Le MorvandiauPat | La lessive |
Arzent économisé à boire
Met du linge dans l'armoire.
De tous les travaux ménagers, la lessive, appelée "bue" en Bourgogne et Morvan bourguignon, "buie ou buye" en Morvan nivernais et Nivernais, était jadis le plus marquant.
L’événement ne se produisait pas souvent ; la lessive était quelquefois bi-annuelle ou même annuelle, grâce aux piles de linge qui emplissaient presque toujours les armoires de nos campagnes.
On choisissait de préférence, pour faire la lessive, le printemps ou la fin de l’été.
Dès la veille du jour fixé, la ménagère devenait fiévreuse. La servante qui restait les bras ballants, ou qui prononçait une parole de trop, était vertement rabrouée. Les hommes n’avaient plus guère accès à la cuisine, et les enfants ne s’aventuraient plus dans les jambes des ouvrières ! Les bêtes familières perdaient elles-mêmes le droit de faire leur sieste autour de l’âtre
Tandis qu’une servante procédait au "trempa" à l’eau froide et à "l’essangeage ou essouingage" - lavage à l’eau pure pour faire disparaître les malpropretés que l’eau suffit à enlever, afin de moins salir la lessive -, la ménagère apportait la selle à trois pieds et y disposait le "cuvier, cuveau ou mortier" en bois de chêne.
Elles déchargèrent la brouette, disposèrent les deux baquets derrière elles et se mirent en devoir d’ "essouinguer" le linge. Quand c’était un drap, elles le trempaient à elles deux, chacune tenant le même bord, avant de le retourner et elles le laissaient aller dans l’eau en l’agitant. Sans savon, simplement en repliant la toile contre la toile, elles ne frottaient que les grosses taches. Quand c’était des chemises, elles en prenaient chacune une. Mélanie avait bien remarqué que Lucie les triait et qu’elle trempait de préférence les chemises d’Adrien, mais ce n’était pas un matin à rire.
A faire ce travail, on avait chaud au corps et froid aux mains. L’eau était claire et glacée. De temps en temps, il fallait bouger pour se dégourdir les genoux. Les filles ne se parlaient toujours pas. Un baquet se vidait et l’autre se remplissait dans le même temps. Elles travaillèrent vite car elles occupaient ainsi les silences. Quand elles furent au bout, elles ramenèrent d’abord la brouette sur le chemin, puis le baquet plein qui était très lourd maintenant que le linge était mouillé, puis l’autre baquet, le vide, et elles remontèrent vers la ferme.
En chemin, Lucie relaya plusieurs fois sa cousine pour pousser la brouette. Quand elles arrivèrent à la ferme, elles étaient en nage.
— Vous en avez mis un temps.
Les filles déchargèrent les baquets. La mère avait préparé d’autre linge.
Elles repartirent au ru. Il devait être dans les onze heures. Quand elles remontèrent, il était beaucoup plus de midi, tout le monde était déjà à table. La mère les fustigea encore pour leur retard. De tout le repas, Lucie ne leva pas la tête et Adrien eut tout le loisir de la regarder.
L’après-midi, les filles retournèrent deux fois au ru. Le soir, elles étaient moulues. Le dos, les genoux, les mains leur faisaient mal. Elles furent les premières couchées
Un trou circulaire de trois à quatre centimètres de diamètre, appelé "goulotte ou coulotte", était aménagé dans le fond du cuvier. La ménagère y enfonçait "à force" une petite "mèche de gluis" pour faciliter l'écoulement des eaux de lessives. Au-dessous du cuvier, sous la "goulotte", elle plaçait une cuve ou baquet plus petit pour recevoir les eaux. Il ne restait plus qu'à mettre, dans le cuvier, un petit fagot de bouleau ou de sarments au-dessus de la "coulotte", et à ranger le linge à lessiver. Dans le sud du Morvan, en Charolais et Bourbonnais, le fagot destiné à maintenir un écart entre le linge et la "coulotte" était quelquefois remplacé par une mâchoire de porc.
Le lendemain, c’était jour de lessive, jour de bue. Tout le monde fut levé avec le petit matin. Les filles avaient des courbatures, mais ce n’était pas le moment de traîner et elles allaient les oublier en travaillant.
Tout de suite après la traite, les hommes installèrent la grande cuve sous la remise, sur un large trépied de bois percé en son milieu, puis ils partirent aux champs, le reste regardait les femmes.
Le grand cuvier de bois avait environ deux mètres de diamètre sur un peu plus d’un demi de hauteur. Tout de suite, la mère de Mélanie alla chercher une poignée de glui qu’elle tordit avant de l’introduire en force dans un petit trou qui se trouvait au fond et au milieu du cuvier. Elle avait disposé cette espèce de bouchon de telle manière que le faisceau de glui allait dépasser le dessous d’une dizaine de centimètres. Lucie, Mélanie et sa petite soeur étaient autour.
— Ne restez pas là à me regarder. Mélanie, va me chercher un fagot de bouleau et toi, Lucie, commence à amener les baquets. Non, attends, je vais aller avec toi.
Mélanie disposa une ramée de petites branches de bouleau au fond de la cuve, sur la coulotte de glui.
En partant vers la maison avec Lucie, la mère avait demandé la plus jeune de ses filles d’aller chercher le drap de lessive.
Tout le monde revint au bout d’un instant, la mère et Lucie avec un premier baquet, Solange avec un grand vieux drap.
— Les filles, allez mettre de l’eau à chauffer et vous reviendrez avec les autres baquets.
Les filles durent aller au puits plusieurs fois pour remplir l’énorme marmite accrochée à la crémaillère. Dessous, elles firent un gros feu de ramées. Pendant ce temps, la mère disposait dans le cuvier, au-dessus de la coulotte et des branches de bouleau qu’on mettait là pour que la paille de glui ne soit pas écrasée et chassée par le poids du linge, le grand vieux drap qui débordait largement les bords et qui allait envelopper toute la lessive. Ensuite, la mère commença à disposer des draps.
L’empilage du linge était fait dans un ordre déterminé. On mettait d’abord un vieux drap, qui entourait tout l’intérieur du cuvier et dépassait les bords de quelques centimètres. On plaçait par-dessus les draps, le linge de corps, le linge de table et les torchons. On plaçait entre chaque couche de linge, bien égalisée, des lamelles de savon et des chapelets de racines odorantes, généralement des racines d’iris desséchées au soleil ou au four.
Les filles étaient revenues.
— Vous n’avez même pas ramené les lamelles de savon et les racines ? Je ferais mieux de me faire aider par les corbeaux.
Les filles repartirent. Le jour de la bue, tout le monde courait, habité par une sorte de fébrilité quand même joyeuse. C’était un grand moment la lessive, on ne faisait cela que deux fois l’an.
— Surveillez votre feu !
La mère avait disposé en une bonne couche tous les draps. Entre chaque épaisseur de linge, elle allait mettre des lamelles de savon et des racines d’iris pour la senteur. Les filles avaient recommencé amener des baquets et aidaient à l’entassement. La petite Solange, elle, n’atteignait pas le haut du cuvier et, pour voir, elle était montée sur le tas de bois.
Après les draps, les femmes disposèrent le linge de corps et les vêtements et c’était plaisir de se souvenir des moments où on les avait portés : la jupe que Mélanie avait mise pour la fête à Saint-Martin, la coiffe que la mère portait au repas d’accordailles. Toute une année qu’on revivait là, autour de la cuve. Après, elles mirent les vêtements de travail. La mère était toujours nerveuse.
— C’est pas bien essouingué tout ça.
Après, elles mirent le linge de maison, les nappes et les serviettes, les torchons. Le cuvier était presque plein. Quand elles eurent disposé les dernières lamelles de savon et les dernières racines, Lucie, Mélanie et sa mère se mirent autour du cuvier et elles rabattirent les bords du drap de lessive au-dessus de l’ensemble.
Ensuite, toutes trois partirent vers la ferme. Solange courait autour d’elles.
Lorsque le cuvier était rempli jusqu’à quinze centimètres du bord, on rabattait le drap d’enveloppement et l’on étendait par-dessus le tout un drap de grosse toile de chanvre appelé "charrier" en Morvan nivernais et "flairé" en Morvan bourguignon. Dans ce "charrier ou flairé", on étendait dix à quinze centimètres de bonne cendre de bois, de laquelle on avait retiré les impuretés et les braises. La cendre de chêne passait pour être la meilleure. Les cendres blanches contiennent des sels minéraux qui sont des sels de potassium et de sodium. Allongés à l’eau chaude, ces sels se transforment en alcalis, carbonate de potassium et carbonate de soude, qui sont encore à la base de toutes les lessives.
1778 - Soit que les chanvres de la Bourgogne soient de meilleure qualité, & qu'ils aient des fibres plus déliées & plus propres à faire une bonne pâte de papier; soit que les cendres des bois qu'on emploie dans les lessives, ne fatiguent pas autant le linge que celles des autres pays.
LA CENDRE
De la sorte - parlant par la voix du Curé -
La cendre de l'âtre interpelle
La chambrière antique à l'air dur et madré
Qui vient la prendre avec sa pelle :
« Epargne-moi donc, bonne vieille !
Ne va pas encore me noyer,
Laisse-moi dans ce grand foyer
Où si doucement je sommeille.
Tu ne verras pas rougeoyer
Toujours la lumière vermeille.
En terre obscure, à poudroyer,
Un jour, tu seras ma pareille.
Voici que ton âge succombe ;
Nous allons être sœurs ainsi :
Moi, je serai poussière ici,
Et toi, poussière dans la tombe. »
La vieille qui croit plus encor
A l'existence qu'à la mort,
Lui répond, tremblante et poussive :
« Poussière et cend'? tant q'tu voudras
Quand je n'blanchirai plus mes draps…
En attendant, fais ma lessive ! »
Lucie alla remettre un fagot sous la marmite. La mère chercha dans le cellier le grand drap de chanvre, le flairé, dont elle se servait pour chaque bue. Mélanie et sa petite soeur ressortirent avec une grande caisse de bois pleine de cendre de chêne, des feux de tous ces derniers jours, cendre que, la veille au soir, la mère avait débarrassée de ses tisons. Elles revinrent encore toutes autour du cuvier. A elles trois, je devrais dire à elles quatre, parce que la petite Solange avait roulé au bord de la cuve un gros billot de bois pour se hisser à hauteur du bord, elles étendirent le drap de chanvre sur le cuvier puis, à pleines mains, elles disposèrent sur toute la surface dix à quinze centimètres de cendre. Après, elles replièrent les bords du flairé au-dessus du cuvier puis elles retournèrent encore vers la ferme.
Dès le lendemain matin, la ménagère ou son aide accrochait la plus grosse marmite à la crémaillère, la remplissait d’eau et activait rapidement le feu au moyen d’un gros fagot de "ramée". Lorsque l’eau commençait à chauffer, on mouillait la cendre et on commençait le "coulage" à l’aide d’un pot à anse. L’eau chaude, traversant le linge, y faisait pénétrer les sels de potasse fournis par la cendre, et s’écoulait dans la marmite par l’intermédiaire du pot à anse et ainsi de suite.
Le niveau d’eau dans le cuvier devait dépasser la cendre de deux ou trois centimètres, et le coulage devait durer toute la journée. Le ruissellement de l’eau par la "coulotte ou goulotte" devait être continu. L’un des secrets, pour couler une bonne lessive, était d’augmenter progressivement la chaleur de l’eau de lessive. Le soir, on recouvrait le cuvier d’une couverture pour maintenir la chaleur, et on laissait reposer toute la nuit.
Dans la cheminée, l’eau frissonnait dans la marmite. La mère envoya Lucie chercher un récipient quelconque avec une poignée, et Mélanie des brocs de fer. Celle-ci rapporta les brocs mais Lucie, en guise de récipient, n’avait déniché qu’un vase de nuit de porcelaine blanche. Les filles Huhant éclatèrent de rire.
— J’ai trouvé que ça.
Lucie riait aussi, contente de son effet.
— Que t’es sotte. Comment la sœur de l’Emile a-t-elle pu mettre au monde une fille comme toi?
Mais la mère riait aussi.
Elle partit au cellier et revint avec une sorte de seau bas qui avait une poignée sur le côté.
Les brocs furent remplis d’eau chaude. On attisa le feu. On remit un seau d’eau froide pour remplir à nouveau la marmite et elles retournèrent au cuvier.
La mère demanda à Solange, la plus petite, de se glisser sous le cuvier et d’installer le seau à poignée juste à l’aplomb de la coulotte, puis, ayant pris chacune un grand broc d’eau chaude, elles commencèrent à arroser la bue. Elle faisait couler l’eau lentement sur toute la surface du drap de chanvre. Quand les brocs furent vides, elles retournèrent à la maison pour les remplir. Il fallut encore remettre un fagot sous la marmite.
— Pour que la bue soit bonne, il faut mettre de l’eau de plus en plus chaude, expliqua la mère.
Et comme la première était frissonnante, elles attendirent un peu que la suivante soit au bord de l’ébullition. Les femmes avaient chaud. Elles s’épongeaient le front avec le revers de leurs manches.
Elles remplirent le cuvier jusqu’à ce que l’eau recouvrît complètement le flairé. A la fin, quand l’eau fut à ras bord, la mère demanda à Mélanie de se pencher et d’aller voir comment se comportait la coulotte. Mélanie se mit à genoux. Du petit bouchon de paille de glui, l’eau s’écoulait goutte à goutte dans le seau qu’elles avaient glissé là.
Toute la journée, les filles allaient devoir recommencer à arroser la bue, mais uniquement avec l’eau d’écoulement de la coulotte. Au début, toutes voulaient y aller en même temps, d'’ailleurs, elles y allèrent souvent ensemble, mais à la fin de la journée, la mère devait crier un peu pour que les filles consentissent à se déplacer pour retirer le seau et réarroser le flairé.
Le lendemain on découvrait, on retirait le "charrier" que l’on vidait de son contenu dans le coin du jardin, on empilait le linge sur une brouette recouverte d’un drap, et on procédait au rinçage. Celui-ci s’opérait soit au lavoir communal, soit dans la rivière, le ruisseau ou l’étang. L’eau courante du ruisseau était choisie de préférence, et le pré offrait ses libres espaces pour le séchage du linge.
Elles voulurent plier et ranger la couverture qui recouvrait le cuvier. Elles se proposèrent pour aller jeter les cendres dans le jardin. Elles sortirent le linge et l’essorèrent au-dessus de la grande cuve avant de le disposer dans les baquets de bois…
…En retirant vêtements, torchons, nappes, serviettes et draps, elles les présentaient à chaque fois au soleil, comme dans les rites païens, mais c’était d’abord pour pouvoir juger de la propreté du linge et pour le plaisir de constater qu’il l’était à souhait.
La veille, au bord du cuvier, elles avaient revécu l’année écoulée, à cet instant, au même endroit, elles se projetaient dans l’avenir.
— Oh tiens, je mettrai ça dimanche, disait Mélanie en sortant un châle de sa mère.
— C’est le mien, protestait l’autre.
— Oh, s’il te plaît.
Et la mère hochait la tête, mi fâchée, mi souriante.
Puis reprenait le bavardage.
Quand elles eurent rempli les trois baquets, le cuvier était loin d’être vide. Lucie alla chercher la brouette. Mélanie y étendit un vieux drap et elles continuèrent d’entasser le linge à même la brouette…
Après séchage et repassage au moyen du fer rustique dans lequel on introduisait une plaque de fer chauffée au rouge dans la cheminée, le linge fleurant bon la bonne lessive venait à nouveau s’empiler pour plusieurs mois dans la grande armoire, dont la maîtresse de maison gardait soigneusement la clef.
L’eau de lessive, appelée "lessis" ou "luchu", encore douée de puissantes propriétés détersives, était utilisée pour le nettoyage des ustensiles très sales et pour laver le dallage des habitations.
Le vieux procédé de lessive, remis quelque peu en vigueur pendant les années d’occupation 1940-1944, où les produits détersifs étaient très rares, avait l’avantage de nettoyer parfaitement le linge sans le brûler, le détériorer, ni l’user.
La robe de première communion était à peine repliée et serrée dans un carton saupoudrée de camphre que la fille commençait son trousseau. Il n'était pas trop, en effet, de six ou sept ans pour le confectionner, et ceci est plus important qu'on ne pense, car c'est tout le système de vie qui s'organise autour de cette prodigieuse quantité de vêtements, de sous-vêtements, de draps, de taies, de mouchoirs et de torchons, que la fille accumule depuis sa treizième année.
Qu'elle se marie ou reste "cloche sans battant", célibataire (il suffit d'une guerre), le trousseau complet est le plus sûr des placements, la plus riche des dots, mais surtout le gage le plus parfait d'une vie domestique agréable et facile. J'en reparlerai, mais il faut bien insister sur le fait que si l'on a douze paires de draps dans l'armoire, quatre douzaines de torchons, six douzaines de mouchoirs, deux douzaines de chemises de nuit, deux douzaines de chemises de jour, et tout à l'avenant (et c'était là un minimum), on peut se contenter de ne faire que deux, trois, au plus quatre lessives par an ! Eh oui, petites minettes d'aujourd'hui qui êtes obligées d'en faire une par semaine, ou même deux ! nos arrière-grands-mères n'y pensaient que quatre fois par an, et ces jours-là, en raison de leur rareté, se transformaient en une espèce de fête. Ces jours-là, on mangeait le "plat de lessive", "le cul de veau aux épinards", pour faire honneur à la laveuse qui venait "donner la main". Le rythme des jours se trouvait brisé, la maison était en "pataroux", tout était autre.
...Toujours est-il qu'au plus petit moment de loisir, la fille retournait à ses aiguilles. Ourler et marquer au point de plumetis une trentaine de draps, une cinquantaine de torchons, autant de serviettes, soixante-dix mouchoirs, broder autant de chemises de nuit et de jour, tout en surveillant du coin de l'oeil la soupe qui cuit, le fromage qui "égoutte", la couvée de canards qui éclot, la vache qui vèle, les pintades qui se branchent aux cinq cents tonnerres, mettre le couvert,"échauder" la vaisselle, "raccommoder les hommes", tricoter les chaussettes et les bas, repriser... (ah les reprises de mes arrière-grands-mères, ces reprises quasiment invisibles à l'oeil nu !), "donner aux gélines", "aller qu'ri de l'iâ" au puits (aller chercher de l'eau) et "aider aux champs" ou "à la vigne"... Oui, il n'y avait pas trop de sept ans, surtout si l'on pense que la laine venait du dos des moutons, qu'elle avait été tondue, lavée, lessivée, rincée en rivière, séchée au pré, filée, ainsi que le chanvre des camisoles, que les couvertures, les courtepointes avaient été tricotées aux veillées.
Oui, la formation professionnelle durait sept ans : celle de "mâtrosse", de maîtresse de maison, cheville ouvrière du foyer, impératrice du domaine, si petit fût-il.
Sept ans d'études pour devenir impératrice, ce n'était pas trop long, qu'on m'en croie !
Je vais essayer de vous raconter la façon dont ma grand-mère faisait la lessive (bue) dans un grand cuvier avec de la cendre de bois qu'on prenait dans la "fornotte" *, il ne fallait pas jeter de peaux de fruits ou de châtaignes, dans celle-ci, cela tachait le linge ; au contraire, les coquilles d'oeufs blanchissaient.
Donc ce jour là grand branle-bas, mon père apportait le trépied ou trois pieds, il avait un autre nom en patois dont je ne me souviens pas, le cuvier qu'on posait dessus la tenotte, baquet en bois qui tenait deux ou trois seaux d'eau et qu'on mettait sous le trou du cuvier : dans ce trou, on avait introduit un morceau de glui (ou yau) plié en deux et maintenu à l'intérieur du cuvier par un petit bâton. Ceci s'appellait la picherotte, c'est-à-dire que l'eau pissait par là. Voilà le matériel. On commençait par mettre quelques branches de fagot au fond du cuvier pour faciliter l'écoulement de l'eau et un petit sac contenant des racines d'iris pour parfumer (elles sentaient meilleur après deux ou trois lessives), ensuite un "sarée" * (grande pièce de grosse toile dans laquelle on mettait des cendres. On commençait alors à mettre le linge, ma grand-mère disait "entneiller" *, c'est-à-dire empiler en croisant d'abord les pièces peu délicates, la cendre risquant de tacher un peu, sacs qu'on envoyait au moulin (ceux-ci étant aussi en toile de chanvre) ou vieux draps.
Le linge le plus sale avait été savonné à l'avance, les torchons, surtout, les serviettes... On terminait par une vieille pièce comme au début, car sur le dessus on remettait un sarée de cendres.
Pendant ce temps, on avait mis à chauffer, pendue à la crémaillère, la grosse marmite (40 litres) où on faisait cuire les pommes de terre à cochon, remplie d'eau bien sûr, et ma grand-mère commençait à arroser, tiède au début et de plus plus chaude, bouillante à la fin, suivant que l'eau tombait dans la tenotte on la remettait à chauffer : c'était la "luchi" * ou lessive qu'à la fin devenait brune comme du thé fort et croyez moi mordante. On laissait ainsi reposer toute la nuit et le lendemain on allait rincer au lavoir. Le linge était en général aussi blanc qu'avec n'importe quel mode de lavage actuel, mais quel travail ! On ne faisait cela que deux ou trois fois l'an, c'est pourquoi les armoires devaient être bien fournies en linge.
* Glossaire du Morvan - E. de Chambure - 1878 :
Fornotte : Cavité ménagée dessous la gueule du four pour recevoir les cendres; petit four.
Cenré : Linge qu'on étend sur la cendre du cuvier où se fait la lessive. Voir fleuret.
Fleuret : Nappe qu'on étend sur le cuvier de lessive entre le linge et la cendre.Cette nappe sert à quelques autres usages. Le terme français est charrier, parce que la toile du cuvier renferme la charrée ou cendre.
Ent'noueiller, Ent'nôllher : Encuver, mettre le linge sale dans le cuvier pour la lessive.
Luchi : Résidu de la lessive (L'chu, Lussu)
L'chu : Résidu de la lessive, eau chargée des sels et autres matières en dépot. Syncope de luchu.
Lussu : Le "lussu" ou "luchu", suivant la forme locale est l'eau mêlée de cendre qui découle du cuvier de lessive.
- Pour ne pas porter malheur aux enfants, il ne faut pas laver leur linge le jour du quinze août (Assomption), ni les jours de Bonne-Dame (2 février, 25 mars, 8 septembre, 8 décembre).
- On ne lave pas à l'octave des morts (2 au 9 novembre).
- On ne lave pas également les trois derniers jours de la semaine sainte, sauf le samedi soir, car pendant ce temps, le Bon Dieu est en repos.
- En mai on ne fait aucune lessive et même on ne change pas ses draps, car si l'on devenait malade, c'est dans ces draps-là que certainement l'on mourrait.
- Il faut faire bien complètement la lessive du linge d'un mort, car s'il restait des taches dans du linge incomplètement mouillé, il mourrait un membre de la famille dans l'année. En outre, quand on fait cette lessive, tous les habitants du village (au moins une grande personne par foyer) doivent mettre dedans une pièce d'un linge personnel, si petite soit-elle, afin que l'âme du défunt soit tranquille au ciel. Ce sont sans doute autant de pièces à conviction qui attestent la sympathie dont il était entouré ici-bas.
La lessive - La coulée - Le cuvier - Les baquets : Jean Drouillet - de l'Académie des Provinces Françaises
Illustrations tirées du livre : Jours et travaux d'autrefois - La lessive - Louis Lavigne
"Lai bue" - Collectage de Lai Pouèlé paru dans "L'almanch du Morvan" de 1977 pages 44 et 45
La vie quotidienne des paysans bourguignons au temps de Lamartine - Henri Vincenot pages 240 et 241
Glossaire du Morvan - E. de Chambure - 1878
"Les Etangs de Marrault" - Roman de Francis Farley - 1987
Folklore de la région de Fours (1886) - Sylvain Commeau - Mémoires de la Société académique du Nivernais - 1928 (T30).