Le MorvandiauPat | Les conscrits |
Chez les Francs, tout homme libre est soldat par définition.
Au moyen âge, dans le cadre du système féodal, tout vassal doit à son suzerain un service militaire de 40 jours par an sous forme d'ost (participation à une opération militaire au service du roi) ou de chevauchée (opération limitée au bénéfice du seigneur).
L'armée féodale est discréditée par son indiscipline pendant la guerre de cent ans et est remplacée sous Charles VII (22/02/1403 - 22/07/1461) par une armée royale de caractère permanent et de type mercenaire (ordonnances de 1439 à 1447).
Louis XIV (05/09/1638 - 01/09/1715), pour ses Milices royales dont le nombre de volontaires était jugé insuffisant, institua un tirage au sort parmi tous les hommes du royaume âgés de 16 à 45 ans.
Tous les ans, on tirait au sort à l'aide de billets blanc ou noir un certain nombre d'individus obligés à servir pendant 5 ans la milice crée par Louvois.
Ces milices devaient remplacer les troupes régulières dans les villes frontières. Les volontaires étaient recrutés par la Maison du roi et comprenaient les gardes du corps, les mousquetaires et les gendarmes.
Le contrat des volontaires, renouvelable, est d'une durée de 6 ans. On pouvait quitter avant la fin des 6 ans en achetant un remplaçant. Par contre, ceux ayant contracté des dettes remboursables avant la fin de leur contrat voyaient celui-ci automatiquement prolongé jusqu'au remboursement intégral de la dette !
Sous Louis XV (15/02/1710 - 10/04/1774), on constate qu'environ 20% des soldats sont d'origine étrangère.
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1792 - Pour faire face à l'invasion étrangère, les chefs jacobins avaient proclamé la patrie en danger et lancé un appel aux volontaires. Ceux-ci, aux côtés des vétérans de l'ancienne armée royale remportèrent des victoires mais cela n'a pas suffi à ramener la paix.
1793 - Par décret du 25 août 1793, la Convention procéda à une première forme de conscription par la levée en masse de 300.000 hommes qui fut vivement contesté par le peuple.
1795 - La constitution de l'an III, 22 août 1795, abolit le mode de recrutement de l'Ancien Régime, basé sur le volontariat.
1798 - La loi du 19 fructidor an VI, 5 septembre 1798, dite loi Jourdan-Delbrel (du nom des députés qui l'ont proposée : Pierre Delbrel, Jean-Baptiste Jourdan), instaura la conscription:
Au cours du XXème siècle, les plus importantes modifications porteront sur la réorganisation du contingent, le régime des exemptions, des dispenses et de la disponibilité, et surtout sur la durée du service militaire ou du service national :
1905 - Par la loi du 21 mars 1905, le ministre de la Guerre, le général André, abolit définitivement le tirage au sort, posa le principe de l'égalité pour tous devant le service militaire, et supprima les exemptions et dispenses. La durée du service militaire passa alors à 2 ans dans l'armée d'active.
1913 - Durée du service militaire : 3 ans (préparation de l'état de guerre),
1923 - Durée du service militaire : 18 mois,
1928 - Durée du service militaire : 12 mois,
1936 - Durée du service militaire : 2 ans (préparation d'une seconde guerre),
1946 - Durée du service militaire : 1 an,
1993 - Durée du service militaire : 10 mois.
1996 - En mai 1996, le chef de l'État, le Président Jacques Chirac, annonça une réforme du service national.
1997 - En 1997, promulgation de la loi n° 97-1019 portant réforme du service national. Cette loi suspend la conscription pour tous les jeunes nés après 1979 et la remplace par la Journée d'appel de préparation à la défense.
2001 - Le décret n° 2001-550 du 27 juin 2001, relatif à la libération anticipée des appelés du service national est publié au Journal Officiel. Les derniers appelés sous les drapeaux sont libérés au 30 novembre 2001.
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Au fil des années, lentement l'habitude de la conscription entre dans les moeurs et devient un des grands moments de la vie sociale au même titre que le baptême, la communion ou le mariage. Véritable sacrement, mais sacrement laïc, il aura des conséquences énormes sur la société.
D'abord pour l'individu lui-même qui, parfois, ne quittant jamais son village, va se trouver, 7 ans durant, confronté avec d'autres horizons, une autre vie, des camarades venus d'ailleurs, particulièrement de tous les milieux sociaux. De quoi changer complètement une existence.
Mais aussi pour le village où la ponction de jeunes gars tous les ans, pendant 7 années successives, va inévitablement y bouleverser la vie. Non seulement les activités y seront profondément modifiées mais ces hommes mûris reviendront-ils à leur travail, à leur famille, à leur promise ?
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Désormais acceptée par tous comme un fait inévitable, elle marque une rupture dans le cursus d'une vie. Aussi bien pour les parents que pour le jeune homme elle marque le passage de l'adolescence à l'âge adulte et une émancipation de la tutelle familiale encore lourde au XIXème siècle. Tout est permis au jeune conscrit pendant la ou les semaines qui vont marquer cette libération. Banquets, beuveries, vie hors du foyer, affirmation de la virilité, rien n'arrête la bande des conscrits souvent aux prises avec les autorités pourtant très compréhensives.
Ainsi et surtout après la défaite de I87O et le regain nationaliste causé par la perte de l'Alsace-Lorraine, un gars reformé pour insuffisance physique était un drame pour le malheureux en but à toutes les moqueries et insultes. Ce fait était ressenti comme un déshonneur pour la famille.
D'après le registre des délibérations, séance du 15 fructidor an X (2 septembre 1802):
A l'appel de leurs noms, quatre jeunes gens se sont présentés; après eux est venu Louis-Léger R. auquel le billet noir est échu, inscrit en ces termes "Conscrit en activité de service". Ce fait, ledit R. a été proclamé conscrit de la commune.« Vu la lettre du préfet qui porte un homme le contingent de la commune, le conseil arrête que les neuf conscrits tireront au sort et que, pour éviter tout abus, les billets seront déposés dans un chapeau qui sera tenu élevé par le citoyen H., l'un de ses membres, et duquel ils seront tirés successivement par le jeune Martin, enfant de sept ans. »
Après qu'on eut réparti à chaque canton le nombre de conscrits qu'il devait fournir, les jeunes garçons d'une même classe (qui viennent d'avoir 20 ans), appartenant aux communes de ce canton sont réunis à la mairie du chef lieu . Dans une urne tricolore ils tiraient au sort un numéro, et par là même arrêtent leur destin sur le plan de la conscription.
C'est dans l'ordre de ces numéros qu'ils passaient devant le conseil de révision, qui jugeait de leur aptitude physique et des dispenses éventuelles. Le conseil de révision arrêtait son travail dès qu'il avait réuni un nombre de jeunes gens aptes au service correspondant à I'effectif préalablement défini. Ceux-ci constituaient les "mauvais numéros". Les autres, ceux qui du fait du tirage n'avaient pas eu à se présenter devant le conseil, étaient à jamais, et même en temps de guerre, exempts de service armé ; c'étaient les "bons numéros".
L'abbé Boutillier écrivait dans ses "Mémoires" (publiés en 1927 dans l' "Année Nivernaise") à la date du 26 février 1857 ; tirage au sort à Nevers:
"Déjà dimanche après vêpres, la vielle a commencé son dig dig don. Enfin nous voici à vendredi. L'impétueuse jeunesse dévore la route, de loin encore on se salue, on se souhaite bonne chance ... La vieille sorcière qui s'était tenue à l'écart jusqu'alors console les parents de l'un et de l'autre; elle a prononcé sur eux de telles paroles qui éloigneront bien loin tout mauvais billet; elle leur a appris telle prière qui les sauvera. La pauvre mère d'un pauvre conscrit espère aussi car elle a mis dans le soulier de son fils une médaille de la Vierge; une autre s'est contentée d'y mettre une vieille pièce de monnaie qu'elle conservait à cet effet depuis plusieurs années: déjà, par ce moyen, elle a exempté bien des enfants du hameau. Enfin les conscrits sont à la ville. Les voici à la préfecture ; le tirage commence. Celui-ci fait pieusement le signe de croix de la main gauche tandis qu'il tire le billet fatal: cet autre ferme les yeux, celui-là s'avance à reculons ... "
Aussi chaque conscrit souhaitait-il tirer le bon numéro grâce auquel il sera exempté. Il suffisait à Entrains (doc. Millien), d'avoir dans la manche son bonnet de baptême et de dire, en tirant le billet:
En Morvan, les conscrits, afin d'obtenir un bon numéro, doivent porter sur eux, au tirage au sort, un morceau de la délivrance de leur mère qui a été conservé à cette intention. Vers Château-Chinon, il fallait faire dire une messe, le matin du tirage, dans trois communes différentes, messe auxquelles assistait au moins un membre de la famille du conscrit. En d'autres lieux, on mettait, à son insu, une peau de serpent dans les vêtements que portait le conscrit.
A leur départ au régiment, les conscrits réunis à l'auberge ou le jour du festin du tirage au sort, ont l'habitude de suspendre au plancher des bouteilles de vin ou de liqueurs enrubannées avec inscriptions, serments patriotiques et autres, et signature du conscrit. A leur retour au pays, ces bouteilles sont dépendues ou elles sont vidées avec beaucoup d'autres par les amis et voisins appelés à participer à ces agapes.
« Autrefois, le recrutement de l'armée était assuré par voie de tirage au sort ; chaque canton ne devait fournir qu'un certain nombre d'hommes au contingent, et les conscrits en surnombre, qui se trouvaient de ce fait exemptés, étaient ceux qui avaient tiré les numéros les plus élevés. Cet événement soulevait une émotion considérable dans nos campagnes, car le conscrit courait la chance du bon numéro qui l'exempterait de tout ou partie du service militaire, mais il courait également le risque du bas numéro qui le désignait pour la marine, et cette perspective angoissait le terrien de nos montagnes morvandelles, qui n'avait jamais vu que le lac des Settons ou l'étang Neuf, et plus d'un tremblait en fouillant dans l'urne. Le plus haut numéro s'appelait le «laurier» et le numéro un le «bidet».
Les gars de la classe commençaient à se réunir le jour de leur inscription, et ces réunions qui se renouvelaient chaque dimanche étaient prétextes à beuveries et à chansons.
Le grand jour du tirage arrivait enfin, et les conscrits de chaque commune, bras dessus, bras dessous, se dirigeaient vers le chef-lieu de canton, tambours, clairons et drapeaux en tête.
En cours de route, la troupe ne manquait pas un «bouchon», et on lichait de la goutte, du mêlé-cass, du vin rouge, du vin blanc, etc. ; l'important était de calmer les inquiétudes et de maintenir le moral en bon état.
Cette journée se passait rarement sans batailles; de vieilles rivalités existaient de commune à commune et se transmettaient de classe à classe, les vaincus ayant toujours une revanche à prendre.
Après le tirage, on dévalisait les marchands de rubans, cocardes et numéros, et, ainsi attifés et décorés, les conscrits reprenaient le chemin de leurs communes respectives. Le retour était toujours plus bruyant que l'aller, les esprits étaient surexcites, le tambour, changeant de mains, battait sans relâche, et les gars chantaient en choeur des refrains vieux comme le monde, toujours les mêmes :Le Dominique ô ben râpé
Dans les cordages a vai grimpé
Mon tra dé ri tra et la la la
Mon tra de ri tra la lère.
ou
Le Lazère ô ben sauvé
Dans lai marine a n'y iré pas
Mon tra dé ri tra et la la la Mon tra de ri tra la lère.
ou encore
Réveillez-vous la belle,
Je viens vous avertir,
La Patrie nous appelle,
Adieu, il faut partir.
et
N'rébole don pas, ma y r'vinrai
N'rébole don pas, ma y r'vinrai
Chi n'eurvin pas, y t'écrirai
Mon tra dé ri tra et la la la
Mon tra de ri tra la lère.Le soir, au bourg, dans une auberge, un grand banquet réunissait les conscrits, leurs paternels et les autorités communales.
Le lendemain et le surlendemain, les conscrits rendaient visite aux principaux propriétaires de la commune, qui donnaient des victuailles ou de l'argent, et la « ribouldingue » continuait ainsi plusieurs jours.
Le recrutement pour la marine par l'affectation de bas numéros ne dura qu'un temps ; pour ma part, je n'ai connu que quelques Morvandiaux qui soient de ce fait devenus marins, dont mon grand-père maternel qui tira neuf ans à Rochefort pour avoir tiré le n° 9 dans le, canton de Montsauche, mais contrairement aux dires de chanson, il ne grimpa pas dans les cordages ; il resta à terre et ne vint jamais en permission, car les voyages étaient longs et coûteux.
La classe 1893 fut la dernière qui connut de bons numéros, et les bénéficiaires ne firent qu'un an au lieu de trois.
Après cette date, le tirage au sort devint une simple formalité et fut définitivement supprimé en 1905 avec l'institution de la loi de deux ans.
Il n'est plus aujourd'hui qu'un vieux souvenir. »
M. Naulin ancien administrateur de "La Morvandelle"
Après avoir tiré leur numéro, les conscrits achetaient une grande vignette, en forme de losange, à sujets militaires, sur laquelle ils faisaient composter leur numéro, et la fixaient sur leur coiffure au moyen d'épingles. Des flots de rubans multicolores étaient attachés derrière cette coiffure et une grande cocarde tricolore venait orner la poitrine. Ceux qui avaient un mauvais numéro arboraient également un insigne doré, portant l'inscription « bon pour le service » ; ceux qui avaient le bon numéro, c'est-à-dire le numéro le plus élevé, mettaient un autre insigne, portant la mention « bon pour les filles », telle est l'origine de ces insignes qui existent encore actuellement.
Toutefois tous les mauvais numéros n'effectuaient pas le service militaire. Quand le budget ne permettait pas d'incorporer tous les mauvais numéros. On avait donc recours à des expédients: retarder l'incorporation d'une partie des hommes ou donner des congés illimités en fin de service (ce qui revenait à en raccourcir la durée). Le plus souvent, on laissait dans ses foyers une fraction du contingent, qui, bien que non instruite, constituait une réserve pouvant être appelée en cas de crise.
Aux termes do l'article 18 de la loi du 15 juillet 1889, le Conseil de révision se compose :
1° Du Préfet, président; à son défaut, du secrétaire général ;
2° D'un conseiller de préfecture désigné par le Préfet;
3° D'un membre du conseil général du département autre que le représentant élu dans le canton où la révision a lieu, désigné par la commission départementale, conformément à l'article 82 de la loi du 10 août 1871 ;
4° D'un membre du conseil d'arrondissement, autre que le représentant élu dans le canton où la revision a lieu, désigné comme ci-dessus;
5° D'un officier générai ou supérieur désigné par l'autorité militaire;
Un sous-intendant militaire, le commandant de recrutement, un médecin militaire du grade de major, désigné par l'autorité militaire, assistent aux opérations du conseil de revision.
Le sous-préfet de l'arrondissement et les maires des communes auxquelles appartiennent les jeunes gens appelés devant le conseil de revision assistent aux séances. Ils ont le droit de présenter des observations.
Les membres du conseil de révision, ainsi que les fonctionnaires civils ou militaires que la loi désigne comme devant assister aux séances, doivent s'y rendre revêtus du costume ou des insignes extérieurs auxquels on peut reconnaître leur caractère public.
Le général ou l'officier supérieur prend, quelque soit son grade, rang après le Président ; il s'assied à sa droite.
Le conseiller de préfecture se place à la gauche du Président.
Le conseiller général occupe la seconde place à droite, et le conseiller d'arrondissement la seconde à gauche.
Le sous-intendant militaire, n'ayant que voix consultative, ne siège point parmi les membres du conseil de revision, mais il doit avoir une place spéciale immédiatement à la droite du conseil.
Le secrétaire du conseil se place à gauche, en face de M. le Sous-Intendant.
Le Président donne au commandant du bureau de recrutement toute facilité pour choisir une place qui lui permette de remplir les fonctions spéciales que la loi lui assigne.
M. Jean Chaise, du canton de Sergines (Yonne) nous raconte cette journée qui était la même en Morvan :
Vous pouvez lire la lettre originale en cliquant sur la photo.
Librement transcrit ...
Les conscrits de St Marciaux ou le coup de pied de cheveaux.
Saint Marciaux c'est un petit village où est né le Lazère Puyot.
Quand il a passé le conseil de révision à Autun, il n'a pas voulu enlever son caleçon pour passer la visite, il se disait que si le Major voyait son coup de pied de cheveaux qu'il a reçu, il ne serait pas bon pour le service.
Mais quand il est passé devant le Major avec son caleçon, le Major c'est dit : « J'ai affaire à une forte tête ! », il lui dit : « Enlevez moi ce caleçon ». Le Lazère enlève son caleçon.
Le Major lui dit : « C'est pour cacher quoi, que vous avez gardé votre caleçon ? ».
« C'était pour que vous ne voyez pas le coup pied de cheveaux que j'ai reçu dans la patte. »
Le Major lui dit : « Combien vous en avez reçus de coup de pied de cheveaux. »
« Rien qu'un monsieur le Major. »
« Alors c'est un coup de pied de cheval que vous avez reçu. »
« A vrai dire monsieur le Major, c'est un cheveaux qu'était aussi fort que 2 chevals. »
« A mon gaillard, lui dit le Major, vous vous fichez de moi, voyons voir votre jambe. »
Il la regarde et dit « L'os est carié, votre jambe est complètement décalcifiée. »
« Vous avez trouvé monsieur le Major, quant j'ai mon caleçon, je suis calcifié et quant je l'enlève je suis décalcifié. »
« Je vois, dit le Major, que vous êtes une forte tête, je vous réforme. »
« Pendant que vous y êtes, monsieur le Major, réformez donc pour l'abattoir le cheveaux qui ma foutu un coup de pied dans la patte. »
Chevau, ch'vau, g'vau, z'vau : Cheval. Nous disons comme le vieux français un chevau, des chevals.
Le glossaire du Morvan - Eugène de Chambure - 1878
Jusqu'en l'an XI (1802/1803) la taille minimum requise est de 1,598 mètre ; le 8 nivôse an XIII (29 décembre 1804) la taille est abaissée à 1,544 mètre. L'article 176 de l'instruction du 1er novembre 1811 abaisse encore ce minimum à 1,488 mètre. Au début du XIXe siècle la taille moyenne minimum est de 4 pieds 11 pouces 8 lignes (1,62 mètre).
À côté de cela certaines tailles sont obligatoires pour entrer dans certains corps : 1,759 mètre pour les cuirassiers, carabiniers, l'artillerie ; 1,73 mètre dans les dragons ; 1,65 mètre dans les hussards ; 1,759 mètre pour les grenadiers à pied et à cheval de la Garde, l'artillerie et les sapeurs de la Garde ; 1,705 mètre pour les chasseurs à pied de la Garde.
En les voyant habitués dès leur bas âge aux travaux les plus rudes, cultiver péniblement leurs montagnes dans la belle saison, et pendant la mauvaise voyager constamment jour et nuit, exposés à la pluie, à la neige et au froid, en suivant le pas lent de leurs boeufs, on les croirait doués d'une constitution robuste et d'un tempérament athlétique ! Il n'en est rien. Sous ce rapport, il existe une différence énorme entre la population de la ville et du vignoble et celle du Morvan. D'où vient cette différence qui est surtout frappante à l'époque de la conscription qui met en regard, d'un côté le vigneron grand, bien fait, au visage fortement coloré, à la poitrine bien ouverte, aux larges épaules, et de l'autre côté le Morvandeau faible, chétif, aux membres grêles, qui souvent n'a pas atteint, à vingt ans, la taille exigée par la loi pour être soldat ? Elle reconnaît pour cause principale le mode d'alimentation.
En effet, le vigneron est bien nourri ; il mange un pain savoureux fait presque entièrement avec la farine de froment ; il a très souvent de la viande à ses repas et il boit journellement du vin, du moins dans les années abondantes ; tandis que le Morvandeau se nourrit d'un pain de seigle noir et grossier, de bouillie de sarrazin et de pommes de terre. Presque jamais il ne mange de viande ; il ne boit du vin qu'au cabaret où se font tous les marchés, toutes les transactions et alors il s'enivre ; de sorte qu'au lieu de trouver dans le vin un cordial qui restaure ses forces épuisées, il en fait un agent délétère qui ruine sa santé et le dispose aux irritations chroniques et aux engorgements des viscères abdominaux.
Topographie et statistique médicales de la ville et de la commune d'Autun - Louis-Marie Guyton (1794-1869) - 1852
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Les Chansons Illustrées fut une revue - enfin : une sorte de fascicule à peine reliée (un fil !) - de 14 à 18 pages publiée entre 1888 et quelque chose comme 1906-1907
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On reproche parfois aux monographies de donner une vision bien abstraite de la vie dans les villages. C'est ce qui nous a incité à compléter notre reconstitution en consultant les registres de conscrits du XIXe siècle et les registres de contrôle de l'armée sous le 1er Empire.
Nous y avons relevé les natifs du canton de Quarré et de la commune de Saint Agnan. Parmi les conscrits nés de 1881 à 1885 figurent un certain nombre d'enfants de l'assistance publique. Comme le montre le tableau, la taille des hommes a peu changé au cours du XIXe siècle, surtout si on compte à part les enfants de l'assistance publique un peu plus petits.
1er Empire Morvan |
Bourgogne Champagne |
Nés 1832 - 1843 |
Nés 1881 - 1885 | ||
de Quarré |
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Taille moyenne | Taille médiane | ||||
Nombres observés |
Pour le Premier Empire, nous comparons ces tailles à celles d'un échantillon aléatoire de 602 hommes de la région Bourgogne-Champagne. Nos Morvandiaux sont un peu plus petits, ce qui n'est pas étonnant car ils proviennent d'une région particulièrement pauvre.
Si, dans le doute, on s'abstient d'ordinaire, il n'en est pas de même au conseil de révision, très sceptique de nature ;
aussi, quand un petit gars à l'air de se tasser sous la toise ordinaire, on l'étend sur la toise horizontale, et le garçon de bureau s'asseoit dessus...
Après cette épreuve, le conseil est fixé : si le patient n'a pas la taille voulue... ajourné à l'an prochain ; à vingt ans la nature n'a pas dit son dernier mot.
Pour la France entière, la taille médiane des soldats de l'Empire calculée d'après un échantillon de 5 470 hommes, est un peu plus élevée (1,658 m) ainsi que la taille moyenne (1,660 m). A la fin du XIXe siècle, les pupilles de l'assistance publique sont nettement moins grands que les natifs du canton.
Les Morvandiaux de la région de Quarré se distinguent par une proportion d'yeux clairs assez forte ainsi qu'il apparaît au tableau.
Couleur | Canton de Quarré |
Yonne Nièvre Côte d'Or |
Nés 1881 - 1885 | |
Bleu | Gris Bleu | |||
Gris | ||||
Châtain Roux | ||||
Bruns et Noirs | ||||
Total des observations |
Il serait hasardeux, cependant, de déduire de ces proportions que la proportion des yeux clairs a augmenté au cours du XIXe siècle. La vision des couleurs semble en effet avoir varié. Nous ignorons en fait ce qu'étaient les yeux gris, les plus fréquents aux deux époques étudiées.
Quatre villages du Morvan : 1610-1870 - Jacques Houdaille
Les maladies et malformations sont naturellement des causes de réforme. La lecture des archives de l'époque indique d'ailleurs le mauvais état médical de la jeunesse française. Plus d'un conscrit sur deux est réformé... Le manque d'hygiène, les carences alimentaires, l'absence de vaccination, les mariages consanguins, les accidents liés aux accidents du travail dans les campagnes, tels sont les causes profondes des motifs de réforme.
Afin d'échapper à la conscription les jeunes gens imaginent et utilisent tout un ensemble de moyens illégaux ; parmi les plus classiques, il convient de citer :
Les faux certificats médicaux, les mutilations - qui vont des dents cassées pour ne pas pouvoir déchirer les cartouches, aux doigts coupés -, les falsifications de l'état civil avec de faux actes de décès ou des disparitions de registres, la corruption de fonctionnaires, la délivrance de faux passeports, les tromperies sur la personne.
Le décret du 29 décembre 1804 donne une longue liste des principaux motifs médicaux de réforme :
Privation totale de la vue ; la perte totale du nez ; la mutité ; les goitres volumineux ; les écrouelles ulcérées ; la perte totale d'un bras, d'une jambe, d'un pied, d'une main, les anévrismes ; le rachitis (sic) ; la claudication bien marquée ; l'atrophie d'un membre.
On trouve également dans un deuxième tableau : les grandes lésions du crâne ; la perte de l'oeil droit ; la fistule lacrymale ; l'haleine infecte ; la perte des dents incisives ; les ulcères et tumeurs ; les bosses ; la gravelle ; les varices volumineuses ; les maladies de peau ; l'épilepsie, etc...Certaines causes familiales exemptent les conscrits du service :
En premier lieu le mariage, mais à condition qu'il ait lieu avant la date de promulgation de la levée de la classe ; cette mesure donna lieu sous l'Empire à de nombreux mariages de jeunes gens avec des femmes d'un âge avancé..., le conscrit dont le père aura 71 ans ; le conscrit aîné des fils d'une veuve ; les conscrits qui ont obtenu des Grand prix de sculpture, peinture ; ceux autorisés à continuer leurs études ecclésiastiques ; les graveurs du Dépôt de la Guerre ; les élèves des Écoles spéciales militaires ; les fils de colons réfugiés ; les élèves des Écoles vétérinaires.
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Tournée du conseil de révision en 1891
Les conscrits de Moulins-Engilbert sont un peu bruyants, et ceux des communes voisines tâchent d'échapper, autant qu'ils le peuvent, à la loi du recrutement. C'est à peu près le seul canton, avec celui de Montsauche, où l'on trouve quelques simulateurs; encore le nombre eu va-t-il décroissant.
A plusieurs reprises, des jeunes gens achetèrent à des colporteurs de passage une certaine poudre qu'ils s'introduisaient dans les yeux. Cette matière avait la propriété de dilater la pupille et de faire croire que l'individu était atteint d'ophtalmie, tout cela dans le but de se faire exempter du service militaire. Ils complaient sans l'expérience du médecin-major et du conseil de révision; la supercherie était bien vite reconnue et les coupables déférés aux tribunaux.
La plus belle histoire de ce genre est celle qui se produisit à Moulins-Engilbert, en 1879.
Un ajourné de la classe de 1877, à l'appel de son nom, se présente devant le conseil de revision.
Le président lui demande s'il a quelque réclamation à faire; celui-ci lui répond que, depuis le dernier conseil, il lui est survenu une hydrocèle. Le médecin presse le testicule et en fait sortir un jet... d'air.
La supercherie est découverte, mais le Préfet tient à recueillir en séance même les aveux de ce farceur.
« Qui vous a engagé à employer ce subterfuge, pour tromper le conseil de revision et ne pas être soldat? »
Le conscrit, après bien des hésitations :
« Mossieu, c'est ma soeur! »
Quelques minutes après, d'autres conscrits se présentent atteints de la même infirmité. Ils furent interrogés et, en désignant le premier simulateur - qui se tenait à l'écart, par ordre - ils répondirent :
« C'est sa soeur! »
On dut les traduire devant le tribunal, conformément à l'article 60 de la loi du 27 juillet 1872, et ils furent condamnés à trois mois de prison, et, à l'expiration de leur peine, dirigés sur un bataillon d'Afrique.
Il résulta des enquêtes auxquelles fit procéder le parquet que, pour cent sous par tête, la soeur du jeune M... n'avait pas craint de pratiquer une incision et d'insuffler, à l'aide d'une paille ou chalumeau, de l'air entre la peau et le testicule des conscrits qui s'étaient confiés à ses bons soins dans le but de se soustraire au service militaire. Ce truc tourna à leur confusion.
Le remplacement et les lois d'amnistie
D'abord interdit par la loi, le remplacement est autorisé à partir de 1802, sous la pression des notables et de la bourgeoisie.
Le prix d'un remplaçant a beaucoup varié sous l'Empire : de 2 000 à 10 000 francs en moyenne. Cette pratique ne touche guère que 4% des conscrits entre 1807 et 1811 et tombe à 1 à 2% à la fin de l'Empire.
Le prix du remplacement est tout de même de deux à dix ans de revenus pour un paysan pauvre ou un ouvrier agricole.
En l'an X, après le traité de Lunéville avec l'Autriche et la paix d'Amiens avec l'Angleterre, les contrats de remplacement varient entre 100 et 650 francs et sont de 3 800 à 10 000 francs en 1809.
Les contrats, passés devant notaire sont souvent accompagnés de biens en nature (vaches, maïs, seigle, blé, bois). Il convient de signaler que le remplaçant devait faire partie du même canton.
Le remplacement fut aboli (sauf entre parents) par la loi du 26 avril 1855. Pour se libérer de ses obligations " exonération ", il suffisait désormais de verser à l'Etat une somme forfaitaire (ce que coûtait auparavant un remplaçant, environ) variant chaque année et qui alimentait une caisse de dotation de l'armée. Celle-ci devait offrir des primes de rengagement et verser des pensions aux anciens militaires.
La loi Niel du 1 février 1868, supprime l'exonération et rétablit le remplacement et instaure une universalité, cinq années pour les mauvais numéros et six mois à un an pour les bons numéros. La défaite de Sedan en 1870 constitue un choc, car une nation qui a une armée, la France, est vaincue par une armée-nation, celle de la Prusse. L'efficacité de soldats quasi-professionnels s'effondre. S'opère alors un ralliement de la nation à l'obligation personnelle de servir la nation. L'armée doit être l'expression du patriotisme et l'outil de la " revanche ". En 1872, une nouvelle loi décide de supprimer le remplacement.
Cette méthode de conscription par tirage au sort fut supprimée par la loi du 21 mars 1905, sous le gouvernement de " Maurice Rouvier ", qui institue le service militaire obligatoire pour tous les citoyens mâles pour une durée de deux ans, porté à trois ans par la loi du 7 août 1913. Seuls les inaptes physiquement y échappent.
C'est l'époque où être réformé constituait un déshonneur et une quasi certitude de finir vieux garçon : "Bon pour le service, Bon pour les filles". en août 1914, il n'y aura que 1,5% de réfractaires.
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Lorsque quelqu'un avait tiré un mauvais numéro, il pouvait fournir un "remplaçant" qui partirait à sa place. Les prix variaient en fonction de l'offre et de la demande, des risques de guerre, etc.* * * * *
Il est fait état de nombreux cas de remplacements militaires de 1808 à 1814, pour Moulins-Engilbert.
"Il se faisaient même des échanges de numéros entre conscrits, le jour du tirage au sort et les prix variaient suivant que les numéros à échanger étaient plus ou moins élevés ".
Il s'agissait parfois de véritables tractations, comme cet accord conclu en 1809 :
Un certain Roure s'engagea à partir à la place de Charles Guillier "moyennant 4.000 Frs payables trois ans après le retour de Roure; plus 540 Frs payés comptant, plus la fourniture, chaque année à Jeanne Maillot, femme de Roure, de quatre boisseaux de blé, quatre boisseaux de seigle et six voitures de bois; plus la charge de nourrir et loger, sa vie durant le dit Roure lorsqu'il sera de retour du service, blessé ou non, ladite charge étant évaluée à 150 Frs par an".
Gabriel Vannereau
Voilà la classe, voilà la class'
Avec des pip', des pipes, des pipes
Voilà la classe, voilà la class'
Avec des pip' en bois
Ceux qu'ont des pip' en terr'
Y sont d'l'année dernière
Ceux qu'ont des pip' en bois
Y s'en vont dans quéqu' mois
Commençait alors la ronde des cafés du chef-lieu où les rencontres entre villages dégénéraient souvent en batailles rangées. Enfin, mais jamais à jeun, on s'élançait vers chaque commune pour "courir le conscrit". Cette quête parfois commencée avant le Conseil de Révision, durait, dans certaines régions, autant de jours que le groupe comptait de conscrits. On visitait tous les hameaux et écarts de la commune, maison par maison en s'attardant là où résidait une "conscrite" qui devait offrir le repas. Ailleurs on quêtait l'argent avec des troncs, on accrochait à une perche portée par deux gars, les volailles ou lapins offerts, on plaçait dans une hotte les oeufs, lard, victuailles diverses récoltées. On couchait dans les granges. Au hasard de la route, on faisait festin dans un café.
Enfin avant de se séparer, était organisé avec le concours des conscrites qui, elles aussi se libéraient ce jour-là de la tutelle familiale, un banquet et un bal qui marquaient la fin de cette course.
Il ne restait plus qu'à attendre dans l'anxiété, la lettre avec la destination fixée pour l'enrôlement. Cette période était généralement mal vécue par toutes les familles. Pour tous, les 7 années à venir paraissaient une éternité. Les gars par la crainte de l'inconnu, les parents par le vide causé par l'absence du fils, les filles, les promises particulièrement, par la peur de l'éloignement, l'incertitude du retour. En fait la joie, les excès des jours de fête cachaient pour tous, l'angoisse du prochain départ. De nombreux chants et danses de conscrits marquent cette ambiguïté des sentiments. On peut alors imaginer la joie et les réjouissances qui marqueraient le retour des soldats.
Adieu les filles de mon pays
Adieu les filles de mon village - Bis
Car c'est demain que nous partons
Allons-y voir(e) nos maîtresses - Bis
Cher amant tu m'y laisses et tu t'en vas
Tu ne m'y laisses rien pour gage - Bis
Je t'y laisserai mon manteau
Et mon épée en héritage - Bis
Ton manteau, ton manteau, je m'en soucie
De ton épée en héritage - Bis
Oh j'aimerais mieux cent fois mieux
Que tu m'y prennes en mariage - Bis
Sept ans sept ans c'est bien longtemps
Pour y tenir nos belles promesses - Bis
Adieu les filles - Marche de conscrits |
Les trois soldats - Valse du revenant |
Lalala... Le plus grand chantait joyeux |
Le cadet chantait tout bas Le plus jeune chantait si fort |
En 1809, il y avait au 12e régiment de ligne, alors à Strasbourg, un sergent du nom de Pierre Pitois, qui était de cette portion de demi-sauvage, demi-civilisée de la Bourgogne, connue sons le nom de Morvan, et que ses camarades n'appelaient que Pierre-avale-tout-cru. C'était un brave dans toute l'acception du mot, et comme on disait au régiment, un dur à cuire. Toujours le premier et le dernier au feu, il passait pour n'aimer que deux choses au monde : l'odeur de la poudre et le sifflement des balles. Ceux qui l'avaient vu sur un champ de bataille, alors que l'oeil ardent, la moustache hérissée, les narines ouvertes, il se précipitait au plus épais de la mêlée, avaient coutume de dire que le carnage était le bal de Pierre-avale-tout-cru.
Or, un beau jour, notre ami Pierre s'avisa d'adresser a son colonel une lettre par laquelle il demandait un congé pour aller soigner sa vieille mère qui était dangereusement malade, il ajoutait que son père, âgé de soixante-dix-huit ans et paralytique, ne pouvait donner aucun soin à sa pauvre femme. Il promettait de revenir aussitôt que la santé de sa mère serait rétablie.
Le colonel fit répondre à Pierre Pitois que, d'un moment à l'autre, le régiment pouvait recevoir l'ordre d'enter en campagne et qu'il n'y avait à espérer ni congé ni permission.
Pierre Pitois ne réclama pas.
Quinze jours s'écoulèrent : une seconde lettre parvint au colonel.
Pierre annonçait à son colonel que sa mère était morte avec le chagrin de n'avoir vu son fils auprès d'elle ; elle aurait voulu en bonne et tendre mère lui donner une dernière bénédiction.
Pierre sollicitait, cette fois encore, un congé d'un mois. Il disait ne pas pouvoir faire connaître le motif qui l'engageait à demander un congé, c'était un secret de famille. Il suppliait instamment son colonel de ne pas lui refuser cette grâce.
La seconde lettre de Pierre n'eut pas plus de succès que la première. Seulement le capitaine du pauvre soldat lui dit : Pierre, le colonel à reçu ton épitre. Il est fâché de la mort de ta vielle mère, mais i1 ne peut te donner la permission que tu sollicites, car demain le régiment quitte Strasbourg.
- Ah ! le régiment quitte Strasbourg et où va-t-il, s'il vous plaît ?
- En Autriche. Nous allons visiter Vienne, mon brave Pitois. Nous allons nous battre avec les Autrichiens... ça te fait plaisir, n'est-ce pas ?... C'est là que tu t'en donneras, mon brave !
Pierre Pitois ne répondit rien : il semblait plongé, dans de profondes réflexions. Le capitaine le prit par la main, et la lui secouant avec vigueur : Ah ! ça dis donc est-ce que tu es sourd, aujourd'hui. Je t'annonce qu'avant huit jours, tu auras le bonheur de te battre avec les Autrichiens, et tu ne me remercies pas de la bonne nouvelle ! Et tu n'as pas seulement l'air de m'entendre ?
- Si fait, mon capitaine, je vous ai parfaitement entendu, et je vous remercie beaucoup de votre nouvelle ; je la trouve excellente.
- À la bonne heure.
- Si bien donc, mon capitaine, qu'il n'y a pas moyen d'obtenir cette permission ?
- Mais es-tu fou ? Une permission ? la veille d'entrée en campagne !
- Je n'y songeais pas. Nous sommes à la veille d'entrée en campagne. Dans ces moments-là, on ne donne pas de permission.
- On n'en demande même pas !
- C'est juste ! On n'en demande même pas. On aurait l'air d'un lâche. Aussi, celle que je voulais, je ne la demande plus : je m'en passerai.
- Et tu feras bien.
Le lendemain, le 12e de ligne entrait en Allemagne.
Le lendemain, Pierre Pitois dit Avale-tout-cru, désertait.
Trois mois après, pendant que le 12e de ligne, après avoir recueilli dans les champs de Wagram une ample moisson de gloire, faisait dans Strasbourg une entrée triomphale, Pierre Pitois était ignominieusement ramené à son corps par une brigade de gendarmerie.
Bientôt un conseil de guerre s'assemble. Pierre Pitois est accusé d'avoir déserté alors que ce régiment allait se trouver face à face avec l'ennemi.
Ce conseil de guerre, présenta un spectacle singulier. D'une part, il y avait un accusateur qui disait : « Pierre Pitois, vous, un des plus braves soldats de l'armée, vous, sur la poitrine duquel brille l'étoile de l'honneur, vous qui n'avez jamais encouru ni une punition ni un reproche de la part de vos chefs, vous n'avez pu quitter votre régiment - le quitter presque à la veille d'une bataille - sans avoir été entraîné par un motif puissant. Ce motif, le conseil demande à le connaître, car il serait heureux de pouvoir - sinon vous acquitter, il ne doit ni ne le veut, mais du moins - vous recommander à la bienveillance de l'Empereur.» D'autre part, l'accusé répondait : « J'ai déserté sans raison, sans motif, je ne me repens pas. Si c'était à refaire, je le referais. J'ai mérité la mort : condamnez-moi ! »
Puis, des témoins vinrent, qui dirent : « Pierre Pitois a déserté, nous le savons, mais nous ne le croyons pas. D'autres : Pierre Pitois est fou : le conseil ne peut condamner un fou. Ce n'est pas à la mort, c'est à l'hôpital qu'il faut l'envoyer. »
Peu s'en fallut que ce dernier parti ne fût adopté, car il n'y avait personne dans le conseil qui ne considérât la désertion de Pierre Pitois, dit Avale-tout-cru, comme une de ces singularités en, dehors des possibilités humaines que nul ne comprend, mais que tout le monde admet.
Cependant l'accusé se montra si simple, logique dans sa persévérance à réclamer une condamnation, ce fut avec une si audacieuse franchise qu'il proclama son crime, répétant sans cesse qu'il ne le regrettait pas, la fermeté dont il fit preuve, ressembla tellement à une bravade, qu'il n'y eut pas moyen de se réfugier dans la clémence. La peine de mort fut prononcée.
Lorsqu'on lui lut son arrêt, Pierre Pitois ne sourcilla pas. On l'engagea vivement à se pourvoir en grâce : il refusa.
Comme chacun devinait qu'au fond de cette affaire il y avait quelque étrange mystère, il fut décidé que l'exécution de Pierre Pitois serait suspendue. Le condamné fut reconduit à la prison militaire : on lui annonça que, par suite d'une faveur toute spéciale, il avait soixante douze heures pour présenter son recours en grâce ; il plia les épaules et ne répondit pas.
Or, voici qu'au milieu de la nuit qui précédait le jour fixé pour l'exécution, la porte du cachot de Pierre roula doucement sur ses gonds, un sous-officier de la jeune garde s'avança jusqu'au bord du lit de camp où dormait le condamné, et, après l'avoir contemplé quelque temps, l'éveilla. Pierre Pitois ouvrit de grands yeux, et regardant autour de lui :
« Ah ! dit-il, c'est donc l'heure ?... Enfin !
- Non, Pierre, répondit le sous officier, ce n'est pas l'heure encore, mais bientôt elle sonnera.
- Et que me voulez-vous ?
- Pierre, tu ne me connais pas, et moi, je te connais. Je t'ai vu à Austerlitz, et tu t'y es comporté en brave. Depuis ce jour-là, Pierre, j'ai conçu pour toi, une vive et sincère estime. Arrivé d'hier à Strasbourg, j'ai appris et ton crime et ta condamnation. Comme le geôlier est un de mes parents, j'ai obtenu de lui qu'il me fût permis de venir te dire : Pierre, celui qui va mourir regrette souvent de n'avoir pas près de lui un ami auquel il puisse ouvrir son coeur et confier quelque saint devoir à remplir. Pierre, si tu y consens, je serai cet ami.
- Merci, camarade, répondit Pierre d'une voix brève.
- N'as-tu rien à me dire ?
- Rien.
- Quoi ! pas un adieu pour ta fiancée, pour ta soeur ?
- Une fiancée ?... une soeur ?... Je n'en eus jamais.
- Pour ton père ?
- Je n'en ai plus ! Il y a deux mois qu'il est mort entre mes bras.
- Pour ta mère ?
- Pour ma mère !... dit Pierre, dont la voix subit tout à coup une altération profonde, pour ma mère!... Ah ! camarade, ne prononcez pas ce nom-là, voyez bien, je ne l'ai jamais entendu, je ne l'ai jamais entendu, je ne l'ai jamais dit dans mon coeur, sans me sentir ému comme un enfant. Et, dans ce moment, il me semble que si je parlais d'elle.
- Eh bien !
- Je pleurerais. Et pleurer, ce n'est pas d'un homme ! Pleurer, continua-t-il avec exaltation, pleurer quand je n'ai plus que quelques heures à vivre, ah ! ce serait n'avoir pas de coeur !
- Tu es trop sévère, camarade. Je crois avoir, Dieu merci, autant de coeur qu'un autre, et cependant, je pleurerais sans honte, en parlant de ma mère.
- Vrai ! dit Pierre, en saisissant avec vivacité la main du sous-officier, vous êtes homme, vous êtes soldat, et vous ne rougiriez pas de pleurer ?
- En pensant à ma mère ?... Non, certes. Elle est si bonne, elle m'aime et je l'aime tant aussi !
- Elle vous aime ? vous l'aimez ? Oh ! alors, je veux tout vous dire à vous, mon âme est pleine, il faut qu'elle déborde, et quelque étranges que puissent vous paraître les sentiments qui m'animent, vous n'en rirez pas, j'en suis sûr. Ecoutez-moi donc, car ce que vous disiez tout à l'heure est bien vrai, on est heureux, lorsqu'on va mourir, d'avoir un coeur pour épancher son coeur. N'est-ce pas que vous voulez bien m'entendre ? N'est ce pas que vous ne rirez pas de moi ?
- Je t'écoute, Pierre. L'homme qui va mourir ne peut jamais exciter que commisération et sympathie.
- Vous saurez que, depuis que je suis au monde, il n'y a qu'une personne que j'aie jamais aimée, c'est ma mère !... Mais celle-là je l'ai aimée comme on n'aime pas, de tout ce qu'il y avait en moi de force et de vie. Tout petit, je lisais dans ses yeux comme elle lisait dans les miens. Je devinais ses pensées, elle savait les miennes. Pour mon coeur, elle était moi ; pour son coeur, moi, j'étais elle. Je n'ai jamais eu ni amoureuse ni maîtresse. Ma mère m'était tout. Donc, quand on m'appela sous les drapeaux, quand on me dit qu'il fallait la quitter, je fus pris d'un violent désespoir, et je déclarai que, dût-on employer la violence, on ne me séparerait pas vivant de ma mère. D'un mot, elle qui était une sainte et courageuse femme, changea toutes mes résolutions : « Pierre, il faut partir, me dit-elle, je le veux. Je m'agenouillai et je lui dis : Mère, je partirai. - Pierre, ajouta-t-elle, tu as été bon fils, et j'en remercie Dieu ; mais les devoirs de fils ne sont pas les seuls qu'un homme aient à remplir. Tout citoyen se doit à son pays ; il t'appelle, obéis ! Tu vas être soldat ; dès ce moment, ta vie ne t'appartient plus, elle est au pays. Si ses intérêts là réclament, ne la marchande pas. Si Dieu voulut que tu mourusses avant moi, je te pleurerais de toutes les larmes de mon coeur mais je dirais : Il me l'avait donné, il me 1'a ôté ; que son saint nom soit béni ! Pars donc, et si tu m'aimes, fais ton devoir ! » Oh ! les paroles de cette sainte, je les ai retenues. Fais ton devoir avait-elle dit ; or, le devoir du soldat, c'est d'obéir partout et toujours : partout et toujours j'ai obéit. C'est encore d'aller droit devant soi, au travers du péril, sans hésiter, sans réfléchir ; et je suis allé droit devant moi, au travers du péril, sans hésiter, sans réfléchir. Ceux qui me voyaient marchand ainsi au-devant des balles, disaient : « En voilà un qui est brave ! » Ils auraient dit avec plus de raison : « En voilà un qui aime bien sa mère ! »
« Un jour, il arriva qu'une lettre m'apprit qu'elle était malade ; pauvre chère femme ! je voulus aller la voir. Je demandai un congé ; on ne me le donna point. Je me rappelai ses dernières paroles : « Si tu m'aimes, fais ton devoir !» Je me résignai. Peu après, je sus qu'elle était morte. Oh ! alors ma tête se perdit. A tout prix, malgré tout, je voulus retourner au pays. D'où me venait ce désir si vif, si impétueux de revoir les lieux où ma mère venait de mourir ? Je vais vous l'avouer ; et puisque vous avez une mère, puisque vous l'aimez, puisqu'elle vous aime, vous me comprendrez.
Maintenant, je vais mourir, et si, comme vous me l'avez assuré, j'ai en vous un ami, je mourrai sans regrets, car vous me rendez le service que j'attends de vous. Cette fleur que je suis allé cueillir sur une tombe, au péril de ma vie, elle est là, dans ce sachet que vous voyez suspendu sur mon cou. Promettez-moi de veiller à ce qu'on ne la sépare pas de moi. C'est le lien qui m'unit à ma mère, et si je croyais qu'il dut être rompu oh ! je mourrais sans courage. Dites, me promettez-vous de faire ce que je vous demande ?
- Je te le promets.
- Oh ! votre main, que je lai presse sur mon coeur ! Oh ! vous si bon pour moi, je vous aime ; et si Dieu, par un effet de sa toute puissance, me donnait une seconde fois la vie, je voudrais vous la consacrer.
Les amis se séparèrent.
Le lendemain, comme on était arrivé au lieu désigné pour l'exécution, comme déjà la sentence fatale venait d'être lue, de sourdes rumeurs, puis de longs cris coururent dans les rangs : « L'Empereur ! c'est l'Empereur !... Vive l'Empereur !... »
A quelques années de là, Pierre, qui alors était capitaine dans la vieille garde, tombait sur le champ de bataille de Waterloo, et, frappé à mort, il trouvait encore assez de vigueur pour crier d'une voix ferme : « Vive l'Empereur ! Vive la France ! Vive ma mère ! ».
Le myosotis par Ed. MOR1N. - Le Diable rouge (Toulon). 1912/02/24-1912/03/02.
Petite histoire du service militaire en France - Philippe Nithart
Topographie et statistique médicales de la ville et de la commune d'Autun - Louis-Marie Guyton (1794-1869) - 1852
Quatre villages du Morvan : 1610-1870 - Jacques Houdaille
Le journal amusant du 27 juin 1874 - Paris
Les conscrits - Hippolyte Marlot - Revue des traditions populaires - 1909
Le Morvan cour de la France - Tome II (pages 77 à 82) - J. Bruley - 1966
Tournée du conseil de révision en 1891 - Imprimerie nivernaise - 1891
La conscription sous le premier empire - Revue du Souvenir Napoléonien - Alain Pigeard
Moulins-Engilbert au XIXe siècle - Gabriel Vannereau - Ed. Desvignes, Nevers - 1972
Les conscrits de 1830 - Robert MONIN - Président du groupe folklorique "Les Enfants du Morvan" de juin 1975 à juin 2000