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C'est pas tout le monde qui connaît le Morvan
Etang-sur-Arroux : autour d'une cérémonie et d'un repas de noce...

On se méprendrait grandement si l'on croyait que le mariage, la formation d'un couple, aujourd'hui laissé à la fantaisie de chacun, fut en cette époque, une affaire personnelle. Un mariage concernait le village entier, et même deux villages si les fiancés étaient de deux communautés différentes. En vérité c'était le clan qui avait à consacrer l'union après l'avoir mûrement acceptée et vigoureusement éprouvée.
Par exemple, lorsqu'un garçon d'un autre village venait courtiser une fille, il y avait d'abord bataille. On recevait le transfuge à coups de trique, quelquefois factices, souvent réels et violents.
Même le courtisement qui précédait les fiançailles était réglé et contrôlé par le groupe, et le groupe des jeunes d'abord ; le passage devant maire et curé n'était au fond que paperasses et formalités.



Autorisation de mariage

Le hasard a mis entre nos mains une archive, un acte authentique intitulé « autorisation pour Léonarde Bouchet à l’effet de se marier avec Paul Larrivé » daté du 13 septembre 1807 et portant en marge le numéro 343.

Ce jour-là par devant François Marie Dubois juge de paix à Moulins-Engilbert, assisté de François Mutel son greffier,
«… a comparu en personne Léonarde Bouchet fille majeure de Hubert Bouchet journalier à Chancheur (Champcheur ?) commune de Château-Chinon et de défunte Anne Perreau, ladite Léonarde Bouchet salariée demeurant en cette commune de Moulins-Engilbert section de Sermages ; laquelle nous a dit qu’il y a environ dix-huit ou vingt ans que Hubert Bouchet son père fut arrêté par la gendarmerie, qu’elle ignore les causes et motifs qui ont pu donner lieu à cette arrestation, que depuis ce temps elle n’a eu aucune nouvelle de lui, qu’elle ne sait le lieu où il peut être, s’il existe encore, mais qu’elle présume qu’il est mort, quêtant recherchée en mariage par Paul Larrivé, salariée à Sermages, section de même nom commune de Moulin-Engilbert, il se trouve un obstacle à cet Etablissement, lequel résulte de ce qu’elle ne peut se procurer le consentement de son père, s’il est encore existant, ni produire l’acte de son décès s’il est mort. Que n’ayant, ni aïeuls ni aïeules, et étant dans l’impossibilité d’avoir le consentement de son père, dont elle ignore l’existence ou le séjour, elle a été conseillée de s’adresser au conseil de famille pour obtenir l’autorisation qui lui est nécessaire pour son établissement, et même indispensable, conformément à l’article 160 du code civil : qu’en conséquence elle a convoqué à l’amiable ce jourdhui et pardevant nous une assemblée de six de sa parenté, dont trois du côté paternel et trois du côté maternel pour composer un conseil de famille à l’effet de délibérer et donner leur avis sur l’autorisation qu’elle sollicite et nous a invité à en dresser acte pour lui savoir et valoir ce que de raison, et a déclaré ne savoir signer, de ce enquis… »

Comme Léonarde, qui devait avoir à l’époque quatre ou cinq ans, on ignore ce qui a valu à Hubert Bouchet d’être arrêté dix-huit ou vingt ans plus tôt, c’est-à-dire dans les années troubles de la Révolution, et s’il était encore vivant en 1807. L’acte 160 du code civil de 1804 précise que « les fils et filles de moins de 21 ans dépourvus de parents et sans grands parents doivent obtenir le consentement d’un conseil de famille pour se marier ». Aussitôt sont convoqués un oncle, un cousin et un beau-frère du côté paternel, et trois cousins du côté maternel. Mis au courant de la situation et de la demande de leur parente le conseil de famille a délibéré et voici son avis :

« Lesquels parents nous ont dit s’être rendus volontairement et amiablement par-devant nous sur invitation de ladite Léonarde Bouchet et être prêts à délibérer et donner leur avis sur l’autorisation qu’elle provoque pour son établissement... »
«... les parents ont unanimement déclaré qu’il est à leur connaissance que Hubert Bouchet père de ladite Léonarde Bouchet est absent depuis environ dix-huit à vingt ans, qu’ils ignorent où il peut être et même s’il est encore existant, que ladite Léonarde Bouchet ne peut produire ni son consentement ni son acte de décès, quelle n’a ni aïeuls ni aïeules, qu’elle est âgée d’environ vingt-quatre ans, et par conséquent dans le cas de s’établir, que Paul Larrivé qui la demande en mariage lui convient parfaitement, en conséquence le conseil, vu l’article 160 du code civil, ainsi conçu, s’il y a ni père ni mère, ni aïeuls ni aïeules ou s’ils se trouvent tous dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les fils et filles mineurs de vingt et un ans ne pourraient contracter mariage sans le consentement d’un conseil de famille... »
« ...Lesdits parents après avoir délibéré entre eux conjointement avec nous, le conseil, à l’unanimité des voix, a autorisé et autorise par ces présentes ladite Léonarde Bouchet à contracter mariage avec ledit Paul Larrivé, ou tout autre qui lui conviendra, également, conformément aux lois. Laquelle autorisation, ladite Léonarde Bouchet a présentement acceptée avec reconnaissance et en a fait les remerciements au conseil de famille. »

Suivent les signatures du juge de paix et de son greffier et non des autres ne sachant signer. Léonarde était âgée en réalité de vingt-trois ans d‘après son acte de naissance. Selon l’article 160 du code civil elle aurait pu se passer de l’avis du conseil de famille. Dans ce cas précis, le conseil de famille a été réuni par le juge de paix afin de témoigner que la fille s'appelle bien ainsi et qu'elle est bien celle qu'elle prétend être. Elle a le droit de choisir son futur époux, mais elle doit donner la preuve de son identité, en l'absence d'un membre proche de sa famille. Des cas semblables ont été relevés. Léonarde Bouchet et Paul Larrivé n’ont pas perdu de temps, ils se sont mariés le 29 septembre 1807 à l’église de Moulins- Engilbert. Huberte sa sœur âgée de 26 ans, qui avait dû faire la même demande d’un conseil de famille avait épousé Pierre Michot le 31 août de la même année. On ne sait pas si, selon la formule consacrée, Léonarde et Paul furent heureux et eurent beaucoup d’enfants, mais une fille Françoise est née presque exactement un an après le mariage, le 28 septembre 1808.

Claude Péquinot - La Lettre de L’Académie du Morvan / Numéro 8 - Novembre 2018
Sources : Recherches de Jacqueline Bernard sur « Le mariage des roturiers au XVIIIe siècle dans le canton de Moulins-Engilbert » (Académie du Morvan).


Le courtisement

On peut bien dire que la double cérémonie, en mairie et à l'église, n'était que le dernier événement d'une longue suite de rites, de gestes, de démarches et d'observances qui, à eux tous, constituaient le mariage.

Même lorsqu'une fille à peine pubère se rendait à la chapelle de la Vierge, au jour de l'Annonciation, et se mettait à prier pour demander que Marie, ou sainte Solange, lui réserve un époux joli, le cycle du mariage était commencé.
Le plus souvent, comme à Nolay par exemple, les filles ne pouvaient espérer obtenir satisfaction qu'en s'agenouillant pour prier, mais encore fallait-il qu'elles s'agenouillassent sur la bonne dalle. C'est pourquoi, pour mettre le plus de chances possibles de son côté, chacune répétait sa prière en se déplaçant d'une dalle à l'autre, et comme il y avait une centaine de dalles dans la chapelle, elle devait répéter cent fois sa prière, en changeant de dalle à chaque fois.
C'est ce qui faisait dire aux mauvaises langues, en parlant d'une fille peu désirable : "Encore une qui va s'user les genoux pour rien !"
Ou bien, fort irrévérencieusement, l'oncle Bonaventure disait à la tante Léontine, qui tardait à trouver époux "Alors ? Pas encore usés, ces genoux ?"
Ai-je dit que les jeunes filles "prolongées" avaient recours à sainte Solange ? Oui, tout ce que le Morvan, le Sud de la Côte-d'Or et la Saône-et-Loire comptait de jupons s'agitait en effet au seul nom de sainte Solange.

Sainte Solange
Sainte Solange
Date : entre 1470 et 1500
Lieu : Musée du Louvre
Région : Nivernais

Sainte Solange
Elle était bergère au IXe siècle. C'est une des patronnes du Berry. On l'invoque contre la sécheresse.

"La très-illustre vierge Solange est la patronne, et, pour ainsi dire, la Sainte Geneviève du Berry. Elle naquit au bourg de Villemont, à deux ou trois lieues de la ville de Bourges. Son père était un pauvre vigneron qui menait une vie très-chrétienne; Dieu récompensa sa piété en bénissant son mariage. Il eut une fille qui fut nommée Solange. Chez cette admirable enfant, la beauté du corps et celle de l'âme se rehaussaient réciproquement, de sorte qu'elle faisait les délices de Dieu et des hommes"

Un jour, attiré par la réputation de la bergère, Bernard de la Gothie, fils de Bernard, comte de Poitiers, de Bourges et d'Auvergne monte à cheval, et, sous prétexte d'aller à la chasse, il se rend sur les terres de Villemont, où Solange gardait son troupeau.
Il est pris d'un vif désir pour elle, il la saisit, l'emporte sur son cheval. Refusant ses avances, Solange lui échappe et se laisse tomber dans un ruisseau au bord de la route. Bernard ivre de rage devant le refus de Solange transforme son amour en haine et la décapite (d'autres disent qu'il la transperça avec son glaive) Solange qui était debout, étend paisiblement ses bras pour recevoir sa tête et marche.

Quoi qu'il en soit, toutes les filles en mal de mari avaient, dans un coin de leur armoire, l'armoire au trousseau, une petite chapelle à sainte Solange, avec statuette de la sainte, bouquet d'immortelles et chandelles, devant laquelle elles passaient le plus clair du temps consacré à la prière. A tel point qu'au début du XXe siècle on disait à une jeune fille de trente-trois ans, qui enfin se mariait :

"Te vai jar pouvoèr lai freumer, tai sainte Soloinge !"
(Tu vas tout de même pouvoir la fermer, ta sainte Solange !)

Sainte Solange (10 Mai) Le culte de cette humble bergère du IXe siècle, qui devint patronne du Berry, s'est répandu dans les pays voisins, notamment à Nevers et à Nolay. La cathédrale de Nevers est le siège d'une confrérie qui célèbre tous les ans, en grande pompe, la filète de Sainte Solange, le lundi de la Pentecôte : les reliques sont, exposées et les fidèles viennent nombreux se faire inscrire à la confrérie : une procession a lieu au cours de laquelle le reliquaire est porté par des jeunes filles. Sainte Solange, en effet, "donne époux dans l'année à celle qui vient la prier".
A Nolay, la procession se fait à travers la campagne et les jeunes filles défilent ensuite sous les reliques.
Avant la guerre de 1914, des colporteurs vendaient des statuettes de sainte Solange. Ils ouvraient leur hoîte à deux battants, se mettaient à genoux et récitaient une prière avant d'offrir leur marchandise. Depuis lors - note Desforges - on dit à quelqu'un qui laisse ouvertes les portes d'une armoire ou d'un buffet : "ferme donc ta sainte Solange!".
Jean DROUILLET (page 249)

Heureux l'homme qui a plusieurs filles, dit la sagesse populaire, car il est sûr d'être copieusement abreuvé !
C'est vrai parce qu'il est de coutume, que le soupirant d'une fille paye à boire à son futur beau-père. S'ils se rencontrent à la foire ou dans un lieu de réunion quelconque, le jeune offre la "tournée" au vieux. Ils s'assoient à l'auberge et parlent de choses et d'autres sans qu'il soit question de la fille. C'est une première démarche, discrète. Si le père accepte, on ne peut rien en déduire, mais si, la semaine suivante, à la sortie de la messe ou sur le champ de foire, le jeune homme invite à nouveau, le père comprend. S'il accepte jovialement, de grand coeur, c'est bon signe. S'il refuse net, il y a fort à penser que la chose est impossible.
Si, enfin, à chaque rencontre, le jeune soupirant "offre", et si le vieux madré accepte, c'est clair, le futur peut pousser son affaire plus avant.
La diplomatie du vieux pouvait être plus subtile : certains, qui aimaient à "gobeloter", faisaient traîner les choses en longueur, acceptaient avec réticence, hésitaient en refusant pour accepter finalement à la sauvette. Le soupirant alors, passant de l'espoir au désespoir, renouvelait ses invitations à chaque rencontre et c'est ce qui faisait dire au monde que la fille à marier était la "vigne" de son père. Certains vieux malins entretenaient même plusieurs godelureaux dans l'espoir qu'ils avaient d'épouser leur fille.
On parlait d'eux en riant. On citait un certain Denis Cornu qui, père de cinq filles, n'avait pas dessaoulé de 1869 à 1882, période pendant laquelle ses filles étaient courtisables, et courtisées, et qui mourut trois mois après le mariage de sa dernière... de privation, ajoutaient les maudisants.

Restait au "futur" à se déclarer.

Bien sûr, il avait peut-être "chalandé" celle qu'il désirait, et sans doute lui avait-elle répondu.

Il existait, jusqu'en 1830 encore, en Puisaye, une sorte de chant d'une grande originalité et par sa contexture et par la façon dont il était exécuté. Ce chant s'appelait Chalaîde ou Calagide, très probablement du mot latin Calare (chanter). (1). On ne s'y livrait qu'aux mois d'avril et de mai. Son objet était, disait-on, de célébrer le retour du printemps et des amours. Il consistait en un dialogue entre bergers et bergères, amoureux et amoureuses qui s'interpellaient à de grandes distances, montant parfois sur des arbres pour s'entretenir de plus loin. Dans ces colloques, qui avaient lieu d'ordinaire le soir, de ferme à ferme (2), sur un ton lent et tremblé, l'improvisation jouait le principal rôle. Rien d'arrêté d'avance ni d'appris par, coeur. Selon les dispositions du moment on exprimait ses désirs, ses joies, ses craintes, ses reproches, tous les sentiments enfin qu'on éprouvait. De prosodie on se souciait autant que pouvaient le faire des gens qui en ignoraient jusqu'au mot. L'unique règle était de placer, soit à la fin, soit dans le corps de chaque prétendu vers le mot Chalande, chalandé. On pourra s'en convaincre en lisant le spécimen que nous avons pu nous procurer:

Homme). — Ohé ! ma chalande ! ohé ! ma compagne, ma joliette ?
(Femme). — Ohé ! mon chalandé ! ohé ! mon chalandé aimé de moi !
H. As-tu bien dansé, ma chalande, ma joliette,
H. As-tu bien dansé, avec ton chalande, ma joliette ?
F. Oh oui ! J'ai bien dansé, avec mon chalandé, aimé de moi.
H. Viens donc vers moi, ma chalande, ma joliette,
H. Viens donc vers moi, ma compagne, ma joliette.
F. Je ne saurais (bis), mon chalandé, aimé de moi.
H. D'à cause de quoi, ma chalande, ma joliette ?
F. D'à cause des bois, mon chalande, aimé de moi.
H. Faut les couper (bis), ma chalande, ma joliette.
F. Avec quoi donc, mon chalande, aimé de moi ?
H. Avec ton doigt, ton joli doigt, ma chalande, ma joliette.
F. Ça me le romprait (bis), mon chalandé, aimé de moi.
H. Tu le feras ressouder, ma chalande, ma joliette.
F. Mais par qui donc le faire ressouder, mon chalandé, aimé de moi ?
H. Par l'fils du maréchal, ma chalande, ma joliette.
F. Où donc qu'il est, mon chalandé, etc.
H. Dedans le bois (ici le nom d'un bois voisin), ma chalande, etc.
H. Va l'y chercher, ma chalande, ma joliette.
F. Je m'égarerais, j'aurais trop peur, mon chalandé, aimé de moi.
H. Je t'y suivrais, je t'appellerais, ma chalande, ma joliette.
F. Appelle-moi donc, je te suivrai, mon chalandé, aimé de moi.
H. Les bois sont verts, ils sont boutonnés, ma chalande, etc.
F. De quoi donc, les bois sont verts, sont boutonnés, mon chalandé, etc.
H. De passerose et de muguet, ma chalande, etc. (C).
F. Pourquoi donc faire, cette passerose et ce muguet, mon chalandé etc.
H. C'est pour faire un gros bouquet, ma chalande, etc.
F. Pourquoi donc faire ce gros bouquet, mon chalandé, etc.
H. C'est pour le mettre à ton côté, ma chalande, ma joliette.
F. A mon côté il fanera, mon chalandé, etc.
H. Tu l'arroseras (bis), ma chalande, ma joliette.
F. Avec quoi donc je l'arroserai, mon chalandé, aimé de moi ?
H. Avec la rosée du mois de mai, ma chalande, etc.
F. Où donc qu'elle est la rosée de mai, mon chalandé, etc.
H. Dans le jardin de Monsieur l'curé, ma chalande, etc.
F. Mais s'il me voit, il me grondera, mon chalande, etc.
H. T'iras le soir après souper, ma chalande, etc.
F. Mais j'aurais peur, grande peur, mon chalandé, etc.
H. Vous irez deux (bis), ma chalande, etc.
F. Qui donc viendra avec moi, mon chalande, etc.
H. Toi et ton amant, ton amant chéri, ma chalande, etc.
F. Qui donc ? Je ne le connais pas, mon chalandé, etc.
H. C't'amant c'est moi (ici le nom de l'amant), ma chalande, etc.
F. Tu ne veux point de moi, mon chalandé, etc.
H. Si j'en veux, je t'aime bien, ma chalande, etc.
F. Et moi aussi, je t'aime bien, mon chalandé, etc.
H. Demain ou dimanche nous danserons ensemble, mon chalandé, etc.
F. Oui, nous danserons ensemble, mon chalande, etc.
H. Puis nous reviendrons par le bois, ma chalande, ma joliette ?
F. Sans passer chez Monsieur le curé, mon chalandé, aimé de moi.
H. A demain (ou à dimanche) (bis), ma chalande, ma joliette.
F. A demain (ou à dimanche) (bis), mon chalandé aimé de moi.

(1) Dans le pays de Bray, on trouve des chants qui sont comme une ébauche de la Chalande puisayenne. On les appelle "Chansons des vachers" - Les petits vachers ont l'habitude de faire de loin des espèces de dialogues qu'ils chantent et terminent toujours par ces mots : "Laviala! laviala! laviala! laloulaviala!" (Dictionnaire du patois du pays de Bray, par l'abbé Decorde).
(2) Les fermes étant très rapprochées en Puisaye, il arrivait souvent qu'on entendait en même temps les voix de cinq à six couples placés à différentes distances et dont les plus éloignés formaient comme l'écho. Des personnes qui ont pu entendre ces chants assurent que, dans le silence de la nuit, ils étaient d'un grand effet.
Charles MOISET
- pages 116 et 117

Probablement avait-il invité la fille à la danserie et lui avait parlé. Ils avaient sans doute sauté ensemble par-dessus le brasier de la Saint-Jean, certainement même il avait obtenu d'elle des entrevues et les deux amoureux étaient d'accord. Mais il fallait ritualiser et alors le jeune homme plantait un "mai".
Un beau baliveau de charme, au nom flatteur, qu'il ornait de rubans ou de bouquets, et qu'il fixait solidement à la maison de la fille. Mais un vrai "mai", c'est-à -dire un baliveau de belle taille, de dix ans environ, planté dans le sol, arrimé fortement au pignon de la maison, et, si possible, attaché au balcon ou au volet de la chambre de la jeune fille, alors que les "mais" ordinaires, plantés par le groupe des jeunes, étaient sommairement installés, à la diable.
L'explication de tout ceci est que le jeune homme voulait montrer au monde qu'il tenait si fort à la fille qu'il était capable de faire un tour de force et d'adresse pour le prouver.
On répétait de bouche à oreille les prouesses extraordinaires qu'avait faites celui-ci ou celui-là , bravant les chiens, le vertige et même le fusil du vieux, pour afficher devant le village ses intentions matrimoniales.
Les plus amoureux, ou les plus forts, n'hésitaient pas à monter sans bruit le baliveau jusqu'à la faîtière et à l'enfiler dans la cheminée jusqu'à ce que le pied posât sur la dalle de l'âtre.
Il était même fréquent, que l'arbre choisi fût si volumineux et si lourd que l'on renonçât à l'extraire de la cheminée et alors il restait là , se desséchant auprès du feu, léché par les flammes, "sauré" par la fumée, le panache de ses branches faîtières dépassant de la souche, comme pour montrer fièrement que là , dans cette maison, il y avait belle fille, ardemment désirée.
Un jour, en hiver, au cours d'une flambée, le mai prenait feu comme une torche et mettait le feu-ronflant dans la cheminée, ce qui n'inquiétait personne, car c'était la façon la plus courante de ramoner. Le lendemain, on passait dans le conduit un "rachon" d'épine, et il se trouvait propre comme un sou neuf.

Dans le Morvan du pays de Saulieu et à Vic-sous-Thil, le 1er mai, avant le jour, chaque galant mettait à la porte de sa belle une branche d'arbre ornée de fleurs et de rubans. A Vic-sous-Thil, le dimanche suivant, à la fête de Thil, la jeune fille rencontre le garçon : on danse ensemble sous les tilleuls, et le cavalier ramène la jeune fille chez elle ; les parents l'invitent à diner en famille ce qu'on appelle "reconnaître le mai".
F. MARION - 1929

Le premier matin de mai, est une surprise pour chaque jeune fille :
surprise heureuse pour celle qui trouvait

surprise moins heureuse avec : Un arbre qui posait problème d'interprétation : le cerisier! En fleurs c'était une déclaration d'amour. Sans fleur, une allusion à la facilité à grimper sur un cerisier (?). Quelle offrande!
Pour les mais gracieux, les garçons osaient se présenter dans les jours qui suivaient pour se laisser offrir le verre de bienvenue. Pour les autres, plus désobligeants, inutile de préciser qu'ils restaient anonymes, bien que, souvent, la jeune fille ait une idée de sa provenance.

La demande

Degré par degré l'intégration du couple se faisait, très lentement, à la famille et à la collectivité paroissiale et communale. Plus la fille était satisfaite et consentante et plus le "mai" restait longtemps à sa porte, comme pour montrer à des prétendants éventuels que la place était solidement prise.

C'est alors que pouvait avoir lieu la "demande", mais pour officialiser la démarche, le jeune homme demandait à un ami de la faire. Cet ambassadeur était nommé ici "croque-avoène" (CROQUE-AIVOGNE, locution, Croque-avoine, celui qui sert d'entremetteur pour un mariage, qui fait les premières démarches auprès des parents de la jeune fille. Le "croque-aivoigne" de nos campagnes est un type qui devrait figurer dans le tableau des moeurs morvandelles. L'avoine a souvent un rôle dans les cérémonies qui précèdent et accompagnent les mariages. Glisser quelques grains d'avoine dans la poche de son galant, c'est pour la fille des Hautes-Alpes signifier un congé en bonne forme et sans éclat. L'amoureux qui a reçu son avoine est par ce fait prié de ne plus revenir. Nos "croque-aivoigne" doivent peut-être leur nom a une ancienne coutume analogue. - Glossaire du Morvan), là "bouleyeur", ou, en Morvan "peût-houme" (pourquoi cette allusion au diable ?).

Dans le Morvan, les négociations en vue d'un mariage sont souvent conduites par des individus qui paraissent s'en faire une sorte de spécialité. On les appelle "pères d'hommes" ou plus vulgairement "croque-avoine", désignation qui parait venir de ce que le négociateur est de tous les dîners qui se donnent avant et pendant la noce, et qu'il y occupe toujours la première place. C'est ce messager d'amour qui se charge d'aplanir les voies et de traiter à fond la question matrimoniale avec le père de la future. Le siège de ces séances diplomatiques est d'ordinaire le cabaret.
Charles MOISET - 1888

C'est lui qui allait trouver les parents, discutait des conditions matérielles de l'union et organisait l'entrevue définitive entre les jeunes gens.
C'est lui aussi qui, à quelques jours de la demande, conduira le prétendant chez la jeune fille et les mettra officiellement en rapport. La façon dont les parents de la demoiselle recevront le prétendant aura une signification précise et des gestes rituels seront exécutés : par exemple si le père ou la mère tracent des croix dans la cendre de l'âtre avec le pique-feu, ce sera de mauvais augure. Si les visiteurs insistent, on leur signifiera leur congé en leur servant du lait caillé ou, dans certaines régions, des "crapiaux", sans vin et, à leur départ, on dressera les tisons du feu. Cela, bien entendu, sans qu'un mot n'ait été prononcé de l'affaire. Au contraire, la conversation se déroulera normalement et l'on parlera de choses et d'autres.

Hélà mon Jean
"Les Enfants du Morvan"

Disque : "Chants et danses du Morvan" - 1980

Au contraire, si le jeune homme est agréé, on se mettra tout de suite en cuisine, on frigoussera une copieuse omelette au lard, on sortira le jambon, le fromage à la crème et... le vin. Le meilleur, celui d'une bonne année.
Il y a dans ces agapes un grand nombre de détails à observer : le futur beau-père s'arrangera pour placer les deux jeunes gens l'un près de l'autre. Il parlera, avec le croque-avoine, de bétail, de vigne et de culture et les deux amoureux exécuteront certains gestes, rituels, en silence : le jeune homme se laissera verser une pleine rasade de vin. Il en boira la moitié et offrira le reste à la jeune fille. Si elle consent à y tremper ses lèvres, c'est de sa part acceptation. Si elle met le verre à sec, c'est certainement preuve d'une grande soif d'amour... mais il est de bon ton que la mère s'en scandalise.

A partir de ce moment ils sont promis.

En réalité, la plupart du temps, tout le monde est bien d'accord, surtout les deux tourtereaux, mais ce cérémonial est observé très sérieusement ; il a pour but de faire franchir un degré à l'intégration du jeune homme dans la famille, et du futur couple dans la collectivité, c'est la raison pour laquelle c'est un étranger aux deux familles qui provoque et cautionne la démarche décisive.

A cet instant, ce fameux dimanche de septembre de l’année 1873, la pièce devint soudainement très sombre. Les enfants, comme un seul, se tournèrent vers la porte. Le père, lui, n’avait pas bougé. Mélanie eut un frisson.
— Entre, assieds-toi, dit le père.
Ce n’était qu’un visiteur après tout.
Tout le monde savait qu’elle était malheureuse.
Lorsque l’homme eut franchi le seuil en saluant la compagnie, il fut à nouveau possible de distinguer les choses autour de soi.
Puisque le père avait invité l’homme à s’asseoir, les enfants qui se trouvaient à sa droite se poussèrent d’une place, sans qu’il ait été besoin de le leur dire et l’homme enjamba le banc en donnant un petit signe de tête à Mélanie qui allait lui faire face.
Le visiteur pouvait avoir dans les trente-cinq ans, encore qu’il soit hasardeux, passé l’adolescence, de risquer l’âge d’un paysan. II était habillé en dimanche. Il posa son feutre noir à côté de lui sur le banc. Il portait une blouse neuve, un pantalon de velours et des sabots fraîchement cirés. Il avait les joues marbrées de petites veines rouges, le cheveu brun, rare et plat, le haut du front tout blanc et lisse, le bas tout ridé et jaune, ses mains étaient énormes.
— Petit, va chercher du vin.
Tout de suite, le plus petit des garçons se leva.
— Du bon.
Le petit sortit.
Emile Huhant demanda d’abord au visiteur des nouvelles de son père et de sa mère. Il lui demanda aussi si son frère était toujours à la ferme, puis il s’enquit de la santé de ses cousins, de ceux qui habitaient dans son village et de ceux qui vivaient ailleurs. Il demanda également comment se portaient les gens qui n’étaient pas de sa famille mais de son voisinage. Il écoutait les réponses de l’homme gravement, comme on le fait des choses importantes, puis il y eut une pause.
Le petit était revenu depuis quelque temps, avec deux bouteilles d’un vin qu’il n’avait pas tiré au tonneau. Le père déboucha la première, remplit le verre de son hôte, celui de son fils aîné, puis le sien et, avant de boire, les hommes se souhaitèrent la santé.
Les paysans n’ont jamais été gens à laisser voir ce qui les habite, les adultes comme les plus jeunes. Autour de la table, les enfants restaient silencieux et semblaient à peine vivants. Mélanie n’avait pas levé une seule fois les yeux depuis que l’autre était entré, comme si la contemplation de son assiette vide était la seule chose qui pût l’occuper. Pourtant, il devait se passer là un événement extraordinaire.
Il fallait bien que ce soit extraordinaire, car la mère ne parvenait pas à quitter la cheminée. Dans ce monde tellement réglé, elle semblait chercher ce qu’elle avait à faire. Pendant que son mari déclinait tous les membres de la famille du visiteur jusqu’au troisième degré de lignage, elle sortit soudain de la salle commune avec le plat tout prêt et tout fumant, traversa la cour jusqu’au tas de fumier et y déversa complètement le contenu. Personne ne voulut remarquer qu’elle était sortie et, pourtant, elle n’avait rien fait pour être discrète. Lorsqu’elle revint, la conversation des hommes en était au temps qu’il faisait, à celui qu’il avait fait et à celui qu’il risquait de faire et, là encore, nul ne voulut se rendre compte qu’elle était rentrée...

Le soir, à cinq heures, tout le monde était encore autour de la table. Le soleil n’était plus aussi généreux qu’il avait été. Les hommes en avaient fini avec le bétail et le visiteur parla de se retirer. II restait une bouteille de vin blanc que Emile Huhant avait été chercher lui-même à la cave quelques instants auparavant. Il la déboucha et tendit le goulot vers son hôte. Celui-ci prit son verre, le tint longtemps au-dessus de sa bouche ouverte pour qu’il ne restât rien de ce qu’il avait contenu, puis il le présenta au père qui le remplit de vin doré, mais qui ne servit personne d’autre, pas même lui. A cet instant, tout le monde regardait le visiteur. Il porta lentement le verre à ses lèvres et le but pour moitié, puis il étendit le bras et le déposa devant la jeune fille. Chacun s’était tourné vers elle, tous attendaient. Elle ne prit pas le verre. Elle se leva et quitta la pièce.
Mélanie traversa la cour en courant, autant que ses sabots pouvaient le lui permettre, puis elle entra dans le verger qui la prolongeait. Là , elle se bâillonna la bouche de la main et se mit à rire, à rire tellement qu’elle dut s’appuyer contre un prunier pour ne pas tomber.
Dans la ferme, le visiteur s’était levé. Il dit qu’il reviendrait. La mère aussi s’était levée. Durant les quatre heures pendant lesquelles ils étaient restés à table, elle n’avait pas prononcé le moindre mot, mais une fois debout, elle alla à la cheminée, prit un tisonnier et écarta les bûches comme elle l’aurait fait pour laisser mourir le feu. Malgré cela, il n’y avait pas trace de dépit sur le visage du visiteur. Il salua la compagnie et sortit de la salle.

Le mois suivant il revint et fut servi de même manière.
Le mois suivant il revint et rien ne fut changé davantage. Il s’appelait Gaston.
Le mois suivant il revint et la mère lui servit un ragoût. Tout le monde savait le Gaston riche.
Le mois suivant il revint. C’était l’hiver, la mère ne voulut pas laisser mourir le feu.
Le mois suivant il revint et tout fut comme il le souhaitait, hormis le verre de vin que Mélanie refusa de boire.
Le mois suivant il revint et Mélanie but le verre. Elle était promise. Le printemps était à venir.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -

Parfois, la jeune fille voulant se débarrasser d'un amoureux importun priait un ami de venir lui faire la cour; cela s'appelait "peigner le chat". Le galant arrivait, voyait, et n'insistait pas. Il n'était pas rare que le "peigneux d'chat" prit goût à l'aventure et se mariât avec la fille.


Les fiançailles

C'est le jour des fiançailles que les conditions du contrat sont également débattues dans les pays où l'on passe un contrat, ce qui a rarement lieu dans le Morvan, où l'on se marie, en règle générale, sous le régime de la communauté.
Avant la date à jamais mémorable de 1789, qui a placé entre les mains des maires le mariage civil, chaque mariage était accompagné d'un contrat destiné à régler la dot de la future, qui, généralement, quittait la maison paternelle pour aller vivre dans la famille de son mari, pour devenir, comme lui, commune en biens à acquérir et meubles acquis. Cette dot se composait d'une somme en argent, de linge, meubles, animaux, tels que brebis, taure, le tout détaillé au contrat passé par-devant notaire. Par l'acceptation de cette dot, la fille renonçait à tous les biens immeubles de ses parents, à leur succession, tant qu'il y aura dans la maison paternelle hoir mâle ou descendant de mâle.

Le jour des fiançailles, tous ces points sont éclaircis, on est d'accord et cette nouvelle cérémonie se déroulera selon un rituel amusant, mais pourtant symbolique : les camarades du jeune homme accompagneront celui-ci à la porte de la jeune fille. Cette porte sera fermée. Ils y frapperont en chantant la première strophe d'un chant souvent repris par la suite et déformé. Il s'adresse à la mère de la jeune fille, qui, pour la première et dernière fois dans le cérémonial, jouera un rôle, car jusqu'alors c'est le père qui a été sollicité.
Les chanteurs disent donc, en toquant à l'huis :

Meire, botez le chien queure
Meire ; botez le chien queure :
Voiqui l'galant que vint.
Ah ! régalez-lu bin :
C'ast le galant de votre feille.
Ah ! régalez-lu bin,
Aivou des treuff's et du boudin.

Al évot d'joulies guâtes,
Pus des jartères quioquées.
A quépot dans ses doigts :
C'étot pour drosser sai crinieire,
A quépot dans ses doigts :
C'étot pour drosser ses pois !

Voiqui l'galant, l'galant que vint,
Ah! régalez, galez-lu bin,
Aivou des treuff's et du boudin,
Din ! Din !

On dit communément, en parlant d'une viande de mauvaise qualité "dure comme du chien"

La mère interroge, de l'autre côté de la porte, et sans ouvrir : "Mais qui êtes-vous donc ?... Que faites-vous donc ?... Que voulez-vous donc ?..." et, à chaque question, le choeur des jeunes garçons répond et enfin la porte est ouverte.

Vient l'entrée de la jeune fille chez les parents du jeune homme. C'est l'occasion d'un festin auquel sont conviés parents et amis, parrains et marraines, quelquefois les jeunes gens qui doivent être invités à la noce
Dans le Morvan avallonnais, le repas des fiançailles se distingue des dîners ordinaires par la quantité prodigieuse de vin sucré qu'absorbe l'élément féminin. La future, notamment, juge de l'amour qu'elle inspire à son fiancé par le degré d'édulcoration qu'il donne à sa boisson.
A la suite du repas de fiançailles, ou pendant sa durée, des bagues sont parfois échangées entre les futurs : en tout cas, il est généralement de règle que le fiancé en donne une à sa fiancée. A Vézelay, il lui offrait, en outre, un bouquet.
Dans les jours qui suivent, on va aux habits, c'est-à -dire que les deux futurs vont faire, à la ville voisine, les emplettes pour la toilette de noce de la mariée, que paie le fiancé. En retour de cet achat d'habits, la fiancée, même dans la classe bourgeoise, il n'y a pas longtemps encore, faisait don à son fiancé d'une chemise de noce. Ce don était jadis tout symbolique. Il signifiait à la fois adoption et union indissoluble.
Autrefois les fiançailles revêtaient, dans quelques pays, un caractère religieux. A Ormoy, par exemple, le curé fiançait les futurs époux en présence de leurs parents, la veille du mariage.

Une fois les fiançailles terminées, on s'occupe des préparatifs de la noce et des formalités civiles et religieuses à remplir, publications des bans, acte de naissance, de décès a produire, etc. Puis, une huitaine de jours avant la célébration, les deux fiancés accompagnés du garçon et de la fille d'honneur se rendent chez les parents et amis pour faire les invitations. On leur offre, dans chaque maison, à boire et à manger. Alors les ménagères des maisons invitées préparent les présents, oeufs, beurre, fromage, volaille, qu'elles portent l'avant-veille de la noce pour faire et gâteaux et galettes.

"Dans la région de Pougues, Chaulgnes, etc.,c'étaient les marraines des deux futurs qui étaient "smouneuses", c'est-à -dire qui étaient chargées d'aller "smouner" parents et amis. Mon frère, qui habitait Pougues, s'est marié en 1897 avec une jeune fille de Satinges (commune de Parigny). Ma soeur, qui était marraine de mon frère, résidant, ailleurs, c'est moi qui l'ai remplacée et j'ai été "smouneuse" avec la marraine de la mariée. Nous sommes passées dans les villages pour faire les invitations. Et partout nous étions invitées à boire sur la rôtie, c'est-à -dire à boire du vin chaud en y trempant des tranches de pain grillé ; cela, disait-on, portait bonheur aux mariés, et il ne fallait pas refuser" (Recueilli auprès de Mme Ridet, née en 1868).

Semondre (du lat. submonere). Vieux verbe français qui signifie inviter, convier à une cérémonie, à une réunion : "semondre à des obsèques" ; et aussi avertir (c'est encore le sens de semonce en Morvan), d'où le mot semonce qui vient du participe présent semons. Dans le Nivernais on disait plutôt semouner, smouner et le verbe, qui est en voie de disparition, avait toujours le sens d'inviter aux noces.


Les Jiolées, Jolées, Iolées ou Ziolées

Iolées : fêtes en l'honneur d'Iolaos compagnon d'Hercule - Le Culte des Grecs et des Romains - 1719 - Bernard de Montfaucon

Les Jiolées en Morvan et aubades ou garçounades en Amognes sont des réjouissances rituelles qui se déroulent dans la nuit qui précède le mariage. On prononce en beaucoup de lieux "ziolées" par le changement ordinaire du j en z.

La veille au soir, les jeunes filles conviées à la noce se réunissaient chez la future épousée. Elles prenaient avec elles une commère du village, fidèle gardienne des traditions locales, qui savait les vieux airs et les coutumes anciennes. On veillait en bavardant et en chantant, en attendant la venue des jeunes gens.
Le promis et ses compagnons arrivaient à minuit, conduits par le flûteux qui jouait de sa zouarne. Ils trouvaient l'huis fermé et les verrous poussés. Le flûteux préludait alors par une ritournelle, et aussitôt de part et d'autre de la porte close, s'engageait un dialogue chanté. Entre chaque couplet, la voix nasillarde et aiguà« de la musette redisait la courte phrase mélodique du début.

Galants qui sont à la porte
Version musicale de Château-Chinon - J. TIERSOT 1889
Les paroles, dont Tiersot n'a noté qu'une courte partie,
ont été complétées par les versions de Planchez-du-Morvan
et du Fou de Verdun recueillies par A. Millien, en 1887
1. - "Io d'un bonjour la belle,
Comment s'y portez vous ? (bis)
- Galants qui sont à la porte,
Galants que demandez-vous.

2. - Nous demandons un' fille
Pour l'emmener chez-nous. (bis)
- Galants qui sont à la porte,
D'quel nom la désignez-vous ?

3. - Du nom de [la, Marie]
Pour l'emmener chez-nous. (bis)
- Galants qui sont à la porte,
D'quels cheveux là voulez-vous ?

4. - Nous la voulons [châtaigne]
Pour l'emmener chez nous. (bis)
- Galants qui sont à la porte,
De qu'ell' taill' la voulez-vous

5. - Nous la voulons [d'grand' taille]
Pour l'emmener chez nous. (bis)
- Pour emmener notre fille,
Quels présents apportez-vous ?

6. - L'présent que j'vous apporte,
Bell' le recevrez-vous ? (bis)
- S'il est bon et recevable,
Pourquoi le refus-rions nous ?

7. - C'est ait mari z'aimable La bell',
qui vient chez vous. (bis)
- Frappez, frappez à ma porte,
Que l'on casse les verrous.

La chanson des "Galants qui sont à la porte" se chantait parfois à la suite d'une autre dont l'air était différent et a survécu dans la mémoire de quelques vieux ménétriers :

Ouvrez-moi donc la porte

L'aiguille de l'horloge n'est plus éloignée de minuit que du temps nécessaire pour franchir la distance qui sépare l'habitation du jeune homme de celle de sa fiancée...
A peine arrivés, ils tirent plusieurs coups de pistolets afin de "dénouer les aiguillettes"(Quand une jeune fille se marie ses parents redoutent qu'une rivale, jalouse ou délaissée, ne veuille se venger en s'adressant à un sorcier qui se charge de "nouer les aiguillettes" du futur marié. - Autrefois les hauts-de-chausse se fermaient avec des lacets qui se nouaient au niveau de la ceinture ; ces lacets étaient munis à leur extrémités de ferrets appelés aiguillettes - La mode des aiguillettes passa sous Louis XIV, quand on mit des boutons aux braguettes), puis ils frappent à la porte et la secouent de toutes leurs force.
La porte est solidement fermée. Au bruit qu'ils font, le personnel de l'intérieur leur demande : Qui est là ? Que voulez-vous ? Ce n'est point à cette heure que d'honnêtes gens se présentent : vous êtes des malfaiteurs. Passez votre chemin.
Nous ne sommes pas des malfaiteurs, répond l'un d'eux, ordinairement un garde, nous sommes des chasseurs. Nous avons tiré une caille : elle est tombée par le cornet de votre cheminée ; nous venons vous la demander.
Nous n'avons point vu votre caille, reprennent les autres d'un ton mécontent.
Alors, il se fait quelques moments de silence ; puis, on entonne la chanson des Iolées.

Ouvrez-moi la porte, )
La belle, si vous m'aimez. ) bis
-- Je n'ouvre point ma porte
A l'heure de minuit
Passez par la fenêtre
La plus proche de mon lit.

Si vous saviez, la belle, )
Comment nous sommes ici... ) bis
Nous sommes dans la neige,
Dans l'eau jusqu'aux genoux.
Une petit' pluie fine
Qui nous tréfoule tous

-- Allez donc chez mon père :
Il y a de bons manteaux,
Y en a de toutes sortes
Des petits et des gros
Ainsi que des couvartes
Pour vous couvrir le dos.

Les chiens de votre père
Aboyons nuit et jour,
-- I'dis'nt à leur manière :
Galant qui fais l'amour,
Galant, tu perds ta peine,
Ton temps et ton argent

Si j'ai perdu ma peine,
J'ai su passer mon temps
Combien de fois la belle
Le soir après souper
Aubeau clair de la lune
Tous deux avons jové.

-- Si j'ons jové ensemble
Pourquoi le dites-vous ?
I'en a bien passé d'autres,
Des plus lurons que vous,
Qui n'ont pas fait grand' chose,
Vous n'ez rien fait du tout.

Quand la chanson est finie; encore un silence que vient briser une personne de l'intérieur, par ces paroles prononcées d'une voix forte :
- Ah ! ça, vous autres ! nous aimons à croire que vous n'êtes pas des étrangers ; mais, puisque vous êtes si appris, voyons si vous répondrez à nos questions ?
En voici des échantillons :

Q. Qu'est-ce que quatre dames renfermées dans une chambre, qui en ont la clef et n'en peuvent pas sortir ? - R. Les quatre cuisses d'une noix.
Q. Qu'est-ce qui va à l'eau tout riant et qu'en revient tout pleurant ? - R. Un seau.
Q. Qu'est-ce que c'est que plus il y en a, moins ça pèse ? - R. Une planche à bouteilles.
Q. Qu'est-ce qui a un oeil au bout de la queue ? - R. La poêle.
Q. Qu'est-ce qui pose ses tripes pour aller boire ? - R. La paillasse qu'on va laver.
Q. Qu'est-ce qui n'est pas plus gros que la patte d'une souris et rend tout le monde joli ? - R. Une aiguille.
Q. Qu'est-ce qui n'est pas plus gros que la patte d'un l'au et qui tiendrait cent mille chevaux ? - R. Une clef.
Q. Qu'est-ce qui passe partout et ne peut pas passer dans un chemin ? - R. Le feu.
Q. Qu'est-ce qu'on jette tant loin, tant loin, et qu'on tient toujours par le bout ? - R. Ses yeux.
Q. Qu'est-ce qui passe partout et ne peut pas sauter un ruisseau de rien ? R. Une fourmi.
Etc., etc.
Autre devinette à l'adresse des plus malins :
Si vous l'avez (lavez), ne me le prêtez pas; si vous ne l'avez pas (ne lavez pas), prêtez-le-moi.
    Solution : Un battoir à battre le linge.
Aussitôt qu'une bonne réponse est donnée, alors, la place est forcée : elles capitulent...

Les verrous tirés, la porte s'ouvrait, et les jeunes gens se ruaient à l'intérieur. Mais la promise était cachée ; il fallait la trouver et l'amener au galant qui, lui, ne cherchait pas. On fouillait sans ménagements les meubles et les cachettes possibles. Les grands rideaux de bouà«ge des lits étaient écartés, les couvertures de poulangis et la couète soulevés, les armoires ouvertes, le soueiller contigu exploré : et quelque soin qu'ait pris là jeune fille de se bien cacher, elle est découverte, à moins que, déguisée en homme, elle ne se soit mêlée aux grands garçons et ait feint de chercher avec eux.
A celui qui l'a trouvée sont réservés d'insignes honneurs : c'est lui qui, dans quelques instants, dansera avec elle la première bourrée ; c'est lui qui portera, à la noce, la bouteille de vin et le verre, la couronne de brioche pendue par une serviette à son côté, comme un sabre en bandoulière, et le rameau symbole de la chasteté de la mariée (nom donné à une petite branche d'arbre dépouillée de ses feuilles et chargée de rubans, de bonbons et de fruits, sa tige est invariablement passée dans une pomme, le fruit mystique des Gaulois), c'est lui encore qui ira, ce soir, offrir aux mariés la trempée.
Il conduit aussitôt la jeune fille à son épouseur. Cependant, le musettier qui n'a cessé de jouer pendant la recherche a quitté la maison pour se rendre à la grange où déjà les danses s'organisent. Le jeune à marier remet alors sa fiancée à celui qui la lui a amenée et toute la noce suit la musette.

Tavern Scene-1658-David Teniers II
Tavern Scene-1658-David Teniers II
Si vous n'avez jamais assisté à un bal champêtre (A Quarré-Les-Tombes cette soirée se nomme "les cordes"), si vous n'avez jamais dansé le gracieux rigodon et la lourde bourrée dans une grange, à la lueur blafarde d'une seule lampe suspendue à une poutre, et dont les rayons, loins d'être réfléchis, comme dans d'aristocratiques salons, par des glaces limpides, sont absorbés par la teinte sombre des murailles, vous ne pourrez que très imparfaitement comprendre tout ce qu'il y a de poétique dans cette scène que seuls rendent exactement les frais et suaves tableaux de Téniers.
Dans un coin, on a improvisé une table avec deux tonneaux et quelques planches ; on l'a couverte de verres et de grands brocs de vin. A l'entour, sur des bancs improvisés comme elle, se sont assis les vieux ; ils boivent et, tout près d'eux, à l'extrémité de la table, debout sur un tonneau comme sur un piédestal, le musettier se dandine, aussi altéré que l'outre de sa musette ; puis, sur l'aire, les jeunes filles, les jeunes garçons, qui dansent joyeux et gais : toute la noce est là .
Mais pendant qu'on danse à la grange, à la maison on hâte la collation et, quand tout est prêt, quand l'horloge vivante du domaine annonce qu'il n'y a plus que quelques heures de nuit, la noce revient.
On se range autour de là table comme on arrive, chaque garçon à côté de sa danseuse. Les gaietés les plus franches, les chansons les plus bachiques et les plus nuptiales, les conversations les plus animées, les plus vives, les plus naïves assaisonnent le repas.
Puis, la collation faite, chacun cherche une place où poser sa tête un peu lourde ; on s'entasse nombreux dans les lits, les hommes dans les uns, les femmes dans les autres. Les deux fiancés s'embrassent et se souhaitent bonne nuit.
Quelques instants après, le silence le plus épais enveloppe la maison : le sommeil a passé sur toutes les têtes.

Le droit de garçonnade

Le droit de garçonnade au XVIIIe et XIXe siècles :

II existait, jadis, dans plusieurs paroisses des diocèses de Nevers, d'Auxerre, d'Autun et de Chalon, un usage singulier, connu sous le nom de droit de garçonnade.
Lorsque des jeunes filles se mariaient à des garçons d'une paroisse autre que la leur, les jeunes gens de la paroisse de la fille s'attroupaient, se rendaient dans sa maison et exigeaient des futurs de prétendus droits, soit en argent, soit en denrées ou menues marchandises, comme lacets, jeux de cartes, balais, chandelle... et toujours du vin en abondance.
Quelquefois, les futurs, pour se conformer à l'usage, payaient ces prétendus droits sans difficulté ; souvent aussi, ils refusaient de s'exécuter. Mais qu'elles soient volontaires ou forcées, ces exactions altéraient souvent les ressources des futurs et, quelquefois même, les épuisaient complètement.
De là naissaient des querelles, des disputes, des batteries souvent suivies d'événements funestes.
Ces faits sont établis sur divers documents, dont les suivants tirés des Archives de la Nièvre:

9 février 1649. Noble Pierre Pitoys, bailli de Château, contre Alexandre et Claude Bruandet frères, et Claude Jeunet, jeunes gens de la ville de Château-Chinon, qui l'avaient frappé et blessé alors qu'en sa qualité de bailli il leur faisait défense de porter l'épée dans la ville à la suite d'un désordre qu'ils avaient causé dans un bal, chez la dame Sallonyer, où ils avaient poursuivi, l'épée à la main, et voulu tuer, messire François Jouan,. qui leur reprochait de vouloir se faire donner de l'argent, suivant l'usage, par les garçons qui se mariaient.

Registre des visites épiscopales de Mgr Colbert, évêque d'Auxerre, paroisse Saint-Père, de la Charité. (Le Curé) « A encore fait plainte de ce que les jeunes garçons de la ville font paier aux nouveaux mariés un droit et, faute de paiement, ils leur font insultes, traînent à leur porte et dans leurs maisons des charognes et autres immondices et leur font mille... (blanc) le jour et la nuit, avec grand scandale. »

5 décembre 1685. Ordonnance épiscopale : Article en conséquence : « Sur les remontrances qui nous ont été faictes qu'il se commet plusieurs désordres dans cette paroisse par les jeunes gens qui exigent avec violence et mesme avec insultes, Un droit prétendu des nouveaux mariés, nous leur deffendons, sous les mesmes peines de droit, d'exiger à l'avenir aucuns droits des nouveaux mariés ».

L'usage du droit de garçonnade fut condamné par un arrêté du Parlement de Dijon du 6 août 1718, puis par le Parlement de Paris le 12 décembre 1759.

La Cour, sur le rapport de Me Claude Tudert, conseiller, ordonne que les Arrêts et Règlements d'icelle concernant la police publique seront exécutés selon leur forme, et teneur ; ce faisant, fait défense à toutes personnes, de quelque âge et conditions qu'elles soient, notamment à tous gens de campagne, de s'attrouper à l'occasion des mariages qui se font, soit dans leurs paroisses, ou dans les paroisses voisines, et singulièrement d'y paraître armés, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de cinquante livres d'amende contre chaque contrevenant, même d'être poursuivis extraordinairement, si le cas y échet ; leur fait défenses, sous les mêmes peines, d'exiger aucune chose des futurs ou des nouveaux mariés sous quelque prétexte que ce soit, même de recevoir ce qui leur serait volontairement offert.
Ordonne que les pères et mères demeureront responsables des contraventions de leurs enfants au présent arrêt. Enjoint à tous Juges et Officiers de tenir la main à l'exécution du présent arrêt, et, en cas de contravention, d'informer et procéder contre les contrevenants par les voies de droit; enjoint pareillement aux officiers de maréchaussée de leur prêter main-forte, si besoin est, pour l'exécution du présent arrêt, lequel sera imprimé et lu aux Prônes des Messes paroissiales et affiché partout où besoin sera.
Fait en Parlement le douze décembre 1759.
Collationné : LANGELà‰. Signé : DUFRANC.

Cet arrêt fut généralement respecté. Mais les rixes ne cessèrent point, notamment à Nevers, où les maraîchers du faubourg de Mouà«sse n'admettaient pas qu'une jeune fille de leur quartier pût épouser un jeune homme d'un autre quartier, exception faite pour les « culs tarroux » (jardiniers) de la Chaussée. Ces moeurs ont subsisté à Nevers jusque vers 1870. On les retrouve encore, en 1934, dans plusieurs communes de la Nièvre, notamment à Saint-Benin-des-Bois, à Saint-Ouen.


Le mariage

1900 - Mariage à Chevroches

In'se marie en mai
Que les fous et les égarés.

Il ne faut pas se marier en mai, dit-on, mais les raisons invoquées ou les conséquences redoutées varient selon les pays :

    - C'est le mois de Marie (Nevers);
    - C'est le mois où sortent les marcauds (Marcau, maircau, marcou : chat mâle, matou) (Alligny, Moux);
    - C'est le mois où on mène les ânesses aux baudets (Glux);
    - L'un des deux époux mourra prochainement (région de Luzy);
    - Les mariés n'auraient pas d'enfants (région de Fours);
    - On risque de se marier deux fois et le premier mariage prend tout le bonheur (Marzy).

* * * * *

Sur le graphique, nous avons porté les chiffres relatifs à la France entière et à la région Centre Est. Pour les garçons et pour les filles, le mariage est plutôt précoce dans ces villages du Morvan. Chez les filles, comme pour la France entière, l'âge augmente assez régulièrement jusqu'aux générations 1700-1719 puis se stabilise alors que la hausse se poursuit en France. Une baisse apparaît dans les générations 1760-1769 pour les filles seulement...
La remontée, très forte, dans les générations 1780-1789, tient probablement aux pertes de guerre.

Age moyen au mariage

Jacques Houdaille - Quatre villages du Morvan : 1610-1870 - In: Population, 42e année, n°4-5, 1987 pp. 649-670.

* * * * *

L'habillage

La mode du blanc ne s'est introduite qu'après les apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous en juillet 1858. Même en 1900 dans les milieux modestes surtout, les filles se marièrent en toilettes de couleur et sans voile, la toilette blanche coûtant somme toute fort cher et n'étant portée qu'une seule fois. Ce n'est que plus tard, avec la vulgarisation des techniques de teinture, que les plus pauvres se hasardèrent à imiter l'Immaculée Conception pour le seul jour des noces, pour, dès le lendemain, transformer, elles-mêmes, la robe virginale en une brave robe de dimanche, le blanc étant "ce qui se teint le mieux".
Ce sont les filles d'honneur ou "grandes filles" qui habillent la fiancée. La robe est soit de couleur bleu ciel soit noire car, parfois, on ne confectionne qu'une toilette qui servira de robe de lendemain de noce et d'habit de cérémonie sa vie durant. La ceinture devait être placée par la marraine ou la "bounne-mée", en Morvan et en Auxois.
Une petite couronne de différentes couleurs (parfois de fleurs d'oranger en boutons), était posée par la demoiselle d'honneur et fixée solidement sur la tête car si elle venait à tomber c'était le malheur sur le couple jusqu'à la mort.
Ensuite, les "grands garçons", sous la conduite du garçon d'honneur, chaussent la fiancée, en glissant une pièce de monnaie dans chaque soulier.
Les filles d'honneur lui attachent au côté gauche un bouquet et une touffe de rubans, cadeaux qu'elles lui ont faits à frais communs.
Quant à l'épouseur, il n'est guère plus endimanché qu'un autre jour, sauf que ses habits sont de drap, sauf que la cravate, la chemise et le mouchoir de poche donnés par sa future, sont d'une étoffe plus fine. Ce n'est qu'à la touffe de rubans, que les grands garçons ont suspendu à sa boutonnière, qu'on le distingue des autres jeunes gens.
Peu à peu, le cortége se forme aux appels des musettiers; mais, avant de partir, il faut "marquer" les gens de la noce, cérémonie des plus importantes. C'est le devoir de la fiancée qui s'en va attachant, au côté gauche de chacun et de chacune, deux petits rubans disposés en sautoir. Ils sont ordinairement rouges et bleus, blancs et bleus, écossais et lilas, ponceau et orange. On les nomme "les livrées". Si, parmi les invités, se trouve quelque personnage de marque, le Monsieur de la maison, ou quelqu'un des siens, il recevra, comme les garçons d'honneur, non pas une simple marque, mais un véritable flot de rubans longs d'une aune au moins. La fiancée reçoit en retour un baiser, et je vous laisse à penser si ses joues sont roses, quand sa tâche est achevée.

Dans certains endroits, quand la noce est sur le point de quitter la maison, la jeune à marier s'assied dans la porte par où tout le monde doit sortir, place une chaise à côté d'elle, et une assiette dessus. Puis, elle étend sa jambe et relève sa jupe jusqu'au genou. Le premier homme qui passe lui ôte sa jarretière et la dépose dans l'assiette avec ses générosités ; le second rattache la jarretière à la jambe de la jeune fille et laisse aussi son présent dans l'assiette ; le troisième détache la jarretière, le quatrième la renoue et chacun fait son cadeau de noce. Cet exercice et cette offrande se continuent jusqu'au dernier.

La jaretière
Fiez attention de ben aqueurcher lai jârretére
Et peu toué de ben l'oûter
Et peu surtout n'oubliez pas vô sous dans l'aissiette

Le cortège

Le cortège
i lai noce lai Fannie beille le bras â Glaude,
et le Drelôt, le garçon d'honneur
s'demeure brament aivou l'bouquet.

Le cortège, qui devait procéder à pied, ne pouvait se dérouler n'importe comment. En tête, et c'est capital, car il conjure le sort, le ménétrier, joueur de musette, de vielle, de clarinette, ou, vers la fin du siècle, le violoneux dont on sait le pouvoir magique, ensuite la mariée au bras de son père, la joyeuse bande des "grands garçons" et des "grandes filles", la famille et les invités, puis, en queue du cortège, le marié au bras de sa mère, suivi par les gamins du village.
Il est à noter que dans presque toute la province, ce sont les femmes "qui mènent les hommes". En effet la cavalière offrait son bras à son cavalier.

Sur le flanc de la bruyante cohorte, car tout le monde chantait à tue-tête, on retrouvait l'homme au rameau, celui qui, vous vous en souvenez, a trouvé la fiancée hier soir, au cours des jiolées.
Il va et vient, en flanc-garde, levant en l'air son rameau en criant plus fort que les autres. Il est accompagné de deux joyeux lurons, l'un portant bouteille et verre, l'autre ceint d'une serviette blanche retenant brioche en sautoir. Ce sont ces deux éclaireurs qui vont servir à boire et régaler les tireurs bénévoles qui font un feu nourri sur le passage de la noce. Le plus souvent, ils se versent force rasades par la même occasion et font, pour le moins, autant de bruit que les tromblons !
Enfin, un des garçons tient, sous sa blouse, une poule noire, choisie dans la basse-cour de la mariée, et que l'on sacrifiera dès que l'on sera de retour à la maison, et dont les mariés boiront le bouillon brûlant.
Le cortège rencontrera de nombreux obstacles, dressés par la population ou par les garçons : souvent ce ne sera qu'une branche ornée de rubans, en travers de la route, ou bien une table nappée de blanc et couverte de fleurs, et un peu partout des chaises, joliment recouvertes de fleurs en bouquet mais disposées en chicane ou en barricades. Ces bouquets sont, parfois, constitué par un jeune sapin dont les branches ont été soigneusement entourées de bandelettes de papier ou de rubans blancs. Le garçon d'honneur prend le premier, les jeunes gens de la noce prennent les autres, sans oublier de déposer sur la chaise, comme offrande, quelques pièces d'argent qui permettrons aux artistes qui ont confectionné les bouquets et aux tireurs, de boire à la santé du nouveau couple.
Ces différents obstacles ont un sens : ce sont autant de barrières d'octroi que le couple doit franchir, en payant la taxe d'un sourire, ou même d'une pièce d'argent, pour pénétrer dans le groupe des gens mariés et avoir droit de cité.

La mairie

Menant grand tapage, le cortège arrivera à la mairie où l'on signera les "paperasses".

Le Maire commençait par lire à haute voix les actes de naissance des jeunes gens et demandait s'ils possédaient le consentement des parents et le certificat de publication des bans.
Aucune opposition ne s'étant manifesté au projet de leur union, il faisait droit à leur réquisition.
Il lisait à haute voix les articles du Code Civil.
Article 212 : Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance.
Article 213 : Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari.
Article 214 : La femme est obligée d'habiter avec le mari.

Jadis dans les campagnes morvandelles, le jour du mariage, on portait à la mairie, puis à l'église une poule noire que l'on sacrifiait dès qu'on était rentré à la maison. On en faisait un bouillon pour les mariés seulement.
Le 17 juin 1845 l'adjoint au maire de Marzy célébrait pour la première fois un mariage dans la nouvelle maison commune. Les jeunes mariés, qui appartenaient l'un et l'autre à des familles de cultivateurs aisés, avaient d'abord paru peu flattés d'avoir à inaugurer la mairie; les vieux parents prétendaient qu'il devait leur en arriver malheur. L'adjoint crut les rassurer en les prévenant que M. le maire avait fait bénir les nouveaux bâtiments par le curé de la paroisse. Mais il ne tarda pas à s'apercevoir que les conjoints n'avaient pas une entière confiance dans l'intervention de leur pasteur. Pendant qu'il prononçait les paroles sacramentelles au nom de la Loi, un des jeunes gens de la noce, posté dans un cabinet attenant au cabinet du maire, conjurait encore bien plus sûrement le maléfice en immolant aux dieux infernaux un poulet qu'il avait apporté, caché sous son habit, renouvelant ainsi le sacrifice de la mariée romaine.
Ce qu'il y a de piquant, c'est que le secrétaire de la mairie qui, un moment après ramassait la victime sanglante abandonnée par le sacrificateur et, le soir, la mangeait gaiement avec ses amis, avait été un des prétendants à la main de la jeune mariée.

Après la célébration du mariage, on offre à l'officier de l'état-civil un morceau de brioche et un peu de vin. Puis, on reprend sa marche pour l'église, où le bedeau et cinq ou six robustes garnements se sont pendus aux cloches dès qu'ils ont vu la mariée sortir de la "maison commune".

L'église

A la porte de l'église, la musette s'est tue ; tous se sont arrêtés, tous ont fait silence : la mariée "attache sa jarretière" pendant que les carillonneurs, les "marguilliers", carillonnent à toute volée, ce qui s'appelle "sonner les mariés". Les deux époux, conduits par leurs parents, vont s'agenouiller devant l'autel, puis les chants d'églises commencent ; puis, le prêtre donne la bénédiction nuptiale. Et, pendant ce temps-là , tous les yeux sont fixés sur les cierges des mariés. On remarque celui des deux qui brûle le plus vite. Ils sont l'emblème de la vie des époux; celui-là doit mourir le premier dont le cierge s'use davantage.

A l'église
Le mairié é l'air ben meusse,
Lai mariée ai mi sai bague toute sûle.
Mâ feille ou gas, y'en ai pu d'eugne
Que vouro ben ête ai yeu

Et lorsque le jeune homme passe au doigt de sa femme la bague d'argent, premier anneau de la chaîne indissoluble qui lie leurs existences, elle ferme son doigt pour qu'il ne dépasse pas la jointure de la deuxième phalange afin d'avoir autorité dans la maison. On dit que le marié ne se formalisait jamais de ce geste. Au fond, il ne lui déplaisait pas de partager largement les responsabilités du ménage. Il y comptait même. N'est-ce pas une des conditions du mariage : le partage de tout, "sous le même joug" ?
Ce geste pouvait, sur un homme émotif, produire l'effet le plus fâcheux... Pour tout dire, cet acte d'autorité de la part de l'épouse risquait tout bonnement de... « nouer l'aiguillette » de l'époux, et pour l'éviter, car c'eût été dommage, elle s'arrangeait pour qu'à un moment de la cérémonie, son homme marchât sur son châle !
A la bénédiction des époux, il était d'usage, dans certaines paroisses, de les recouvrir d'un grand linge blanc, tenu aux quatre coins par garçon et demoiselle d'honneur, ou par parrain-marraine, alors que le porte-bouquet s'arrangeait pour faire chanter la fameuse poule noire (symbole de la puissance virile et de la fécondité), qui assistait, elle aussi, à l'office, sous sa blouse.Alors, tous les grands garçons se précipitent vers la mariée : c'est à qui arrivera le premier, c'est à qui aura la gloire de détacher sa jarretière. Le reste de la noce s'écoule lentement jusqu'à la porte, où l'heureux grand garçon qui a dénoué la jarretière en distribue une fraction à chaque convié, qui reçoit aussi un morceau de brioche et un peu de vin.
Quand toute la noce s'est ainsi de nouveau marquée, en fixant à son habit par une épingle une, fraction de la jarretière, on se rend au presbytère.

Le tour du village

Il était de coutume de faire la tournée des auberges du village. Non pour y prendre l'apéritif, car ce mot n'existait pas, mais par politesse à l'égard des aubergistes. Là , on boit le vin chaud sucré, la "trempée" comme prélude au solide déjeuner qui se prépare chez le marié.
... Après quoi le cortège se reformait pour faire "le grand tour du village", conduit par le ménétrier qui ne manquait pas de jouer les airs célèbres sur lesquels la malice publique avait mis les paroles que voici :

Air de cortège

Et en Morvan comme en Nivernais, on raconte souvent cette petite histoire qui interprète le jeu des instruments :

Le violon, la flûte et la vielle

"J'ai rencontré l'autre jour une belle noce. Il y avait trois musiciens, un violon, une flûte et une vielle. Tout le monde était dans la joie.
"Le violon disait :

Le violon

"L'un des deux est attrapé !"(bis)

"La flûte reprenait :
La flûte

"Tous les deux !" (bis)

"Et la vielle continuait :
La vielle

"Je le savais bien,
Je n'osais rien dire,
Je le savais bien,
Je n'en disais rien !"

"Mais on ne comprenait pas le langage des instruments de musique et tout le monde était dans la joie."

Autre interprétation :

L'un des deux est attrapé
Et ce soir fera un peût nez.

Ma mère me l'avait bien dit
Que je serais pris avant minuit.

Je le savais bien, je n'osais rien dire,
Je le savais bien, mais je n'en disais rien.

Et tout le long du chemin, les chants, les conversations, tout se ressent de la station faite à la taverne : la conséquence est mathématique ; mais rien de plus saillant, à moins que quelqu'un n'ait planté un bouquet au milieu de la route.
Alors, on s'arrête et l'on danse en rond autour du bouquet ; on donne un morceau de brioche et un verre de vin à la personne qui vous a fait l'honneur de ce bouquet qu'on emporte. Et tout est dit ; on reprend son chemin sans halte, si on ne rencontre pas encore quelques honneurs.
Cependant, toute cette gaieté est quelquefois attristée par des rencontres fâcheuses : si une pie traverse le chemin, c'est mauvais augure, un malheur traversera la vie des mariés. Si l'on rencontre un mort qu'on mène en terre, c'est un malheur encore que l'avenir leur garde. La superstition, dans le Morvan, exploite la moindre chose, le moindre événement. On ne se marie jamais dans le mois de mai : on l'appelle le mois des ânes.

1904 - Mariage à Fâchin

Retour à la maison

La noce arrive au domaine.
Les personnes restées à la maison pour veiller aux apprêts du repas ont été, averties par les chants joyeux et les sons de la musette de l'approche de la noce qu'elles ont vu, il y a déjà quelque temps, descendre le penchant de la colline.
Elles se sont portées à la porte de la maison, et quand la mariée est sur le point d'en franchir le seuil, la mère ou l'aïeule de l'épousée lui lance au visage une poignée de graine de chanvre ou de navette, et la force à donner un coup de dent au morceau d'épogne (époigne, épougne = petit pain de forme arrondie)qu'elle lui présente en souhait de prospérité, aillieurs il s'agit de froment ou de grains de chenevis ou des noisettes. Un balai est jeté traîtreusement en travers du seuil; si l'épousée, en entrant dans la maison le ramasse et le met soigneusement à sa place ou s'en sert adroitement, l'augure est favorable, elle sera bonne ménagère, une véritable "mâtrosse"; si au contraire, distraite ou réellement négligente, elle franchit l'obstacle sans y prendre garde, elle est jugée sévèrement et aura fort à faire pour effacer cette première impression.
Par cette pluie de graines dont on l'inonde, on souhaite à la jeune femme beaucoup d'enfants, seule richesse du pauvre cultivateur ; si ce sont des enfants mâles qu'on lui souhaite, c'est de la graine ronde qu'on lui a lancée à la tête; pour les filles, c'eût été de la graine longue, du seigle, de l'avoine, par exemple. Quant au morceau de pain mordu, c'est le symbole de la communauté.

Repas de noce

Repas de noce
Ai table ! et migez ben teurtous
le jau â sang, lai téte de via
et lai tarte ai lai s'mouille.

Le déjeuner fume sur la table.
Si les mets qu'on y sert ne sont point succulents, ils sont abondants du moins : "y a d' quoé m'zer !". On a décimé la basse-cour (Jau au sang), on a attaqué la bergerie, attaqué l'étable ("Tête de veau"), sur la table s'étalent le pâté en croûte accompagné de son buisson d'écrevisses, de volumineuses brioches, de circulaires et larges flans à la semoule ("tarte à la s'mouille"). Le vin de Bourgogne coule dans tous les verres à pleins bords. Rien ne manque à ce repas, où tous les convives mettent de côté leur sobriété naturelle. On reste longtemps les pieds sous la table.

Après ce substantiel "reginguau ou regingot", c'est le bal pour la jeunesse, dans la grange, spécialement aménagée : des draps blancs sur lesquels on a piqué fleurs et verdure recouvrent les murs : dans un coin un tonneau sert d'estrade au musicien... et c'est tout !... Cela suffit à une jeunesse pleine de gaieté et d'entrain !.. Les "vieux" attendront patiemment à table, en devisant ou en jouant aux cartes, que vienne l'heure du dîner.

Le dîner, c'est le grand repas !.. Commencé à la nuit tombante, il se prolongera fort longtemps, pendant des heures et des heures ! et quand poindra l'aurore elle surprendra plus d'un convive encore à table ! Le même défilé de plats qu'au déjeuner, recommence avec cette circonstance aggravante, c'est qu'ils sont encore plus nombreux... et les mêmes monceaux de pâtisseries, de brioches, de tartes et de flans s'étalent sur la table! Le vin coule dans les verres, les bouteilles arrivées pleines sont aussitôt vidées... le "bouteillé ou bôteillé" est sur les dents! (Celui qui, dans les noces, est spécialement chargé de la distribution des liquides, distribution qu'il doit pourvoir sans parcimonie. Il doit aussi fournir le sucre. Les jeune gens mettent leur point d'honneur à ne pas laisser les filles qu'ils accompagnent manquer un seul instant de sucre dans leur vin) .. et cela continue... continue pendant des heures !..avec des danses, des histoires et des chansons :

Le ch'tit borgeaillon

    - Bibi - 1977

Mazurka de Massingy

    - Roger Teillier - 1977

La valse morvandelle

    - Tingault et Fabert - 1977

Polka des gars de Jnas - Lai sauteriotte

    - Jeannot Gauthier - 1977

La mal mariée

    - Disque : "Chants et danses du Morvan" - 1980

En Puisaye nivernaise, lors du mariage de la fille unique ou de la dernière des filles de la maison, les jeunes gens ramassaient tous les balais vieux et neufs qu'ils pouvaient trouver et en faisaient un feu de joie le jour ou le lendemain du mariage. Les mariés, et toute la noce, dansaient autour du bûcher puis, par couples, sautaient par dessus. On disait à Entrains qu'"ayant marié la fille on n'a plus besoin de balais".
Au dessert, mariée et marié, le verre en main, feront le tour de l'assistance, trinquant avec chaque convive et essuyant avec le sourire, les voeux et les... plaisanteries plus ou moins épicées... Puis la jeunesse impatiente reprend le chemin du bal. Au cours de celui-ci, les épousés saisiront l'occasion favorable pour disparaître : ils iront se réfugier chez des parents ou des amis, qui leur donneront asile pour le reste de la nuit.

Le lendemain - La trempée

La trempée

A l'aube, les jeunes gens partiront à la recherche des mariés pour leur offrir, suivant la tradition, la "trempée" ou "rôtie". Celui qui a eu le bonheur aux Jiolées de trouver l'épousée, s'en va, une pleine jatte de vin à la main, quêtant le sucre que chaque grand garçon donne à sa générosité ; puis, le sucre fondu, on jette dans le vin deux tranches de pain, et, musique en tête, toute la noce se rend à la chambre des mariés. Généralement, ils finissent toujours par découvrir leur refuge, quelque soin qu'on ait mis de le tenir secret. Alors, ils escaladent au besoin la fenêtre, envahissent la chambre et présentent aux jeunes époux, le réconfortant breuvage que ceux-ci boiront bravement sous le feu roulant des rires et des plaisanteries. La mariée porte la première ses lèvres à la trempée ; la première elle prend sa part du pain qu'on lui offre. Ils boivent tour à tour jusqu'à la dernière goutte et, à chaque reprise, un des grands garçons leur passe sous le nez, pour leur essuyer les lèvres, une aile de volaille, un pieumas. Puis, celui qui a apporté la trempée prend sur ses deux bras la jeune femme qui, jusqu'ici, ne s'est point déshabillée, la fait danser quelque temps et la remet auprès de son mari de la manière dont il l'y a prise. Ceci fait, tandis que le nouveau couple se remet de ses émotions, la folle jeunesse revient au bal et les quadrilles échevelés, les valses tourbillonnantes, les polkas lourdement scandées, recommencent et continueront jusqu'à ce que le soleil monte à l'horizon.

Après un copieux déjeuner, la fête reprend car "il n'y a pas de noce sans lendemain" et, à la fin de la deuxième nuit, ordinairement jeunes gens et jeunes filles exténués et repus des danses modernes, cèdent la place aux "vieux" qui entrent en scène à leur tour. Alors c'est l'heure de la "bourrée carrée" des "sauteuses" où de vigoureux coups de talons accentuent la mesure, et surtout du "branle" l'ancienne danse nationale du Morvan !.. Et, vieux et vieilles, excités par la bonne chère, les discussions, les veillées, gagnés par l'ambiance, se trémoussent, s'avancent, se reculent, frappent du pied, se balancent et pirouettent... pour la plus grande joie des assistants... soudain un des danseurs, le chapeau en bataille, la blouse retroussée et passée dans la ceinture du pantalon, dans le feu de l'action, entonne un antique refrain, accompagnant d'une voix chevrottante les accents saccadés du violon :

"Le vieux gigouégnot lai veille,
Lai veille giguouégnot le vieux...
Ah ! qu'a giguouégnint don bin
Les deux poors vieux
Malhéreux !..." etc.

Et les rires, les exclamations, les cris fusent de toute part : c'est une débauche d'allégresse, un débordement de joie !... La danse continue jusqu'à ce que, vaincus par la fatigue, essouflés, en sueur, haletants,.. danseurs et danseuses aillent s'effondrer sur les chaises et les bancs du pourtour de la salle.
Mais une lueur blafarde pénètre par les fenêtres, par la porte mal jointe : c'est le jour !.. Après un moment de répit, on exécute la fameuse "danse du balai" puis la ronde finale commence. Jeunes gens et jeunes filles, la main dans la main, forment un vaste cercle au centre duquel pénètre un cavalier puis l'antique chanson monte, monotone sans doute mais charmante dans sa naïve simplicité :

I aivons ein chairmant rousier
Que pourte fleur au mois de mai..
Entrez, entrez chairmant rousier
Et vous embraisserez
Lai rôse que vous eumez !

Et le cavalier seul s'empresse d'obtempérer en embrassant l'élue de son coeur, puis cédant la place au suivant, il réintègre son rang dans le cercle mobile et ondulant.
Quand tous les cavaliers ont rempli cette agréable obligation, vient le tour des jeunes filles, tandis que l'on chante :

Le mois de mai ot bin passé
Et mon rousier n'é pas flûri...
Entrez, entrez, chairmante rose
Et vous embraisserez
Le rousier qu'vous eumez !..

Le peu de temps donné au sommeil entre les danses et le déjeuner, où se doivent "m'zer las rechles" de la noce, a calmé l'effervescence, je dirais presque l'ébullition des conviés. A part quelques propos légers qui traversent encore la table en tous sens, à part quelques bons mots aux dépens de la mariée, on est plus sérieux, plus posé. Une chose seulement préoccupe tous les esprits : chacun tient à savoir quel est celui des deux mariés qui s'est endormi le premier : car celui qui s'est endormi le premier dans la nuit de ses noces doit le premier aussi s'endormir dans la nuit du trépas.

La fête se termine avec ce déjeuner, à moins que les apprêts n'aient excédé le nombre et l'appétit des conviés. En ce cas, la noce continue jusqu'à l'entière consommation des vivres. Puis sur un dernier chant les noceurs se séparent et rentrent chez eux :

Allons nous en les gens de noces

Allons-nous-en les gens de noces,
Allons-nous-en chacun chez nous.
Nous avons marié notr' fille
Nous n'avons plus besoin de vous,
Alons-nous-en. (bis)
Allons-nous-en les gens de noces,
Allons-nous-en chacun chez nous.

Après cette excursion gastronomique, chacun rentre dans sa sobriété, chacun reprend sa vie de travail et de fatigue.
Ainsi se terminait le grand branle-bas provoqué dans les villages par un mariage ; le dimanche qui suivait les noces, et que l'on appelait le Beau Dimanche, on faisait souvent le "retour de noces", avec un repas où l'on invitait quelques parents et amis que l'on n'avait pas pu inviter pour le grand jour...
Et puis la nouvelle mariée se vêtait de noir, ou de couleurs sombres, qui étaient la livrée des "femmes", et le couple entamait la vie commune et professionnelle.


"Nouer l'aiguillette"

On portait autrefois des hauts-de-chausses attachés avec une aiguillette ; et on disait d'un homme qui n'avait pu s'acquitter de son devoir, que son aiguillette était nouée. Les sorciers ont de tout temps passé pour avoir le pouvoir d'empêcher la consommation du mariage : cela s'appelait nouer l'aiguillette. La mode des aiguillettes passa sous Louis XIV, quand on mit des boutons aux braguettes.

Les aiguillettes

Ambroise Paré admettait ce malfaisant pouvoir du démon :
« Il ne faut douter, dit-il, qu'il n'y ait des sorciers qui nouent l'aiguillette à l'heure des espousailles, pour empescher l'habitation des mariez, desquels ils veulent se venger meschantement. »

Disons de suite que, dans nos campagnes, tout le monde croit au pouvoir des Noueurs d'aiguillettes, et c'est par une excellente grand'mère que j'en entendis parler pour la première fois. Comme elle voyait le berceau de ses petits-enfants vide après deux ans de mariage: « Vous a-t-on donc noué l'aiguillette ? leur dit-elle tristement; à votre âge, je commençais mon troisième. » Expliquons le cas :
Dans ce qu'on est convenu d'appeler le bon vieux temps et alors qu'il n'y avait, dit-on, qu'à faire un tour de jardin pour y trouver un enfant couché sous une feuille de chou, nos aïeux ne connaissaient pas la si précieuse fente pratiquée aujourd'hui dans nos pantalons pour nous permettre de vaquer à certaines nécessités auxquelles nous sommes tous sujets et qu'on ouvre ou qu'on ferme à volonté au moyen de quelques boutons. Cette fente qui fait certes si grand honneur à celui qui l'imagina était remplacée par une sorte de large pont-levis de forme carrée qu'on nommait une braguette ou un pont. Cette braguette se rattachait au reste du haut-de-chausses au moyen de lacets terminés par des ferrets de métal qu'on nommait des aiguillettes. Quand l'aiguillette se trouvait trop bien nouée, le patient qui ne pouvait parvenir à abaisser son pont se trouvait dans une douloureuse situation.
Du contenant au contenu, il n'y a qu'un pas. Si l'aiguillette était trop bien nouée, disons-nous, si la porte restait close, impossible de vaquer à ses devoirs. De là , l'habitude de dire de quelqu'un qui, pour cause ou autre, se trouve réduit à l'état passif de certains de nos volatiles de basse-cour: « On lui a noué l'aiguillette. »

Les envoyeux

Or, comme je viens de le dire, on est absolument persuadé dans nos campagnes que cette impuissance est due à un charme que vous jettent certains terribles sorciers qu'on désigne sous le nom typiques d'envoyeux, soit que ce mot signifie qu'ils sont envieux de votre sort ou bien qu'ils aient la faculté de vous envoyer tels maux que bon leur semble à l'aide de certains maléfices dont nous donnerons tout à l'heure la recette. Ces envoyeux ont donc le pouvoir indiscuté, non pas de couper court aux erreurs du jeune âge, mais de rendre, pendant un temps plus ou moins long, et, à leur volonté, l'un ou l'autre des époux, l'homme ou la femme, complètement impuissants. Chez la femme, le charme se traduit par une horreur invincible pour son mari dont elle repousse avec fureur les moindres caresses.
A ce propos, on m'a cité tout dernièrement encore, un cas de ce genre advenu dans un village de notre Morvan. La fille du grand Charly ayant contracté mariage avec le fils du gros Thomas, un fort beau gars vraiment, chez lequel elle devait aller bru, se mit, le soir même de ses noces, en révolte ouverte contre son mari et fit tant et si bien qu'il fallut la ramener chez ses parents, laissant son jeune époux seul au lit nuptial; ce n'est qu'au bout de deux ou trois mois et après l'avoir conduite pendant plusieurs heures par jour chez le curé du lieu pour la faire exorciser, qu'on parvint enfin à la rendre plus traitable. Bien entendu, c'est le sorcier qui lui avait noué l'aiguillette.

Recettes pour nouer l'aiguillette

Ne soyons donc, pas surpris si aujourd'hui encore on croit aux envoyeux et à leur pouvoir de nouer l'aiguillette des jeunes époux. Du reste, je tiens d'un sorcier de mes amis ce terrible secret qu'il a bien voulu, me livrer en échange de quelques petits services que je lui avais rendus et avec promesse, bien entendu, que je ne le livrerais à personne. Je compte bien, chers lecteurs, que vous tiendrez ma promesse.
Procurez-vous tout d'abord un grand lien de tresse blanche en fil écru, n'ayant jamais servi, comme en vendaient jadis les marchands dits de longueurs qui portaient dans les foires ces sortes de tresses de toutes couleurs suspendues à de longues perches; faites ensuite trois noeuds à ce lien, à égale distance les uns des autres et, sur chaque noeud, faites un signe de croix avec le pouce de la main gauche, en disant chaque fois: « Je te lie » Puis, après avoir fait le signe de croix sur le premier noeud et dit : Je te lie, vous ajoutez le mot cabalistique : « RIBALD » Sur le second, vous dites : « NOBAL » et sur le troisième: « VARNABI » Ces trois mots ont tout pouvoir pour opérer le charme et rien ne leur résiste. Pour terminer l'opération, vous vous rendez ensuite sur le chemin que doit suivre la noce en allant à l'église, et vous pratiquez, dans l'endroit où elle passera, un trou dans lequel vous enterrez votre lien en le recouvrant soigneusement de terre pour qu'on ne puisse le voir. Il suffit, dès lors, que quelqu'un de la noce, ce qui ne peut manquer d'arriver, pose un pied sur ce trou pour que l'un ou l'autre des époux, à votre choix, se trouve immédiatement lié.
Mais, pour que les effets du sort que vous venez de jeter durent le plus longtemps possible, vous déterrez votre ruban quand la noce est sortie de l'église et sans qu'on puisse s'apercevoir de ce que vous faites, puis vous vous rendez vers un ruisseau qui ne tarisse jamais et vous attachez votre ruban à la racine de quelque arbre, de façon à le laisser flotter dans l'eau. Tant qu'un morceau de ce ruban restera attaché à la racine de l'arbre et sera plongé dans l'eau, l'époux que vous aurez désigné restera noué.

Il est encore une autre recette qui, sans nouer complètement les époux, les empêche de se supporter et les rend ennemis irréconciliables. Contons-la en passant. Prenez pour cela du poil de chien et du poil de chat, animaux bien connus pour l'antipathie qu'ils ont d'ordinaire l'un pour l'autre. Introduisez ces poils bien mêlés ensemble dans une dent de herse fendue à cet effet. Placez cette dent ainsi préparée dans un trou sur le seuil de la porte de l'église ou sur un chemin que suivra sûrement la noce pour s'y rendre, vous pouvez dès lors être certain que si quelqu'un de la noce marche sur ce trou, les jeunes époux ne manqueront pas de se quereller dès la sortie de l'église et ne cesseront pas d'avoir dispute entre eux tant que la dent de herse que vous aurez eu soin de retirer de son trou et de jeter ensuite à l'eau y restera plongée et retiendra ensemble les poils qui y ont été introduits.

Recettes pour éviter d'être noué

Heureusement que nous avons des recettes pour parer à tous ces maléfices. Certain chanoine du nom de Thiers recommandait, à cet effet, au jeune à marier (n'y voyez pas mal, je vous prie) de pisser dans l'anneau nuptial avant de le remettre à sa future épouse pour la bénédiction nuptiale.
Les anciens se frottaient avec un onguent fait de corbeau détrempé dans de l'huile de sésame, cette plante magique qui ouvre toutes les portes et brise tous les noeuds, quand on sait la manière de s'en servir. D'aucuns préféraient ingurgiter une infusion d'aristoloche ; on recommande encore d'enduire de graisse de loup les jambages de la porte de la chambre nuptiale; mais le moyen le plus sûr et le plus simple c'est de recommander à la jeune mariée de mettre sa chemise ou ses bas à l'envers avant de se rendre à l'église, et au futur d'aller trouver le marguillier de sa paroisse et d'obtenir de lui un peu de râpure du cierge pascal qu'il aura soin de placer dans un petit linge blanc et de s'attacher sur le nombril, où il le laissera jusqu'au lendemain de ses noces.

Et, à ce propos, qu'on me permette d'indiquer un remède fort préconisé jadis, et que je trouve soigneusement enregistré dans les mémoires d'une vertueuse châtelaine, Madame de ***, qui l'avait expérimenté avec succès et fait expérimenter par des dames de ses amies, pour qu'une femme jusqu'alors stérile puisse concevoir. Le voici tel quel, sans que j'en retranche ou que j'y ajoute un seul mot ; n'y voyez donc pas mal et ne soyons pas plus prudes que cette honnête dame :

« Prenez testicules d'un renard séchés à l'ombre et réduits en poudre, une dextre de matrice de lièvre pareillement séchée et réduite en poudre, du mastic, de la canelle, du sucre, clous de girofle, le tout en poudre menue, mélangez le tout et faites-en quinze paquets.
Aussitôt que la femme s'aperçoit de la venue de ses mois, elle en prendra un paquet matin et soir dans du bouillon et continuera jusqu'à ce que ses mois soient finis. Le huitième jour, en se mettant au lit qu'elle reçoive par le bas, dans une chaise percée, le parfum d'une once d'ambre. Le mari, de son côte, se frottera le gland d'une demi-once de civette ou moment où il voudra connaître sa femme, observant tous deux de vivre en chasteté pendant les huit jours. On peut répéter trois fois. »

Expérimenté avec succès.


Une noce en forêt

Une noce en forêt - L.-M. POUSSEREAU - La Machine, 20 mai 1903

Quel est cet instrument qui résonne sous bois,
Accompagné du chant d’une joyeuse voix ?
L’instrument, - qui nasille, - est une vieille vielle,
Dont joue à tour de bras le sabotier Fonvielle,
Et la voix jeune et fraiche, aux accents éclatants,
Qui vibre dans l’air pur d’un matin de printemps,
Est celle d’un fendeur de la forêt voisine ;
Paul, pour l’instant garçon d’honneur de sa cousine !..
Car le cortège gai qui soudain apparait,
Orné de rubans, est une noce en forêt.

En tête, le vielleur, en grimaçant, s’escrime
A jouer un vieil air à la naïve rime ;
Derrière lui, François et Lise, les époux,
Marchent en échangeant des sourires très doux,
Tandis que Paul, chantant toujours sous la charmille,
Ne s’interrompt que pour embrasser sa grand’fille..,
Puis viennent les parents, les amis : bucherons
Droits comme des sapins, charbonniers aux dos ronds,
Chaussés de gros souliers, vêtus de blouses bleues,
Dont quelques-uns, hier, sont venus de six lieues
Pour prendre un bon repas et danser à plaisir…
Le « gnin gnin » de la vielle avive leur désir,
Et tantôt, à l’auberge, en sortant de l’église,
Les grands garçons faisaient un vis-à -vis à Lise.

Maintenant le cortège approche du vallon
Parfumé de muguet où la mère Boulon
Surveille les fricots, en attendant la noce :
- « Mes petits, vous allez vous en faire une bosse
Avec mes bons poulets, mes canards aux oignons ! …
Allez, vous en avez du bonheur, mes mignons !... »
Et, ce disant, la vieille, avec un air très drôle,
Hume l’odeur qui sort de chaque casserole.
Puis, sur la grande table, au pied d’un chêne vert,
Devant la hutte en chaume, elle met le couvert.
A ce moment la noce entre dans la clairière…
Alors, bras en avant et bonnet en arrière,
Le cordon bleu s’élance et, gaiment, va poser
Sur le front des époux un sonore baiser.

L’instrument joue encor. Sous le soleil qui brille
Les jeunes bûcherons commencent un quadrille ;
Mais les vieux, ayant l’estomac dans les talons,
Préféreraient manger. – « Allons, enfants, allons…
C’est bien assez dansé comme cela, que diable !...
Le déjeuner est cuit : il faut se mettre à table… »
Dit un gros charbonnier en s’essuyant le front.
Mais voyant bientôt que ses avis ne feront
Pas cesser les danseurs ni le son de la vielle,
Par derrière il saisit les deux bras de Fonvielle.
Aussitôt l’instrument s’arrête et l’avant-deux
Se trouve interrompu. – « Bravo ! père Brideux !
Vous avez bien agi ! » disent les hommes d’âge :
« On a faim… à quoi bon attendre davantage ?... »
- « Après tout, m’est avis que vous avez raison »…
Répond l’ardent vielleur. – « Alors, viens, ma Lison… »
Dit François en prenant la main de son épouse :
« Assied-toi sur ce banc ; je vais passer ma blouse,
Car je crains de graisser mon habillement neuf… »
On s'attable et l'on sert le potage et le bœuf,
Puis les lapins sautés, les poulets sauce blanche,
Les canards aux oignons !... Bientôt la longue planche,
Sur des piquets posée, est couverte de mets
Et de litres de vin ! ... Quelle noce!... Jamais
Les braves charbonniers, à la frugale vie,
N'avaient vu, dans les bois, table si bien servie !...
Aussi, jeunes et vieux lui font-ils grand honneur !...
Paul se lève au dessert : - « Trinquons tous au bonheur
De François, mon cousin, de Lise, ma cousine,
Dit-il, et battons tous un ban pour la cuisine
De la maman Boulon! ... » Les verres sont choqués
Et le ban proposé se bat aux temps marqués :
Il réveille l'écho de la forêt profonde,
Et des geais curieux, qui perchaient à la ronde,
S'envolent en criant, tandis que les pinsons,
Un moment effrayés, reprennent leurs chansons ...
La grand'fille d'honneur, - qui s'appelle Clémence, -
D'une voix douce et claire entonne une romance.
Pour le dernier couplet, on bisse, on applaudit,
On trinque, on boit un coup; puis Paul se lève et dit :
- « Si vous voulez, je vais vous dire un monologue ...
- « Lequel'?» demande-t-on. – « L'Anglais archéologue..»
Répond le gai fendeur. – « Bravo! parfait ! très bien ! »
On trouve cela beau..., car on n'y comprend rien ...
Et tous les bûcherons, dont le regard flamboie,
A la fin du récit retrinquent avec joie.

La musique a repris. On danse une polka,
Pendant que les anciens sirotent le moka;
Puis Brideux sort sa pipe et, quand elle est bourrée :
- « Maman Boulon, dit-il, dansons une bourrée ! »
- « Avec plaisir ! » répond la vieille en s'avançant.
Alors, en face l'un de l'autre se plaçant,
Aux sons cadencés de la vielle nasillarde,
Ils exécutent, fiers, la danse montagnarde.
- « Bravo ! bravo ! dit-on : ce sont encor les vieux,
Quand ils s'y mettent, qui s'en acquittent le mieux! »

Brideux éponge son front chauve qui ruisselle,
Et la mère Boulon retourne à sa vaisselle.

Cependant le soleil descend à l’horizon ;
Ses longues flèches d'or glissent sur le gazon
Et caressent les fleurs nouvellement écloses…
Devant la hutte, on fume, on se dit mille choses…
Fonvielle, juché sur la table du festin,
Se prépare à jouer « la Brise du matin »,
Grande valse, dit-il, comme « le Tour du monde… »
Bras-dessus, bras-dessous, les danseurs font la ronde,
Puis, dans le tourbillon de la valse emporté,
Chaque couple, un instant, tourne avec volupté…
Le père François demande alors un branle.
Aussitôt, - pipe aux dents, - le groupe âgé s’ébranle,
Et frappe du talon, et tourne, et bat des mains,
Jusqu’à ce que la vielle ait fini ses « gnins gnins ».

On s’amusa longtemps dans la forêt superbe,
Tandis que les grillons au loin chantaient dans l’herbe
Et que les rossignols des grands bois d’alentour
Faisaient retentir l’air de leurs trilles d’amour !



Sources :

Dessin de Catherine Goxe

Notice sur les noces de campagne dans le Morvan (en 1840) - A. DUVIVIER
Glossaire du Morvan - E. de Chambure - 1878
Les usages, croyances, traditions, superstitions de l'Yonne - Charles MOISET - 1888
Patois & Locutions du Pays de Beaune - Charles BIGARNE - 1891
Légendes et traditions populaires de la Côte-d'Or (Etude de folklore) - F. MARION - 1929
Société du folklore français. Revue de folklore français. 1934/03-1934/04. M. A. DESFORGES
Recueil de Chants populaires du Nivernais - Troisième et Cinquième Série - Paul DELARUE - 1938
Folklore du Nivernais et du Morvan * - Jean DROUILLET - 1959
La vie quotidienne des paysans bourguignons au temps de Lamartine - Henri VINCENOT - 1977
Cartes postales du groupe folklorique : Les Enfants du Morvan - 21000 Dijon - « Les Enfants du Morvan »
"Les Etangs de Marrault" - Roman de Francis FARLEY - 1987
Croyances de chez nous : Les noueurs d'aiguillettes - Mémoires de la Société académique du Nivernais - Lucien GUENEAU - 1886
Veillée conte, musique et chant à l'occasion de la sortie du disque "Pays de Saulieu" - Janvier 1977
Photos de mariages tirées du livre de Michel Salesse : Les noces en Morvan