ils s'en sont lassés. La préparation des foulères exigeait aussi beaucoup de dévouement et de démarches. La promenade des brandons allumés à travers les vergers, la confection des croix de coudrier et leur plantation dans les champs cultivés, le déroulement intégral des processions des rogations absorbaient également un certain laps de temps. Tous ces rites ont pu finir par lasser les participants.

7. Vie plus complexe.
Nous vivons aujourd'hui à un rythme tel que chacune de nos minutes ne saurait être distraite pour des manifestations dont on ne comprend plus toujours le sens. De plus quantité d'autres occupations, d'autres distractions sollicitent l'homme moderne, même au fond de son village. Journaux, T. S. F., cinéma, sport, enseignement postscolaire et professionnel grignotent les loisirs. On n'a plus le temps de raconter des légendes, de chanter, de jouer, comme on faisait autrefois lors des longues veillées d'hiver.
Les fêtes locales sont concurrencées par d'autres fêtes qui jouissent du privilège de la nouveauté. Privilège de la nouveauté ! Nos vieilles chansons, nos vieilles légendes, nos vieux jeux : les quilles, la « treue », la « taloupe », la « bique », nos vieux jouets fabriqués ingénieusement avec des riens, nos vieux objets mobiliers sont frappés de discrédit.

8. Adoucissement des moeurs.
Enfin, nous pouvons constater que les moeurs vont en s'adoucissant.
Il n'y a plus pour ainsi dire de batailles entre villages. Certains jeux particulièrement brutaux sont abandonnés : le « morillon » (où l'on donnait des coups au bas des reins), le « quinet » (où l'on envoyait un bâton plus ou moins violemment), le « tillardo » (où il fallait avaler de la terre), etc.
Des règlements de police ont pu interdire les scènes un peu rudes parfois du carnaval ou les coups de fusil lors des baptêmes ou des noces, certains jeux qui pouvaient troubler la tranquillité publique, les charivaris, les menées sur l'âne, le ramassage des objets qui traînent la nuit du premier mai, les longues et fatigantes sonneries de cloches, les distinctions d'emplacement qui avaient cours dans les cimetières, les réclamations de « droits » par la jeunesse lors des mariages, les processions, etc.
Tels sont les facteurs les plus importants qui ont pu favoriser la disparition de nos coutumes. Dans certains cas un seul a suffi. Dans d'autres il a fallu le concours de diverses circonstances pour que l'usage vienne à être abandonné. Par exemple l'action des conditions matérielles a pu être renforcée par des considérations d'ordre psychologique.
Constatations plus paradoxales, certains de ces facteurs sont demeurés sans influence sur certaines coutumes qui ont pu rester ainsi vivaces encore de nos jours. D'autres mobiles ont alors joué. Je songe tout particulièrement à la pose des mais qui peut persister parce qu'elle a pour ressort un sentiment qui est éternel : l'amour.
Moins compréhensible pour nous est le maintien de l'enlèvement de la jarretière, de la rôtie apportée aux nouveaux époux la nuit de leurs noces, de certains charivaris, des treize deniers à la bénédiction des mariages, du ramassage de la nuit du premier mai. Pourquoi ces usages ont-ils survécu et non d'autres? J'évoque la gracieuse coutume des épousées ou reines de mai, celle touchante du deuil au rucher et aux étables, celle du bouquet de moisson ou de vendange, celle de la plantation de rameaux de buis sur les tombes le jour des morts, etc.
Je dois avouer que les raisons que l'on peut avancer à ce propos ne sont pas très convaincantes. Nous sommes ici dans le domaine du social, de l'humain, du vivant et, comme la vie elle-même, ces coutumes ont leur mystère.
Mon intention dans ce travail était seulement d'envisager comment meurent nos traditions. Pour être complet il aurait fallu également envisager comment elles peuvent naître, car, même à notre époque, nous pouvons assister à des créations de folklore, certes bien rares, bien menues, qui sont loin de compenser les innombrables disparitions qui se sont produites, mais méritant tout de même d'être signalées.

A. Colombet, docteur en droit, correspondant du Ministère de l'éducation nationale - 1953



Sources

Page réalisée sur la base des documents :
L'Origine des masques, mommerie, bernez et revennez ès jours gras de Caresmeprenant, menez sur l'asne a rebours et charivary - Claude Noirot - 1609
Glossaire du Morvan - E. de Chambure - 1878
Statistique de la commune de Fretoy - Jean Simon - 1883
Folklore de la région de Fours - Sylvain Commeau - Directeur de l'Ecole de Mouësse - 1886
Les usages, croyances, traditions, superstitions de l'Yonne - Charles Moiset - 1888
La Revue de Bourgogne - 1911
L'âme du Morvan - A. Guillaume - 1923
Folklore du Nivernais et du Morvan - Tome 1 et tome 2 - Jean Drouillet - 1962
Le Morvan coeur de la France - Joseph Bruley - 1966
La vie quotidienne des paysans bourguignons au temps de Lamartine - Henri Vincenot - 1977
L'almanach du Morvan 1977 - Lai Pouèlée
L'almanach du Morvan 1979 - Lai Pouèlée
Recueil de Chants populaires du Nivernais - Troisième Série - Sixième Série - Paul Delarue et Achille Millien - 1985
Bulletin de liaison des membres du groupe « Les Enfants du Morvan »
Le calendrier traditionnel de la vie paysanne en Morvan - Emission de radio du 21 janvier 1999 à Château-Chinon - Michel Salesse - N° inventaire Mpo : 3193
Croquis Nivernais - Les « Maries » - Louis Mirault dit Fanchy - Mémoires de la Société académique du Nivernais - 1898.
Extrait de « le clocher d'Anost » article de l'Abbé Georges Bringer, curé d'Anost de 1930 à 1956 - Vents du Morvan (Pages 93 - 94) N°62 Printemps 2017
Patrimoine oral - Base inter-régionale
Les faiseurs de nuées (La Pierre qui vire - La fontaine aux bœufs) - Philippe Berte-Langereau - E.R.C. ISBN 2-9512306-1-3 - 1998
En Côte-d'Or comment meurent nos coutumes - A. Colombet - Actes du soixante-dixhuitième Congrès national des sociétés savantes, Toulouse, 1953
Lundi de Pâques « Mercure de France » de mai 1735