Le MorvandiauPat Les tissus
Le Morvan Les communautés Les flotteurs Les margotiniers Les galvachers Les nourrices Les « Petits Paris » Les conscrits Les musiciens Les "Ailleurs" Le calendrier Le mariage Les danses Les chansons L'humour Les tissus Les habits La lessive Les métiers
disparus d'Avallon
A voir Les parlers
morvandiaux
Les parlers
bourguignons-morvandiaux
Glossaire
bourguignon-morvandiau
Mises à jour

"Pendant des siècles, nos paysans nivernais et morvandeaux,
comme tous les paysans de France,
se sont habillés de toile et d'étoffes de laine et de fil,
fabriquées par les tisserands de village".



Jusqu'au XVIIIe siècle, un monde de laine, de chanvre et de lin

On peine à imaginer aujourd'hui toute une population habillée de laine, de chanvre et de lin. Pourtant la soie est réservée à l'élite. Le coton ne se diffuse qu'à partir du XVIIe siècle , il n'atteindra les classes populaires qu'après 1760.
À la campagne, tous les paysans élèvent des moutons et cultivent quelques hectares de chanvre pour leur propre consommation Les familles utilisent le produit de la tonte pour tricoter des bas de laine, des pulls ou des tuniques. Elles filent et tissent elles-mêmes laine, chanvre et lin pour des vêtements et des couvertures.
Dans tous les villages s'activent des fileuses et des tisserands.



Qu'est-ce qu'on met en terre,
Qu'on sort de terre,
Qu'on met dans l'eau,
Qu'on sort de l'eau
Et dont on casse les os
Pour avoir la peau ?

Le chanvre

1778 - Il n'est pas jusqu'aux rebuts même & aux chiffons de toile, dont on fait usage dans les papeteries, qui ne soient recherchés des étrangers comme les meilleurs qu'ils connaissent. Les Hollandais les enlèvent au préjudice des manufactures du pays, & les paient un tiers plus que les chiffons des autres pays soit que les chanvres de la Bourgogne soient de meilleure qualité, & qu'ils aient des fibres plus déliées & plus propres à faire une bonne pâte de papier; soit que les cendres des bois qu'on emploie dans les lessives, ne fatiguent pas autant le linge que celles des autres pays. Les chanvres du Châlonnais & de la Bresse sont renommés par la force & la longueur des fils...

* * * * *

En Nivernais comme en Morvan chaque ménage avait sa petite chènevière :

La chamiée (Tannay, Amognes, etc.)
La chamniée (Varzy, La Charité)
La chemiée (Lys)
La chomiée (Cosne)
La cemnée (Morvan)

La récolte se faisait en deux fois, car le chanvre étant une plante dioïque, le pied mâle ou pied à étamines était mûr bien plus tôt que le pied femelle ou pied à graines. Et, chose curieuse, nos paysans changeaient cette désignation. Ils appelaient femelle le pied mâle et vice-versa.

Chanvre mâle Chanvre femelle

Semé en mai, le chande était tiré en août dègne par dègne, la femelle d'abord, puis le mâle. Battu, égrené, le chande était alors êgé (roui) dans une mare où on le laissait une dizaine de jours, voire deux ou trois semaines, puis séché et remisé.
Après vannage et criblage, les plus beaux grains étaient réservés pour les semences, les autres livrés à l'huilier pour en extraire l'huile. Le résidu, un pain très pressé appelé maton (tourteau), servait à la nourriture du bétail.
L'hiver, à la veillée, on le teillait, c'est-à-dire qu'on séparait les fibres du bois, les filaments de chanvre des chamnotes (chènevottes). Ces chamnotes serviront à allumer le feu et le chande coché, c'est-à-dire bien martelé pour l'assouplir, et mis en pelouton, en étoupon, attendra le ferteux.

Le chanvre, pas cher, qui sert aux vêtements de tous les jours et au linge de maison, est très difficile à travailler. Contrairement au lin, il reste rugueux et garde une couleur brune. Saint-Simon décrit le linge que porte Madame de Montespan après sa disgrâce pour se mortifier « ses chemises et ses draps étaient de toile jaune la plus dure et la plus grossière [...]] cachés sous des draps et une chemise ordinaire. » Avec le fil le plus fin, dit fil plain, on tisse les toiles des chemises épaisses et raides. On y taille les chemises de nuit, les draps et certaines parties des chemises de jour, dont les extrémités sont en lin plus fin. Comme pour les vêtements, toutes les fibres sont récupérées et utilisées. Le rebut de la filasse ou étoupe, aux fils trop courts pour être tissés, sert à confectionner de gros tabliers et des paillasses.

    Le plain était la première qualité de chanvre à filer. Quand, à la veillée, on avait teillé le chande, c'est-à -dire séparé les chamnotes (chèvenottes) et le chande (les filaments), celui-ci était roulé et mis de côté en attendant le forteux (frotteur) ; c'était le pouleton de chande (le peloton). Le forteux faisait 4 qualités de filasse la 1ère, le plain, pour les chemises fines, les nappes, les serviettes de table la 2ème, l'étoupe, pour les draps ; la 3ème, la bourrache, pour les charriers ; la 4ème, les cornus, pour les sacs à grain, à noix, à pommes de terre.
    Recueilli par Paul Delarue auprès de M. Seguin, né à Oudan en 1859


Le chanvre et son utilisation dans le Morvan du nord-ouest

Les cueilleuses

Le chanvre (le cind) était une des plantes utilisées dans la petite culture vivrière d'autrefois et il y a tenu longtemps une place essentielle. La preuve en est qu'il était généralement cultivé aux abords de l'exploitation dans une huis ou un jardin destinés à cet effet et copieusement fumés. Le chanvre que l'on semait en mars était récolté en juillet ordinairement à la faucille. On prétend, dans certaines régions de France, que le chanvre avait sur les femmes qui le coupaient, un effet excitant ; on connaît les propriétés du chanvre et il est fort probable que ces faits aient été vérifiés.
Selon les endroits ou les habitudes des exploitants, on faisait rouir (èzer à St-André-en-Morvan) les tiges de chanvre coupées soit à même le sol, soit sur une haie ou notamment dans un trou d'eau ou une rivière.

Rouissage

Cette dernière méthode était sans doute la plus efficace et la plus rapide, maïs elle provoquait de graves phénomènes ; les végétaux pourrissent par le rouissage et c'est alors qu'on peut en tirer les fibres. Cependant, cette pourriture entraînait une pestilence insupportable et surtout, la condamnation de la mare dont on fait grand cas en Morvan pour l'abreuvage des bestiaux. Une rivière ou un ruisseau amoindrissaient les dangers; mais, sur certains cours d'eau (l'Yonne en particulier), le rouissage fut interdit. Les usagers construisaient, le long des rivières, des bacs creusés dans la terre et alimentés de l'eau de ces cours ; celle-ci, se polluant au contact du chanvre, était rejetée dans les rivières en leur créant de graves préjudices. On en vint à condamner cette technique au XVIIIe siècle parce qu'on la pratiquait à trop grande échelle. Il est à noter que certains paysans utilisaient un bac ou une auge remplie d'eau, ce qui, en définitive, était le moyen le plus commode et le moins embarrassant.
Après cette opération préliminaire qui avait pour but une meilleure séparation des fibres végétales les unes des autres, on procédait au teillage. Teiller se dit décassener dans cette partie du Morvan. On sait que durant la mauvaise saison, beaucoup de petits exploitants étaient contraints de s'expatrier pour chercher un travail dans une région plus lointaine puisque l'occupation n'était plus suffisante chez eux. Des pays se sont ainsi spécialisés dans des tâches toutes particulières au point qu'ils en sont devenus des mythes (1). Le Morvan lui-même envoya longtemps des travailleurs à l'extérieur : galvachers pour les charrois, bouviers pour les labours ou le transport des betteraves en Picardie, nourrices, moissonneurs ...
Le broie
Pour teiller le chanvre, on avait en général recours à des hommes venus d'Auvergne et que l'on nommait ici : les srégeux ou matichâs. Leur outillage consistait en un broie et en peignes de différentes tailles, les srés. Ils étaient faits d'une planchette de bois percée de clous d'une dizaine de centimètres de longueur et plus ou moins rapprochés les uns des autres de façon à retenir plus ou moins de filasse.
Après les avoir rompues à l'aide du broie, ils passaient les tiges la chenevotte, (lai savenotte) dans des pointes acérées qui en retenaient les fibres imparfaites destinées à certains usages domestiques, notamment à la confection des matelas. Du plus gros au plus fin des peignes, le superflu était par conséquent éliminé pour obtenir une filasse propre à être travaillée.
Si jusqu'alors le travail avait été fait essentiellement par des hommes, le chanvre était, à cette phase des opérations, façonné par les femmes et les filles de la maison. Le fîlage était pour la plupart, une occupation de temps perdu comme le sont actuellement le tricot, le crochet et la tapisserie que l'on fait plus par détente que par nécessité et obligation proprement dit. On filait en menant les bêtes en champs (généralement à l'aide d'une quenouille moins embarrassante que le rouet que l'on réservait pour le soir, en vouèillie), pendant la garde des bestiaux, durant un moment de répit dans la journée. Les filles filaient pratiquement dans la perspective de monter leur trousseau, d'où leur ardeur à cette tâche. Les vieilles femmes filaient également comme les vieux travaillaient l'osier, les côtes de chênes, de noisetier ou encore la paille. Cependant, certaines femmes seules et chargées d'une famille, indigentes ou incapables d'accomplir de trop considérables travaux, filaient à la journée et suçaient des châtaignes fraîches pour se donner la salive nécessaire à mouiller et à tordre le fil. Le filage a joué un rôle primordial pour les femmes et l'économie domestique morvandelle, et ce jusqu'à la première guerre mondiale pour décliner progressivement par la suite. Les filles qui sont nées à la fin du XIXe siècle (1880-1890) n'ont plus appris de leur mère, à de rares exceptions près, à filer le chanvre et l'on peut affirmer sans crainte de méprise que, dans cette partie du Morvan, le filage intensif est mort avec la génération de 1850-60 approximativement. Certaines vieilles femmes ont continué de filer jusqu'à la dernière guerre, mais uniquement pour se procurer le fil indispensable au ravaudage et à la couture. Le rouet morvandiau est en général très simple de facture et sans grande ornementation. Il est monté sur trois pieds.
Quand le fil, mélange de chanvre et de coton bien souvent, était façonné, on le mettait en grosses pelotes rondes, les pouletons, que l'on remettait au tisserand. Si le meunier était l'artisan le plus riche de la communauté villageoise, si le forgeron en était le plus craint et le plus écouté d'une part pour ses relations avec le feu (analogie avec l'enfer à l'origine) et d'autre part pour ses connaissances vétérinaires et parfois culturelles, si le menuisier était envié pour son noble métier, le tisserand a toujours mené une existence sordide et fort précaire ; il est remarquable qu'il y ait eu de telles différences d'un artisan à l'autre au sein d'un même village.
Le tisserand était un homme pauvre et exténué par un travail extrêmement éprouvant tant pour les nerfs que pour la forme physique : il effectuait une tâche d'une monotonie exaspérante et dans une position très inconfortable généralement, le local de son travail était un lieu insalubre et sombre dû à la pauvreté de l'homme et destiné à entretenir l'humidité nécessaire à la confection de bonne toile semble-t-il (2). C'est dire que le métier de tisserand était pénible, abrutissant et peu rémunérateur: on lui fournissait la matière première et il ne pouvait prendre aucun bénéfice dessus comme pour le bois, le fer ou le pourcentage de farine qu'avaient coutume de se réserver les meuniers.
Le métier morvandiau est rudimentaire et archaïque, sans la moindre ornementation. Il est probable que le tisserand faisait faire les pièces délicates (tels les peignes) par des ouvriers de l'extérieur, mais il est certain qu'il fabriquait lui-même le bâti si l'on en juge par le travail grossier dont il est souvent l'objet. Le métier était solidement amarré, les quatre pieds fichés en terre et le tout solidement chevillé pour résister aux secousses incessantes. Certains métiers sont fort anciens (celui du Musée de Saulieu daterait du XVIIIe siècle), mais, en général, ils n'évoluent pas et demeurent très simples et fonctionnels. Le produit qui en sort, la toile de chanvre, est tout aussi grossière et solide.
On fournit par conséquent la matière première à l'ouvrier. Avant de procéder au tissage proprement dit, qui est la phase la plus monotone, mais la plus facile, il doit effectuer tout un travail de préparation très long et extrêmement minutieux, l'ourdissage (la pose des fils de chaîne). D'autre part, il doit mettre en bobines à l'aide d'un dévidoir (le devedot) le fil en pouleton afin de pouvoir en alimenter les navettes. Celles-ci sont particulièrement primitives ; elles sont d'une forme spéciale qui leur a parfois valu le nom de «sabot». Une simple cavité y est creusée qui reçoit le fil et qu'un petit orifice permet de se dérouler pour former la trame. Chacun connaît le procédé d'entrecroisement des fils sur un métier ; cependant, il est à noter que sur ces métiers morvandiaux, la navette volante n'existait pas et que l'on avait à faire à l'ancienne technique : le lancement de la navette se faisait par la seule force des bras et non par un train actionné de deux fils qui la poussait sur des engins plus élaborés. Selon la commande, le tisserand effectuait une toile fine propre à la confection des chemises, une toile plus grossière que l'on utilisait pour les draps ou enfin une toile très solide destinée aux sacs et aux enveloppes de matelas. Pour ce faire, il employait des peignes de tailles différentes : pour les grosses toiles, les dents étaient écartées d'un centimètre environ et constituées de petites bûchettes ; pour les toiles fines, les dents étaient faites de lamelles très rapprochées les unes des autres et taillées dans un bois dur.
La toile ainsi fabriquée sortait très raide du métier et de teinte bise. Cette couleur disparaissait après des lavages répétés et la toile s'assouplissait. Certaines maîtresses de ferme, à la peau délicate, faisaient porter à leur servante un habit nouvellement taillé dans ce tissu avant de le mettre elles-mêmes : fait très significatif et qui a souvent été confirmé. De cette toile, les filles préparaient leur trousseau (qu'elles ajoutaient au linge de leur nouvelle famille d'où un amoncellement prodigieux, dans les armoires morvandelles, de draps et de chemises qu'on ne parvenait pas le plus souvent à user en une vie), les femmes confectionnaient le linge et les vêtements de la famille. Avec la disparition progressive des tisserands après 1914 et définitivement après 1945, les maîtresses de maison continueront encore à tailler et à coudre les habits des leurs.

(1) A citer quelques exemples des plus connus : maçons de la Creuse, ramoneurs savoyards, montreurs d'ours de l'Ariège, cochers du Limousin.
(2) On a vu certains tisserands (faiteux de touèle) travailler en cave. Les pieds des anciens métiers sont très souvent endommagés et pourris par l'humidité dans laquelle ils se trouvaient bien qu'ils fussent taillés dans du merrain.

Philippe BERTE-LANGEREAU- L’Almanach du Morvan 1987 – Lai Pouèlée


La manufacture de drap à Nevers aux XVIIe et XVIIIe siècles

La manufacture de drap à Nevers aux XVIIe et XVIIIe siècles ne fut que la réunion temporaire d'un certain nombre de métiers textiles.
Il est peu de paysans qui n'aient leur chenevière. La culture et la préparation du chanvre exigent peu de soin. Les tiges sont coupées à la maturité et soumises au rouissage, c'est-à-dire à un séjour plus ou moins prolongé dans l'eau, pour faciliter la séparation des fibres textiles. Les habitants amassent leurs chanvres dans les ruisseaux, dans les bras de la Nièvre et surtout de la Loire, qui se réduisent pendant l'été, à des crots ou marécages aux eaux stagnantes. En 1785 les habitants dont les maisons s'échelonnent des ponts de Loire à St-Antoine signalent aux officiers de police que l'air est infecté par l'odeur caractéristique du chanvre. L'eau des puits est contaminée. Cette atmosphère est même gênante pour la ville, quand souffle le vent du midi. Une ordonnance du 30 juin interdit enfin ces méthodes qui durent depuis trop longtemps et prohibe le rouissage du chanvre dans la Loire, le long de la levée de St-Antoine, sous peine de confiscation au profit de l'hôpital général et de 50 l. d'amende.
Quand le chanvre est retiré de l'eau, il est teillé, c'est-à -dire que l'on sépare les fibres textiles des tiges ou chènevottes. Certains habitants brûlent immédiatement leurs chènevottes. Une ordonnance de police du 10 août 1723 interdit de les brûler le soir ou la nuit sous peine de 10 I. d'amende. D'autres particuliers les conservent, afin d'allumer leur feu en hiver. Mais des incendies se déclarent souvent dans ces dépôts de chènevottes. Une ordonnance de police du 7 novembre 1737 interdit d'en faire amas sous peine de 20 I. d'amende. Quand ils ont fini de teiller leur chanvre, les habitants doivent porter tous les débris hors de la ville dans des endroits écartés. Ces ordres ne sont pas toujours exécutés. En 1741 dans les rues qui avoisinent St-Sébastien les enfants s'assemblent le soir vers 8 ou 9 heures, ramassent toutes les chènevottes qu'ils trouvent, et font de véritables feux de joie. Une ordonnance du 31 août interdit d'allumer ainsi des feux en plein air, et fait défense aux parents de laisser sortir les enfants après 8 heures, sous peine de 6 l. d’amende, avec la responsabilité des dégâts que ces feux pourraient occasionner.


Les fileuses

Fileuse Morvandelle
Un type de dévidet

Avant la révolution économique opérée par la substitution des machines à la main intelligente de l'ouvrier, le filage des matières textiles constituait l'une des principales occupations de la femme ; la quenouille, le rouet et le fuseau étaient les attributs de l'activité domestique.

Leur rôle était capital puisque, partant de la matière première, elles devaient donner le fil au tisserand pour l'habillement de toute la maisonnée.

Le chanvre était filé au fuseau (fujà  en Morvan) ou au rouet, suivant que la fileuse travaillait à l'extérieur ou à l'intérieur. Elle est classique cette image de la paysanne "main droite pendante actionnant sans relâche le fuseau comme une toupie, contre sa robe de rude étoffe". Le Dr Mallet a peint avec délicatesse cette fileuse ayant une "toupie" de filasse attachée au bout de sa quenouille, un bâton léger dont le bout inférieur était passé dans le vêtement ; du pouce et de l'index, elle arrachait un brin de chanvre qu'elle mouillait de salive et qu'elle tordait au moyen de l'extrémité pointue du fuseau pour élaborer le fil qu'elle enroulait autour de l'autre extrémité taillée en bobine.

Le rouet

Dans le système plus compliqué du rouet, la pédale agitée par le pied fait tourner la roue et met en mouvement la bobine qui remplace avantageusement le fuseau. Un godet d'étain rempli d'eau est fixé à l'un des montants et sert à humecter le fil. La fileuse tire de sa quenouille une pincée de filasse, l'effile, l'allonge, le tord et l'assujettit à la bobine qui tourne avec un sourd ronronnement, et à laquelle le mécanisme de la pédale et de la roue ne laissent plus un moment de repos.

Autre charmante image que la fileuse au rouet ou à la reine (petit rouet, par analogie avec le roi et la reine) : de ses doigts agiles elle tordait le fil qui s'enroulait sur la bobine du rouet, la bôbeille morvandelle. "Les brins de chanvre étaient humectés par de la salive ou par l'eau d'un godet de grès" ; lorsque la bobine était pleine de fil, celui-ci était transporté sur une roue ou un dévidet (dévidot ou devedou en Morvan), moulinet de bois, horizontal ou vertical avec manivelle, pour obtenir l'écheveau. L'écheveau, blanchi en cuvier puis séché, était ensuite remis sur le dévidet - parfois un dévidet spécial pivotant sur son pied - pour aboutir à la pelote.

Comme pour le ménage et la lessive, il existait un certain nombre d'interdictions, des périodes durant lesquelles il ne fallait ni coudre, ni filer. C'est ainsi qu'on respectait l'intervalle des deux Noëls, la Chandeleur, le Mardi-Gras, les Jeudi, Vendredi et Samedi Saints, le jour de la Saint-Jean. Passer outre aurait fait boiter le bétail, rendu lourdes les ouailles et porté malheur aux enfants.


Musée de l'artisanat, de la vie rurale et paysanne d'avant 1950

Musée de l'artisanat, de la vie rurale et paysanne d'avant 1950

A propos

Notre motivation est de faire découvrir aux jeunes et redécouvrir aux aînés la vie rurale d'avant 1950, grâce à des visites guidées et commentées par des guides bénévoles passionnés.
... Le musée Papotte s'est enrichi recemment d'un métier à tisser de 1850 : une présentation de son fonctionnement et du chanvre agricole complète la visite guidée.
Nous vous souhaitons à toutes et tous de passer un agréable moment et vous remercions de votre visite (1h30 environ).



La laine

1778 - La qualité des laines de Bourgogne, se rapporte à la division ordinaire du fin du mi-fin & du gros. Les plus fines viennent de l'Auxois & des pays de montagnes elles équivalent aux laines du Dauphiné, & servent à alimenter les ateliers des fabriques de Rheims, de Sedan, de Troyes & de Seignelay les plus grossières viennent de la Bresse & de l'Auxerrois, qui donnent beaucoup de laines noires, parce qu'on a l'habitude ou la négligence d'y avoir des troupeaux mi-partis ou mélangés usage qui ne peut guère se tolérer que dans l'Auxerrois, où les capucins de plusieurs provinces du Royaume, envoient acheter les laines brunes & noires, pour faire tes étoffes dont ils s'habillent. On y a encore la mauvaise pratique des deux tontes, introduite par une cupidité mal entendue, parce que ces laines n'ayant ni longueur ni qualité, on n'en fait aucun cas on suit encore en Bourgogne le vieux abus de tenir les brebis dans des écuries chaudes & malpropres & nulle part on ne les fait parquer....
...La quantité des laines de l'Auxois a fait établir à Semur deux fabriques d'étoffes; l'une de drap d'une aune de large, dit façon de Semur, & l'autre, de gros drogue» qui ne font propres qu'aux vêtements du peuple & des paysans il s'y fait sept à huit cents pièces de drap & environ cent vingt de droguet. La fabrique de ces étoffes occupe environ vingt-cinq facturiers & deux moulins à foulon, qui ont à portée une terre à dégraisser qui n'est pas mauvaise. Il y a une autre fabrique à Saulieu pour de gros draps encouragée par la province. Quoique ces fabriques soient assez considérables, elles pourraient l'être davantage, eu égard à la quantité & à la qualité des laines du pays.

* * * * *

Moutons noirs

La laine est aussi un textile très employé. On utilise surtout les « moyennes laines » du Berry, de l’Auxois et du Bourbonnais, qui arrivent toutes préparées, car l'élevage du mouton n'est pas très répandu dans le Nivernais en raison de l'humidité du climat. La laine des quelques moutons du pays (Moutons élevés en grand nombre en Morvan. Une race de petits moutons noirs était préférée à cause de la couleur naturelle de la laine, qui n'avait pas besoin d'être teinte. Les moutons noirs ont presque entièrement disparu.) subit les diverses préparations usuelles : lavage, séchage, étendage, qui la débarrassent du suint et des corps étrangers qu'elle renferme ; triage, qui sépare la bonne laine de la bourre. Alors un premier groupe d'artisans spécialisés travaillent cette laine, ce sont les cardeurs. Armés de cardes en bois recouvertes de cuir avec des crochets en fer, ils l'assouplissent et l'étirent ; ils la transforment en mèches régulières. Les ouvriers cardeurs ne sont en somme que des manœuvres au service de ceux qui ont des laines à apprêter. Le filage met la laine en fil et le dévidage en écheveaux.

Les « cardeux », comme on les appelait, avaient leur mot jovial, montrant leurs habits grasseux, ils disaient :

« Si nous ne mourrons pas riches, nous mourrons gras ».


Le ferteux

Opération de broyage

Le ferteux ou le peigneur de chanvre (Barbanchon : Brabançon, ouvrier nomade qui travaille le chanvre - Glossaire du Morvan)

Le peigneur de chanvre (Cerèyeux, pignalou, barbanchon)

    Le chanvre était teillé (opération qui consiste à séparer le filament de la tige ou teille). Il ne manquait plus que le peigneur.

    Celui-ci arrivait vers le 1er décembre, des montagnes de l'Aveyron ou du Cantal, tout habillé de grosse toile de laine grise ou bleue, chaussé d'énormes sabots et coiffé d'un bonnet de coton. Son outillage n'était pas compliqué : un rectangle de fer et trois gros peignes à pointes d'acier.

    Il opérait habituellement dans les granges. Le rectangle fiché dans la porte et le peigneur tenant le chanvre par les deux extrémités, il le passait vivement en appuyant fort pour l'assouplir et enlever les dernières brindilles (sevenettes) qui y étaient restées adhérentes. C'était la première opération. La seconde consistait à le passer au peigne n° 1. Les filaments s'assouplissaient, se fendaient et devenaient plus lisses. Ce qui restait dans le peigne était retravaillé et donnait ce qu'on appelait la bourre (regresse), apte à faire du gros fil pour la toile à sac. Repassé au peigne n° 2, le chanvre restait doux, souple et aminci. Ce que le peigne avait retenu après une autre façon donnait l'étoupe, avec un fil moins rugueux que le regresse. Le peigne n° 3 mettait le chanvre apte à filer (c'était le plain) et faisait une toile rustique qui était employée dans le ménage pour faire des draps, des torchons, voire des chemises d'un bon usage.

    Le peigneur travaillait tout le jour et une partie de la nuit à la clarté d'une petite lampe à huile de navette qu'on appelait créau. Il dormait à côté de ses outils, couché dans la paille, sans être incommodé par le froid.
    Comme les peigneurs étaient assez nombreux dans la contrée, ils s'assemblaient le dimanche, au village, mangeant et buvant bien, chantant des chansons de leur pays et dansant d'interminables bourrées.

    On ne fait plus de chanvre en Morvan ; alors en ne voit plus ces joyeux barbanchons et leur petite industrie s'est éteinte.
    Joseph Lagrange - « Le Morvan d'autrefois ».

Le plain, une fois filé, - au fuseau ou au rouet - et mis en achéviaux, était lessivé deux ou trois fois pour le faire blanchir, ce que l'on appelait «passé à la buie», dévidé avec les dévidots, mis en peloton et porté au tisserand, au fameux pée tixier ou tissier.

Les frotteurs de chanvre assouplissent les fibres et les débarrassent de toute impureté. Le peignage sépare encore l'étoupe et le bon lit. Les femmes commencent alors le filage avec le fuseau ou le traditionnel rouet. A cette époque c'est une occupation générale, même dans les familles aisées.



Le tissier - Le tisserand

Le tisserand

Au temps où le tissage mécanique n'était point connu, les tisserands étaient nombreux dans les campagnes. Les cultivateurs pauvres, qui ne possédaient qu'un bout de champ, joignaient l'industrie du tissage au travail de la terre, et occupaient ainsi fructueusement les journées et même les soirées d'hiver. Dans le coin le plus humide et le plus obscur de leur étroite maison, le métier de tisserand élevait sa massive élémentaire structure.

Dans presque tous les villages, le tisserand tenait une grande place, car tout un cortège de petites industries se rattachait à ce modeste et pourtant si utile métier. Le beau et solide linge qui remplissait les grandes armoires, le trousseau des mariées était un produit du pays et de ce petit artisan qui va devenir une légende.
Le tisserand, lui, se cache devant une pauvre lucarne, et c'est à peine si vous entendez la navette courir sur le fil. « Pour vivre heureux, vivons cachés », dit le grillon au papillon, dans Florian. Et vraiment, le tisserand est une sorte de grillon dans sa retraite, non par goût, mais parce qu'il y trouve une humidité favorable au tissage.
Le tisserand, avait lui-même une physionomie étrange, en harmonie avec ce maussade logis. Pâle comme tous les êtres qui vivent dans l'obscurité, les membres maigres et déjetés par l'habitude du métier lourd et incommode, il laissait volontiers croître ses cheveux et sa barbe, et, sous cette chevelure et ces poils embroussaillés, les yeux brillaient d'un feu triste et fiévreux. Les tisserands avaient l'aspect farouche, mais au fond ils étaient très honnêtes et très bons enfants.

C'est une dure existence que celle du tisserand. L'aspect seul du lourd et informe métier auquel il est lié nuit et jour, en dit long sur cette vie peineuse. Ce métier aux grossiers et frustes montants de vieux chêne, que l'âge et la fraîcheur ont noircis, a une physionomie tragique. Les leviers massifs que le pied manoeuvre, les lourds battants que la main rabat, les lisses de laiton où les fils s'entrecroisent, le vol strident de la navette, tout cela vous donne la sensation de quelque antique labeur d'esclave.

Le tisserand

Dans la pièce petite et noire
Où repose le vieux métier
Le tisserand aux tons d'ivoire
Vient de se remettre en chantier
Sérieux, et même un peu triste,
Paul est un ouvrier vaillant
Qui, pour Jacques, Léon, Baptiste,
Va tisser le beau chanvre blanc.
D'un bout à l'autre de l'année,
Du J·our de l'an y"usqu'à Noël
La navette, lasse et fanée,
Redit son labeur éternel.
Et l'on entend, sourds dans l'espace,
Les coups du balancier frappant
Sur l'antique et noire carcasse
Dont la peine ainsi se répand.
Elle gémit à fendre l'âme
Mais l'artisan n'écoute pas :
Il ourdit sa trop longue trame
... Rien ne peut arrêter son bras.
Debout devant la dure table
Gesticulant et condamné,
On dirait, dans l'antre du diable
Lucifer menant les damnés.

Louis COIFFIER
Le tisserand

Le tisserand reportait son ouvrage au client et devait rendre tant d'aunes pour tant de livres de fil. A pied, à des distances souvent considérables, il s'en allait le rouleau de toile sur une épaule et le soutenant avec son aune carrée passée sur l'autre épaule. L'aune faisait partie du matériel ; à l'arrivée on mesurait la toile, et souvent des discussions s'élevaient. En revenant, la chronique dit que l'aune servait de canne et que n'étant pas ferrée, elle diminuait un peu tous les ans ; c'est pour cette raison qu'une ordonnance exigea qu'elles fussent ferrées aux deux bouts.

Canne de drapier
Aune, entiêrement marquetée de damier et rinceaux, graduée

Aune : Mesure ancienne équivalant à 1,188 mètre instaurée par l'édit royal de François Ier.
Bâton de même longueur dont on se servait pour mesurer.

De la qualité de la fibre et du fil dépend celle de l'étoffe, qu'elle soit de laine, de lin, de chanvre - et même de coton et de soie. La toison est de qualité inégale selon la partie du corps du mouton, la meilleure, dite traditionnellement mère-laine est celle du dessus du dos, du cou et de l'épaule. La longueur et la qualité des filaments décident de la nature du traitement : cardage ou peignage. Les fibres courtes, grossières et irrégulières, sont cardées c'est à dire rendues parallèles avant le filage. Elles donnent la laine cardée, rustique mais plus douce, qu'on peut gratter ou feutrer. Les belles étoffes sont tissées à partir des fibres les plus longues, peignées pour éliminer les fibres courtes : leur finesse, leur tombé et leur résistance sont meilleurs, leur toucher souple et sec.
Les fibres textiles sont généralement trop fines pour pouvoir être utilisées telles quelles. On les réunit en fils de grosseur et de longueur convenable, cela est encore plus nécessaire pour les fibres courtes comme la laine, le lin, le chanvre et le coton. Le procédé de filature varie selon les fibres, qui sont souvent tordues ensemble : la torsion augmente la solidité du fil. Le fil est ensuite tissé, c'est-à -dire entrecroisé pour former le tissu. Certains fils sont tendus qui forment la chaîne. Entre les fils ou les groupes de fils de chaîne passe le fil de trame, en faisant des allers et retours, les groupes de fils de chaîne étant chaque fois intervertis. À chaque retour sur lui-même, le fil de trame forme la lisière au bord du tissu. Sur le métier à tisser, les lices, actionnées par les pédales, écartent les fils de chaîne tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, pour permettre le passage de la navette qui déroule le fil de trame. La façon dont les fils de chaîne sont groupés produit des "armures" différentes, elles-mêmes à la base de tissus différents selon le motif et/ou la couleur utilisés.

Tisserand au travail - Lhermitte

La toile est le tissu du vêtement populaire, en raison de l'ancienneté et la simplicité de son armure ; elle est le plus souvent en lin ou en chanvre. Le fil de laine, travaillé en armure toile donne un drap de laine grossier, rêche et irrégulier, utilisé par les pauvres et en couverture pour les chevaux. Il sera ensuite plusieurs fois lavé, feutré, gratté - dans un tambour rotatif garni de chardons métalliques, à l'origine naturels, pour l'adoucir - assoupli, nettoyé de ses noeuds, rasé, foulé - brassé mouillé et savonné à la chaleur pour le faire légèrement rétrécir - teint, pour enfin arriver au beau drap qui est depuis le Moyen à‚ge la matière de base de l'habillement.

Les tisserands ou tissiers de Nevers emploient le chanvre et fabriquent de la toile, d'où leur nom de tissiers en toile. Ils se servent du métier à tisser; les fils tendus sur toute la longueur du métier forment la chaîne, les fils passés en travers avec la navette forment la trame. La chaîne se divise en un certain nombre de faisceaux de fil, appelés portées, qui se divisent elles-mêmes en demi-portées ou cuissettes. Quand le tisserand fabrique de la toile, la chaine et la trame sont en fil de chanvre, mais souvent aussi il mélange le chanvre et la laine. Il met une trame de laine avec une chaîne de fil « plein moyen », ce qui donne une étoffe très grossière, mais très résistante à raies ou unie, très employée dans les campagnes et même en ville, analogue au droguet ou à la tiretaine, et que l'on appelle poulangis dans le Nivernais et le Morvan. Le rôle des tisserands est donc important. Leur toile sert à la confection du linge et leur poulangis à celle des vêlements.
D'autres tisserands fabriquent du drap véritable avec chaîne et trame de laine sont les drapiers drapants. D'ailleurs ce drap de Nevers n'a rien de comparable avec le drap fin d'aujourd'hui.Les drapiers ont un métier à peu près analogue à celui des tisserands, mais leur travail est plus compliqué. Le nombre des fils par portée varie suivant l’étoffe à confectionner.

Le tissier de laine d'Avallon
Le tissier de laine ou drapier avait une autre matière à traiter et un autre rôle, celui de pourvoir à l'habillement des hommes et des femmes du peuple, et cela indique quelle importance avait cette industrie dans la ville d'Avallon. L'étoffe commune était un composé de laine, de fil de chanvre et de coton ; elle s'appelait « bouëge ou droguet » et, dans l'Auxerrois, « serge et poulangis ». Quelle épaisseur et quelle solidité avait ce drap ! Il fallait plusieurs générations pour en voir la fin. C'était bien une industrie locale, car la matière première venait de tout l'Avallonnais et semblait. inépuisable. Rien que sur la commune de Guillon paissaient 1 800 moutons qui fournissaient une laine courte, mais robuste.

* * * * *

Un document rare

Au hasard des connaissances, Lai Pouèlée a rencontré un collectionneur possédant cette carte fort rare et très intéressante à plusieurs points de vue.
Le premier n'est pas le moindre : on sait que les tisserands travaillaient soit en cave, soit dans une souillarde humide, ceci pour la qualité de la toile devant être travaillée dans cette atmosphère.
Il a fallu, pour prendre cette photo, démonter entièrement ce métier, le remonter dehors, le redémonter et enfin le remonter à l'intérieur ! Quatre opérations fastidieuses quand ont sait qu'un métier ancien est un échafaudage complexe et entièrement chevillé. Un exploit donc pour ce tisserand..
Le deuxième est que figurent sur cette vue tous les éléments nécessaires au travail du chanvre depuis le rouet, en passant par le dev'dot (dévidoir), le bobinier, etc....
Le tisserand est ici en plein travail, tenant dans sa main droite une navette (sabot le plus souvent)..
Le troisième enfin est l'aspect misérable de la maison. Certes, sur les anciennes cartes, les maisons sont souvent sur ce modèle, mais on sait que le tisserand était un des artisans les plus démunis dans le village et les moins considérés socialement (comme le brodeur bas-breton), ceci en opposition au forgeron par exemple qui travaillait avec le feu..
Un document rare pour une meilleure compréhension du tissage dans le Morvan.

En Morvan, tisserand au travail

Le tissier ne confectionnait pas seulement la toile mais aussi divers tissus, mélange de toile et coton ou de toile et laine pour les habillements.
La laine provenant des moutons élevés en grand nombre en Morvan. Une race de petits moutons noirs était préférée à cause de la couleur naturelle de la laine, qui n'avait pas besoin d'être teinte. Les moutons noirs ont presque entièrement disparu.


Tissage et tisserands dans les hameaux environnants et dans Saulieu

    Dans les hameaux environnants et dans Saulieu, il est certain que le tissage a été une prospérité: c'est-à-dire qu'il a employé un assez grand nombre de familles et a apporté des emplois (ce qui manque aujourd'hui, puisqu'à Saulieu c'est pas aisé de trouver un emploi). Alors, il est certain que le tissage était déjà très développé, même au Moyen-Âge, ici et ces tisserands travaillaient avec des métiers très rudimentaires. Ils ont dû tisser divers textiles, mais le plus employé était le chanvre. Le chanvre était cultivé aux abords immédiats de Saulieu et dans les villages environnants. Le chanvre « venait » extrêmement bien : un climat assez rigoureux comme le nôtre, un climat humide (il pleut bien souvent ici), et surtout une hydrographie extrêmement ténue qui permettait aisément le rouissage du chanvre ... Nos petites rivières, nos étangs, facilitaient beaucoup la chose.
    Pour l'étude du chanvre, il y avait de très nombreuses variétés. Il est probable que la variété de chanvre qu'on plantait aux 17e et 18e siècles est totalement perdue. L'espèce qu'on cultivait dans le Morvan était très différente de celle que l'on cultivait en Belgique, dans le Nord et le Pas de Calais. La tige était relativement courte et la qualité moyenne. Il faut penser que ça n'était pas la meilleure qualité.
    Les tisserands, c'étaient des familles. Ça ne donnait pas lieu à une organisation industrielle. Un foyer, le mari, son épouse, aidés des enfants, ça suffisait amplement pour faire fonctionner le métier (un métier où tout marchait à la main).
    Il y avait des cultivateurs qui s'occupaient plus particulièrement des chenevières et apportaient le chanvre aux tisserands. Il fallait déjà le filer avec des rouets et des reinettes ; les fils étaient bobinés sur des bobines. Ces bobines étaient ensuite placées au pied du métier.

    Fileuse Morvandelle
    On a encore, au musée de Saulieu, la structure d'un vieux métier à tisser typique de la région. Il fallait en général, deux personnes pour le faire mouvoir. Il fallait donc soit un homme et un garçon, une fille ou l'épouse. On passait les fils à la main dans des peignes dont l'intervalle était très fin ; chaque fil devait être passé à la main ; il y avait deux pédales et, en général, six cadres : trois se déplaçaient de bas en haut et trois de haut en bas. Les pédales permettaient, par un système de cordages, de poulies et de leviers, d'écarter les fils. Dans l'intervalle ainsi constitué qui séparait les fils de chaîne, le tisserand lançait alternativement la quenouille ou fuseau : une fois de gauche à droite et une autre fois de droite à gauche. II fallait certainement une patience infinie, mais ces gens-là, comme ils travaillaient depuis étant gosses, avaient acquis une dextérité comme nos dactylos ou nos calculatrices avec leurs claviers (elles ne regardent même pas le clavier, elles pensent à tout autre chose et le travail se fait quand même très rapidement). Il en était de même pour ces tisserands à l'époque qui, avec une habileté, une dextérité, une vélocité, sans perdre une fraction de seconde, faisaient fonctionner les pédales, lançaient la quenouille, tiraient les fils pour que le textile soit bien uni, bien régulier et il fallait qu'ille soit. Un textile qui aurait été rempli de défauts, même dans les siècles antérieurs, il était invendable, il perdait la moitié de sa qualité. Alors la régularité, la robustesse et la qualité, c'étaient véritablement ce qu'il fallait de mieux et ce à quoi les tisserands faisaient le plus attention.
    Le métier que possède le musée a appartenu à une vieille famille de Morvandiaux qui était la famille Bailly. La famille Bailly était tisserands de père en fils depuis certainement longtemps. J'ai interrogé le dernier survivant, il m'a dit:« J'ai toujours entendu dire chez nous qu'on avait toujours été tisserand». Lorsqu'il était p'tit gamin, il a vu encore ses parents faire marcher le métier (il se rappelle assez bien comment il marchait), mais lui, il ne l'a jamais fait marcher parce que ça ne gagnait presque plus rien. Pour vous donner une idée, lorsqu'au 19e siècle ses parents faisaient des draps, on leur payait 1 mètre de longueur de drap 10 sous ... 10 sous anciens. Vous voyez ce que ça pouvait gagner. (J'aime mieux vous dire qu'aujourd'hui avec 10 sous c'est même pas un verre d'eau si vous prenez le prix du m3 d'eau potable ... Avec ses 10 sous, il n'aurait même pas pour boire un verre d'eau).
    Heureusement, dans le Morvan, les tisserands n'avaient pas que le métier à tisser pour vivre. Chaque tisserand avait en même temps une petite culture, sinon ils n'auraient jamais pu manger.
    Ils étaient un petit peu cultivateurs, un petit peu éleveurs, beaucoup tisserands. Ils avaient toujours un petit bout d'pré où allaient picorer les poules, une petite mare ... Le jardin qu'on appelait l'ouche était d'une bonne qualité de terre : c'est là qu'on cultive le potager.
    Avec un bon bout d'jardin vous savez une famille peut vivre. Encore de nos jours, ça aide toujours à vivre. Ces tisserands étaient pour la plupart un petit peu cultivateur. Ils avaient le plus souvent un ou plusieurs cochons qu'ils élevaient avec le produit de leur petite culture qui était d'une très petite superficie ... quelquefois quelques ares, ça n'allait pas au-delà.
    La propriété dans le Morvan était à l'époque très morcelée. Moi, je suis allé à l'école de Saulieu avec des enfants dont les familles avaient quelquefois quelques hectares de champs avec quelques vaches et ils vivaient pas si mal que ça. Les gosses étaient à peu près habillés. Ils avaient au moins un tablier sur le dos, un capuchon quand il tombait de la neige et ils mangeaient... Ça n'était pas une nourriture luxueuse, mais variée. Chacun avait beaucoup de pommes de terre, de légumes et puis on vivait bien. Les enfants étaient bien soignés. On buvait de l'eau les 3/4 de l'année et je me souviens le jour de la fête patronale, on me donnait 2 sous ...
    C'est Colbert qui a développé le tissage dans Saulieu en attribuant une subvention de 40 000 livres pour développer l'industrie. Il est probable qu'à cette époque, beaucoup de familles ont dû toucher une petite somme qui leur a permis de réparer ou d'acheter un métier. Ils ont dû rembourser petit à petit la somme qui leur avait été avancée et ainsi ont pu travailler leur vie durant avec ce métier, et Saulieu avait été reconnu comme étant une ville prospère puisque non seulement il y avait le tissage, mais il y avait aussi des teinturiers parce qu'il fallait colorer les textiles. Tout a été démoli et je n'ai pas pu retrouver d'ancien atelier de teinturier. J'ai été dans beaucoup de maisons de Saulieu. Si j'avais pu retrouver des cuves où on faisait les différents colorants avec uniquement des végétaux. Les colorants de l'époque c'était l'aniline ... Il y avait des bleus, des marrons, puis des rouges. Il n'y avait pas une gamme de couleurs bien étendue. Ça s'accordait bien avec le textile, mais moi je n'en ai jamais connu.

    Transcription d'un enregistrement réalisé par « Lai Pouèlée » auprès de Monsieur Albert Chartter (né en 1909) et ancien guide du Musée de Saulieu.
    L’Almanach du Morvan 1987 – Lai Pouèlée


Souvenirs de tisserands

    Claude Jallois de la commune d'Ouroux raconte :

    "Dans la commune, on était cinq ou six à tisser. Je te parle d'avant la guerre de 14 ; c'étaient des gens qui ne faisaient pas que ça, ils avaient un autre travail, ils faisaient ça pendant l'hiver.
    Mon père était maçon, il travaillait le jour, il tissait la nuit. Moi, j'ai tissé avec lui avant la guerre de 14. Dans la famille, y avait mon oncle aussi qui faisait la toile. Même après la guerre, on a continué un peu. Mais mon père lui, ne faisait plus ça. Moi j'suis parti. J'en suis r'venu ... Y'avait sept ans de guerre, sept ans parti. Ça commençait à faire un bon soldat."

    Métier à tisser
    Métier remonté par "Lai Pouèlée"
    et qui appartenait à un tisserand d'Athée (Commune de St André)

    - Votre métier ressemblait à celui-là ?

    Oui ... C'était ça . . . et puis regarde les pieds tout pourris, il était dans la cave ... On calait le châssis aux voûtes. Et comme on était presque assis par terre, les pédales étaient dans un trou, là , dessous le pigne à peu près...
    Chez nous on avait agrandi le soupirail pour faire un peu de lumière, on s'éclairait aussi avec une mèche. On tissait l'hiver quand on pouvait pas faire autre chose. Des fois, y faisait pas chaud ! Mais tu comprends, c'était bon pour le chanvre, l'humidité. Et puis, quand il fallait lancer la navette d'un bout à l'autre, ça réchauffait bien, ça allait vite.
    Oui, c'était tout à fait ça... sauf que nous, on avait un pigne en fer, on l'achetait. Mais autrement on n'achetait rien, les lisses, on les faisait, on avait tout un système pour les faire, sur une planche, avec des clous.

    - Vous tissiez la toile pour toute la commune d'Ouroux ?

    - Oh ! des fois les gens venaient de loin ! Les fonnes nous apportint les p'lotes de cindre et on tissait la toile qu'elles voulint. Ça faisait des bons morceaux ! Après, elles en faisaient des chemises ou des draps. Mais y'avait des toiles plus grosses que d'autres parce qu'y'avait des fonnes qui filint mieux que d'autres. Avant, on pouvait counnaître les fonnes à leur fil. A c't'heure, elles filont pu, on peut pu les counnâte ! ...
    Avant, on avait tous un peu de chanvre, pas rien que pour la toile d'ailleurs, y'avait les seumnottes, les cigarettes et tout . . . Pour le tisser, c'était d'l'ovraize ! il fallait le faire aizer dans l'eau, 8, 10 jours. On le surveillait, fallait pas que ça soit trop pourri non plus, autrement ça faisait des cordes, ça ne se teillait plus. Ça sentait mauvais ! On le lavait dans un lavoir exprès, dans la rue.
    On le faisait sécher, on l'étendait sur l'herbe, et après on faisait des petits tas, on le mettait dans le grenier. Dans l'hiver, on le teillait.
    Il fallait le donner aux barbançons, c'étaient des auvergnats.

    - Ils venaient exprès ?

    - Mais bien sûr ! Tiens le Joseph, lui, il connaissait tous les gens de la commune. Y disait : « Y faisait tellement froid que le feu gelait dans la lanterne ! » Il racontait des histoires comme ça... Mais il travaillait bien. Tout le monde l'aimait bien. C'était bien fait. Il avait un espèce de peigne en fer. Il fallait qu'il fasse vite pour sortir le bois. Il en restait toujours des bouts de seumnottes. Après il fallait nettoyer encore un coup comme on lave la laine.
    A Ouroux, y'avait une teinturerie qui faisait les couleurs.
    Après ils donnaient ça aux fonnes pour qu'elles le filint. Elles mettaient les écheveaux sur les déd'veudots et puis elles portaient aux tisserands. Y s'en débrouillaient.
    Quand c'était fini et qu'on portait la toile c'était le meilleur moment !... On était bien tenu ! J'étais jeune, j'allais jusqu'à Fonteny ...

    - Tout ça à pied ?

    - Ah ! oui, y avait pas de vélo ! On partait toute la zornée, on ne revenait que le soir. C'était notre sport !... Et la toile était lourde, on était fort en ce temps.

    - Et le lin, vous en avez fait ?

    - Oui... pour soigner les bêtes. On n'en a pas filé ici... C'était pour avoir la graine. On mettait ça dans un moulin à café, ça faisait de la farine de lin. Une fois cuit, on faisait des cataplasmes, pour soigner les bêtes, les hommes aussi. Ça valait peut-être mieux que les médicaments.
    Tiens, c'est comme les cordes. Maintenant, ils font ça avec les cordes de moissonneuses, avec les ficelles de lieuses. Mais ça ne vaut pas le chanvre !

    L'Almanach du Morvan - 1978 - Lai Pouèlée - Transcrit d'après un enregistrement vidéo.


    Résumé d'un récit fourni par M. R. à Anost, descendant d'un journalier-tisserand du XIXème siècle.

    Le tisserand du village morvandiau - qui n'exerce pas toujours son métier en activité complémentaire -, est l'un des artisans les plus marquants, puisque tous les habitants lui apportent chanvre et laine et lui reprennent les étoffes. Dur métier que celui de tisserand : après le "bobinage", qui consiste à dévider les écheveaux pour garnir les bobines de leur fil, commence l'"ourdissage", c'est-à-dire l'opération destinée à tendre les fils pour la "chaîne", qui sont placés dans le sens de la longueur de la pièce. Les fils de la "trame" viennent entrecroiser la chaîne dans le sens de la largeur: le tissage commence seulement, avec le jeu de la "navette" ou "sabot" (selon que la comparaison est faite avec un petit navire ou la chaussure du même nom). Taillée dans le bois de hêtre, la "navette" est creusée pour y placer une bobine sur des tourillons, de façon à dérouler le fil au mouvement de cette "navette". Grâce à des cordes passant par des poulies, le tisserand fait écarter les fils de la chaîne, pour y glisser la navette : deux pédales commandent l'abaissement ou le relevage des fils pairs et impairs, alternativement. A deux mains, le tisserand lance la "navette" à droite et à gauche. Le tissu est ensuite serré, morceau par morceau, avec un "peigne". On imagine mal la minutie nécessaire dans ce métier lent et monotone, pas plus que l'attention incessante imposée au tisserand pour que la longue pièce de toile soit tissée régulièrement et sans défaut : les pieds, les mains, les yeux sont occupés à la fois.
    Paysans et notables du Morvan au XIXème siècle jusqu'en 1914 - Marcel Vigreux - 1998

Revenir à la page des métiers disparus.



Les tissus

1744 - Mémoire sur le commerce de la Généralité de Bourgogne

Comme il se fait de grandes nourritures de bêtes à laine en Bourgogne, le Commerce des laines y est très considérable. Une partie s'employe dans les Manufactures de lainerie, qui sont en grand nombre dans la Province ; l'autre, qui n'est pas propre pour les espèces d'étoffes qui s'y fabriquent, s'enlève par les Marchands des Provinces voisines ; & pour remplacer ces laines du Païs, qui en sortent, on est obligé d'en faire venir de Rheims & de Troie, plus convenables à la qualité de certaines fabriques, comme font, par exemple, les serges façon de Londres & de Seignèlay, où l'on mêle les laines de Troie & de Rheims, à celles de l'Auxerrois, qui sont les meilleures de la Bourgogne.
Les principales Manufactures de lainerie, sont celles des draps qu'on fait à Beaune, Vitaux, Semur, Saulieu, Montbart, Rouvray, Avalon, Auxerre, Nuits, Pont-le-Vaux, Autun, Joigny, Sens, Villeneuve-l'Archevêque, Bigny, & Ancy-le-Franc. Les Manufactures des serges de toutes sortes surtout, des serges drapées, & des serges façon de Londres, ne sont pas moins considérables : il s'en fabrique à Dijon, Marcy, Auxerre, dans son Hôpital, aussi-bien que dans celui de Beaune ; à Seignèlay, Arnay-le-Duc, Auxonne, Châtillon sur-Seines & Chassinelles.
Les droguets, les tiretaines, les talanches, se travaillent à Semur, Montbart, Auxerre, Nuitz, Beaune, Louhans, Clugny, Mâcon, & Montluet. On fait aussi en quelques-unes de ces Villes, & particulièrement à Autun, des crêpons appellés Frater, & des treillis de trois quarts & demi de large.
Le négoce des bas, & autre bonneterie, & celui des dentelles façon du Havre & d'Angleterre, se font à Dijon ; les dentelles sont grosses, mais il s'en débite beaucoup en Franche-Comté.
Les chanvres, ou en masses, ou peignés, se vendent partie à l'étranger, & partie se consomment pour les Manufactures de toiles de la Province.
Les autres fabriques de diverses marchandises qui se font encore en Bourgogne, sont celles de chapeaux, qui ne servent qu'aux Paysans de la Province ; des cuirs, desquels il y a plusieurs Tanneries; & des papiers, dont les moulins sont au nombre de huit.

Avallon : Les laines y sont un peu grossières ; cependant on ne s'en sert point d'autres dans les fabriques des draps & des droguets qui y sont établies. Les draps sont d'une aune de large, assez forts & assez bien travaillés ; on y en fait environ 200 piéces. Le produit des droguets ne va guére qu'à 50.
Douze Facturiers & trois moulins à foulon, y soutiennent ces deux fabriques. Le foulage des étoffes n'y est pas bien bon, ce qui vient plus de la faute des eaux qui n'y sont pas propres , que de celle des Foulonniers.

Saulieu : Il s'y fait des draps d'une aune de large, mêlées de laines du pays, qui sont très bonnes, avec celles de Champagne, qui sont assez grossières.
II s'y fait aussi des droguets fil & laine, de demi-aune demi-quart.
Et des toiles de trois quart, & trois quart & demi de large, & de 40 à 45 aunes de long.

1762 -

* * * * *

J'avais porté au tisserand un paquet de fil et de la laine de nos moutons pour nous faire une bonne pièce de droguet. - Mais comment seront les raies ? Il ne fallait pas les commander larges, parce que je n'en voudrais point, et que je ne voudrais pas être habillée comme ma belle-mère, ni lui ressembler. - Sois tranquille, ma fille, le tisserand m'a montré une pièce de droguet sur laquelle il y a une raie rouge, et de chaque côté une raie bleue et blanche moins large que la raie rouge. J'ai trouvé ce droguet très beau. Je lui ai ordonné de nous en faire de tout semblable. - Cher papa, vous avez bien fait d'aller vous-même commander cette pièce de droguet à raies rouges, blanches et bleues. Ce sera bien beau. Je ne voudrais pas être habillée comme ma belle-mère. Quand elle a mis sa calamandre à larges raies jaunes et blanches, elle a vraiment l'air de la poupée du loup.

Mes pauvres enfants, nous dit mon père, vous n'avez plus rien à mettre pour tous les jours; du moins, ce bon droguet vous tiendra chaud pour l'hiver. Nous en aurons tous chacun un vêtement. De suite mon père envoya chercher les couturières, qui lui firent pantalon, veste, gilet, ainsi qu'à mes deux frères, et à moi un cotillon, la camisole et le tablier pareils, et de même à ma belle-mère et à ses enfants, jusqu'au plus petit. Il restait encore un bon rouleau de droguet; il fallait bien que la mère de ma belle-mère, qui venait souvent en l'absence de mon malheureux père chercher avec sa hotte des provisions, eût aussi part au restant de la pièce. Rien ne leur échappa; je n'eus que mes vêtements de droguet, c'est la seule chose qu'elle ne m'ait pas ravie. Ils m'ont bien servie contre les intempéries, lorsque je quittai pour toujours l'asile paternel, et que je commençai mon long voyage d'exil, errante, sans parents, sans amis, sans pain, sans asile, sans personne qui s'intéressât à moi; et je me suis toujours souvenue de mon petit cotillon, de ma camisole et de mon tablier de droguet, seul apanage à mon entrée dans le monde.

* * * * *

1778 - Le filage des cotons s'établit & se perfectionne tous les jours dans les villages & devient dès lors une très-grande ressource pour les personnes incapables de travaux plus considérables & plus fatigants.
On fabrique aussi à Dijon des droguets rayés & unis, de très-belles ratines & même quelques draps, façon de Semur.
A Arnay-le-Duc, des serges drapées & des droguets occupent une vingtaine de manufacturiers la terre & les eaux sont propres au foulage, qui cependant n'y est pas trop bon.
Une douzaine de facturiers d'Avalon fournissent des droguets & des draps façon de Semur mais les lainés n'y sont pas bien bonnes & le foulage très mauvais.
Les manufactures de toilerie que nous paraissons avoir préférées aux autres, parce qu'elles soutiennent la culture du chanvre, & qu'en se subdivisant à l'infini dans les campagnes elles y font une ressource de plus dans les saisons mortes pour les travaux de la terre, ont encore cet avantage que leurs rebuts & les chiffons de linge usé, s'emploient aux papeteries dont il y a un nombre considérable dans la province. On y compte plus de trente papeteries & deux cartonneries.

* * * * *

Il semble bien que les auteurs locaux aient confondu les divers tissus ou, plutôt, les aient désignés suivant le nom qui leur était localement donné,car en général :

Le poulangis - poulangris - était un mélange de laine et fil

Poulangis, s. m. étoffe commune à raies ou unie, espèce de droguet fabriqué mi-partie de fil de chanvre et de fil de laine, par les tisserands de campagne. Disparaît de plus en plus pour faire place au drap - Glossaire du centre de la France - 1858 - M. le comte Hippolyte-François Jaubert (1798-1874)

Le bouège (boige, bouége, boge, boige...) un mélange de laine et coton fort grossier mais très solide. Les couleurs ordinaires étaient le rouge, le jaune et le vert.

Ce bouège était porté au foulon pour lui faire subir un apprêt qui le rendait inusable. Ressemblant aux moulins à tan, la machine à foulon n'était pas compliquée :

Foulon

"Deux lourds madriers, actionnés par un arbre de couche recourbé en forme de vilebrequin au centre, retombaient tour à tour, à coup mort, dans une auge bardée de fer où se plaçait le tissu... Simple était la préparation : On répandait au fond de l'auge un lit de terre argileuse, extraite de Saint-Martin-de-la-Mer près de Saulieu, puis on garnissait la pièce de bouëze, préalablement roulée de la grandeur de l'auge. On la mettait alors sur la première couche d'argile, on amenait là -dessus un filet d'eau gros comme le bras et les deux madriers se mettaient en mouvement. Pendant trois jours et trois nuits le tissu était roulé en tous sens dans cette bouillie d'un nouveau genre ; cependant, afin d'éviter l'usure au même endroit, toutes les 6 ou 7 heures on arrêtait le foulon pour retourner la toile. Quelque fois on ajoutait à l'argile un peu de savon gras pour achever le dégraissage".

Le foulage terminé, la pièce d'étoffe était sortie une dernière fois de l'auge, lavée à grande eau, séchée, puis repliée soigneusement.
Aux environs de Château-Chinon, les madriers étaient remplacés par 6 maillets qu'actionnait une barre transversale à pales mue par un moulin ; les maillets tombaient alternativement à une cadence rapide.
Pour rendre les poils des draps plus lisses et plus unis, les foulons se servaient du chardon à foulon que l'on appelle peigne à bourrique, "dont les tètes florales ovoïdes sont armées de nombreux petits crochets".

Le drapier drapant livre un drap d'apparence grossière, qui doit subir un certain nombre de préparations ou apprêts. Diverses catégories d'ouvriers travaillent ainsi pour le compte des drapiers.
Les foulonniers pratiquent le dégrais et le foulage de l'étoffe. Ils l’étirent ensuite, afin de la ramener à sa largeur. Les moulins à foulon sont installés sur des rivières ou des ruisseaux, car il faut de grandes quantités d'eau pour dégorger les tissus. L'eau donne aussi la force motrice au moyen d'une roue, à aubes qui met en mouvement un grand arbre avec de place en place des morceaux de bois en saillie ou levées, qui dans leur mouvement de rotation soulèvent des maillets ou pilons, verticaux ou inclinés. Les maillets retombent dans des auges, où les draps se trouvent battus en tous sens.
...Après le foulage il faut procéder au lainage et à la tonte des draps. En fait les foulonniers de Nevers sont en même temps laineurs et tondeurs. Les laineurs brossent les draps avec des cardes en fer très fines ou mieux avec des chardons, « d'abord à chardon mort ou qui a déjà servi, puis à chardon vif, ou qu'on emploie pour la première fois ». On arrive ainsi à garnir et à velouter l'étoffe. Le tondeur doit réparer les irrégularités du chardonnier. Il emploie d'énormes ciseaux appelés forces, qu'il promène sur toute la surface du drap. Après diverses opérations secondaires, le tissu peut aller à la teinture.


    Tissu rayé
    Aux fils de l'Arz
    Premier atelier de tissage inscrit
    à l'inventaire des savoir-faire rares
    sur demande de l'UNESCO.

    Les couleurs

    Avant le XVIlle siècle, des couleurs ternes, fades, bruns et gris délavés.
    Depuis le Moyen à‚ge, le vêtement populaire est donc fait principalement de lainages et de draps de chanvre et de lin, parfois assez grossiers, choisis pour leur résistance à l'usure. Seuls les artisans aisés peuvent s'offrir le drap de fine laine et le beau lin. Et si le vêtement sert à classer socialement, il le fait aussi par sa couleur.

    Pendant des siècles, la couleur, issue de colorants végétaux, ne pénètre pas en profondeur dans les fibres des tissus. Les teintes ne résistent pas à l'exposition à l'air et au soleil, aux intempéries, aux lessives. Elles virent vers le gris ou le brun neutres, prennent un aspect délavé, fade, terne - « pisseux », n'hésite pas à dire Michel Pastoureau : « le fin du fin était la couleur dense, saturée, stable, solide, résistant aussi bien à l'eau et à l'air qu'à la lumière. »
    Les paysans teignent les tissus rustiques qu'ils fabriquent eux-mêmes avec toutes sortes de colorants locaux disponibles : le pastel (bleus) remplacé dans les manufactures par l'indigo, le gaude, le genêt, la sarrette, le safran et le fustet en Provence (jaunes), la bogue de châtaigne (beige), les noix de galle, la feuille de noyer et l'extrait de noix (noirs), l'ortie et le bouleau (verts), l'aulne (gris), etc.. Seule la racine de la garance (rouge) donne de bons résultats. Avec les mêmes techniques, les mêmes mordants, y compris les plus basiques (tartre, urine, vinaigre), la garance imprègne les tissus et résiste mieux au temps. C'est la raison pour laquelle la plus belle robe des femmes d'origine modeste, en particulier celle qu'elles portent à leur mariage, est souvent une robe rouge.

    Dans le tissage on employait aussi beaucoup de coton bleu pour les habits d'été ; on l'employait aussi avec la laine noire et le coton blanc. Les habitants des campagnes aiment beaucoup les couleurs éclatantes ; aussi la laine rouge de toutes nuances et le coton rouge entrèrent de bonne heure dans la fabrication des étoffes.

    Tissu rayé Tissu rayé
    Aux fils de l'Arz
    De couleur bleue, le bouëze était parfois teint en gris; selon Simon, il prenait alors le nom de tridaine, bien connue dans la région de Château-Chinon. L'abbé Henry de signaler en 1875 que "naguère encore, pour assimiler le fil à la laine de leurs brebis, ils (les Morvandiaux) le mettaient pendant plusieurs jours dans un bourbier où il se revêtait, sans frais, d'une couleur brune".

Le "Coudré"

La pièce d'étoffe, toile, poulangis ou barraige, était bientôt transformée. Le soin de faire les habillements était confié au coudré, au couturier de village qui, le plus souvent, travaillait à domicile.

On jugera de la science du bonhomme par cette citation empruntée à Pierre Trameçon, originaire des Amognes, et qui nous reporte à plus de 80 ans en arrière (environ 1880)

"Elles étaient hygiéniques les culottes du père Jeannot ; on était à l'aise dedans où l'air circulait librement ; le fond en était large : cinquante sur cinquante centimètres, ce qui lui donnait l'aspect d'un disque de chemin de fer, et ce fond, lorsque les jeunes gens dansaient, prenait un mouvement de va et vient tout drôle qui se continuait, une bonne minute, pendant le repos de l'une à l'autre des figures de la danse ; quant aux jambières, elles ressemblaient à deux troncs de cône renversés que surmontait, sur le devant, une sorte de pont-levis retenu à l'état de fermeture par deux gros boutons d'étoffe qui faisaient la désolation des doigts délicats".



Vitrail des drapiers

Le vitrail des drapiers de la collégiale Notre-Dame de Semur-en-Auxois

Dominant le paysage, la Collégiale Notre-Dame est un fleuron de l’architecture gothique. Débutant par l’abside à partir des années 1220, les travaux s’achèvent par les décors flamboyants du porche dans les années 1470. C'est un joyau de l'art gothique flamboyant en Bourgogne, elle possède de superbes vitraux dont deux qui ont trait aux corporations, celle des bouchers et celle des drapiers.

Le vitrail des drapiers : Cliquez sur l'image pour l'agandir

    se trouve dans la chapelle St Blaise "dite des drapiers" ou des "tissiers" St Blaise étant le patron de cette confrérie. La chapelle date du XVe siècle, elle a eu aussi pour nom Sainte-Brigide.
Le sommet du vitrail représente Saint-Blaise qui est mort suspendu à un poteau, lacéré avec des peignes à carder, puis décapité.

Huit scènes évoquent le travail des cardeurs, tisserands et drapiers :

    depuis la tonte des animaux, le travail de la laine ;ramassage de la laine, formation de l'écheveau, foulage de la laine, cardage, lustrage, jusqu'à la coupe du drap qui était autrefois une spécialité de Semur-en-Auxois.
Les 4 panneaux inférieurs sont du XVe siècle, ce vitrail a été remanié lors de la restauration de la collégiale par Viollet-le-Duc en 1854.



Fabrication des étoffes de fil et de laine dans la communauté de Pervy en 1860

Recettes :

Fil : 170 mètres de toile de fil de 1 mètre de large, à 2f 00 le mètre
Laine :

Total 574f 00

Dépenses :

Fil : 95 Kg de chanvre récolté dans la propriété, à 1f 00
Laine : 80 Kg de laine provenant des moutons du domaine, à 1f 60
Travail de la famille : Journées (comprenant la culture, le tissage, le rouissage, le tillage, le sarauçage du chanvre, ainsi que le filage du chanvre et de la laine ; les tissages opérés par un homme de la communauté) :

Teinture : achat pour 7f 60
Intérêt (5 pour 100) de la valeur du mobilier industriel (56f 00) : 2f 80
Bénéfice résultant de l'industrie : 73f 70
Total : 574f 00

Aller à la page : "La communauté de Pervy"



Confection des vêtements de la famille et du linge de ménage par la communauté de Pervy en 1860

Recettes

Vêtements d'hommes :

Vêtements de femmes (y compris les 2 filles adultes) :
Vêtements de 7 enfants, garçons ou filles :
Linge de ménage : draps, serviettes, torchons et tablier de cuisine pour la communauté et pour les branchées (à partager entre elles)
Total : 663f 00 en nature et 17f 00 en argent

Dépenses :

Etoffes de fil fabriquées dans le ménage : 310f 00 en nature
Etoffes de laine fabriquées dans le ménage : 177f 00 en nature, 7f 00 en argent
Fil de laine pour tricot fabriqués dans le ménage : 50 f00 en nature
Fournitures diverses achetées (fil, aiguilles, doublures, passementerie, boutons) : 10f 00
Travail de la famille : journées

Travail d'un tailleur appelé dans le ménage principalement pour couper ; il reçoit par abonnement et par année 4 doubles-décalitres de seigles à 2f 50
Bénéfice résultant de l'industrie : 24f 00
Total : 663f 00 en nature et 17f 00 en argent

Aller à la page : "La communauté de Pervy"



Sources

A travers notre folklore et nos dialectes (Bourgogne) Tome I - La culture du chanvre par M. E. HUCHON
Folklore du nivernais et du Morvan - Jean Drouillet
Le Morvan Coeur de France - Joseph Bruley
Dictionnaire universel de commerce, contenant tout ce qui concerne le commerce qui se fait dans les quatre parties du monde. Tome 1,Partie 2 / ... Ouvrage posthume du Sr Jacques Savary Des Bruslons (1657-1716)... continué... et donné au public, par Philémon-Louis Savary (1654-1727) - 1744
Manuel historique, géographique et politique des négocians - Jean Paganucci - 1762
Les Paysans sous la royauté - P. Joigneaux - 1850
Histoire de l'enfance de la petite paysanne et de la baraque de son père, racontée par elle-même sur ses vieux jours... - Mlle Françoise Perrot, dite Pauline - 1863
L'almanach du Morvan - Souvenirs de tisserand page 36 - 1978
Statistique de la commune de Fretoy - Jean Simon - 1883
Le glossaire du Morvan - E. De Chambure - 1878
Tome III - Académie des Sciences Arts et Belles Lettres de Dijon - Association Bourguignonne des Sociétés Savantes
Robert Monin - Membre des Enfants du Morvan en 1968 - Vice Président en 1969 - Président de 1975 à 2000
L'almanach du Morvan - 1978 et 1987 - Lai Pouèlée
Illustrations tirées du livre : Jours et travaux d'autrefois - Le chanvre - Louis LAVIGNE
Paysans et notables du Morvan au XIXème siècle jusqu'en 1914 - Marcel Vigreux - 1998
Histoire de la mode enfantine - Jusqu'au XVIIIe siècle, des tissus de laine, de chanvre et de lin -Les Petites Mains