Le MorvandiauPat | Les métiers disparus d'Avallon |
A l'origine, les métiers divers se groupaient autour d'un saint patron et formaient une confrérie se bornant à des secours de religion et de charité, mais certaines confréries y ajoutèrent les intérêts du travail commun et s'élevèrent au rang de corporation. Celle des menuisiers, nombreuse et puissante, comprenait les tabletiers, les sculpteurs, les ébénistes, ce qui donne une idée du travail varié du bois par des artistes, travail qui a disparu avec les corporations, se réfugiant dans les grands centres...
La corporation, qui avait ses statuts approuvés par le roi et le Parlement de Bourgogne, en 1733, comprenait les apprentis, les compagnons et les patrons ou maîtres. L'apprenti, il n'y en avait qu'un ou deux au plus par atelier ; il était admis pour deux ans par un acte de notaire, toutes conditions spécifiées. Le maître se faisait un point d'honneur de former un bon ouvrier qui devait, selon l'acte, « honneur, respect, obéissance à son maître ».
L'apprenti avait alors le grade de compagnon, il était rétribué et pouvait travailler partout. On voyait alors des compagnons sur le tour de France. Jusque vers 1870, des « compagnons du devoir » passaient à Avallon avec leurs longues cannes à pommeau enrubané. Ils se rendaient dans la ville, chez « la mère des compagnons », qui les hébergeait et leur faisait la morale au besoin. Le compagnon moderne, ombre de celui du passé, vient de s'éteindre dans la personne du menuisier Ambroise Gilot, qui voulut que sa canne rituelle fut placée sur son cercueil.
Le compagnon pouvait devenir maître, mais l'aspirant devait prouver ses capacités par la façon d 'un ouvrage qui s'appelait « le chef-d'oeuvre ». La réception d'un maître avait lieu solennellement à l'hôtel de ville, devant les magistrats et les maîtres, et l'élu prêtait serment « de fidèlement travailler et en conscience ». Aussi le patron était alors quelqu'un dans la société.
Toute corporation aspirait à posséder une « jurande », c'est-à-dire un conseil de jurés ou syndics, élus par les maîtres et qui avaient des droits étendus. Ils présidaient les assemblées, géraient les fonds, recevaient les maîtres, veillaient aux statuts, contrôlaient les travaux. Ils avaient pour ce contrôle « le marteau de jurande » dont ils marquaient l'ouvrage « de recette ». La corporation avait ses armoiries tout comme la ville : c'était une « équerre d'or sur champ d'argent ». La fête patronale, jour de grande réjouissance, était sainte Anne, suivie le lendemain d'un service pour les défunts.
Le nouveau régime qui abolissait tout groupement ouvrier tient tout entier dans ce mot : liberté du travail, laquelle devait favoriser le progrès des oeuvres de l'homme. Dans l'illusion des premiers jours, on aurait pu dire que ce changement se faisait sous une poussée de progrès, comme si tout changement était un progrès. C'est bien aujourd'hui qu'il faut le dire de ce nouvel état de choses qui a rétabli l'homme dans les aspirations de sa nature sociable. Nos ancêtres étaient donc dans le vrai en se donnant la main pour le travail ; le présent rend justice au passé.
La corporation a vécu; mais son esprit n'a pas péri. Sous une autre forme et sous d'autres noms, des groupements se sont rétablis, on ne peut plus vivre sans association. Ce sont des unions, des fédérations, des sociétés, des coopératives, des syndicats surtout, vieux vocable revenu tout rajeuni. On se demande comment cet esprit de corps a pu dormir un siècle et comment cet état contre nature, ce sommeil de mort a pu être appelé un progrès. Sans doute, ces groupements n'ont en vue que les intérêts professionnels, mais ils établissent un contact bienfaisant entre les intéressés et les font vivre d'une vie nouvelle.
Il n'est pas question des armures de guerre comme celles qui se voient au château de Chastellux, de celles que portaient les chevaliers bardés de fer, dont la plus légère, celle de Jeanne d'Arc, pesait 60 livres. Aurait-on fabriqué de ces armures au temps des ducs de Bourgogne qui avaient des forges partout, à Cussy, à Girolles ? Les archives sont muettes sur ce point ; mais les armes offensives, l'arquebuse, puis le mousquet, puis le fusil, ont dù se faire à Avallon. De fait, le fusil ordinaire était une industrie locale ; il y a soixante ans, on connaissait deux bons armuriers : Laboureau et Gagnepain, qui fabriquaient le fusil, à part le canon qu'ils achetaient. L'armurier moderne, tout en gardant le nom de l'ancienne profession, répare les armes des chasseurs, tout en faisant le commerce de fusils et pistolets. Les armes blanches, telles que le poignard et le fleuret, sont de sa vente, mais l'escrime est un jeu disparu.
Le géomètre-arpenteur, selon le titre qu'il se donnait et qui était jadis un titre officiel reconnu en justice, n'existe plus depuis 1850 environ. C'était plutôt une profession qu'un métier, et ses oeuvres sont là dans le cadastre des communes qui témoignent de leur habileté et de leur conscience. Il avait jadis un vaste champ d'opérations ; il fallait faire le bornage des seigneuries toujours en procès, puis, plus tard, ceux des domaines bourgeois. Il se trouvait encore, en 1813, quatre arpenteurs, et le plan de la ville, avec la mention des habitants, est de cette époque. C'était le temps où les communes nouvellement constituées se faisaient un bornage qui forme un Atlas dit Cadastre. L'oeuvre dura longtemps ; celui d'Avallon, en quatre albums, date de 1830. Ces fameux géomètres-arpenteurs de profession nous ont laissé un plan magistral du domaine de Ragny qui embrasse 373 hectars sur cinq communes et qui a été déposé au musée par la Société d'Etudes, son possesseur. Ce plan, de plus de deux mètres de côté, est l'oeuvre de Benoît de Gigny, qui l'a fait en 1830 ; c'était alors le beau temps des géomètres que remplacent à l'occasion les instituteurs.
Il reste de ces temps qui nous touchent, la vieille mesure de l'arpent d'où le géomètre avait pris son nom, entrain de disparaître. Mais un mot survivra toujours, car on dira : arpenter la rue ou le chemin, pour signifier une marche forcée, telle que l'arpenteur, à grandes enjambées, le faisait sur le terrain.
Ce nom nous transporte à l'époque déjà lointaine où la coiffure du bonnet était générale, du moins dans la campagne. Des anciens du Morvan montreraient encore le bonnet de couleur à raies voyantes, avec sa houppe retombant sur le côté. Le bonnet est maintenant réservé à la nuit, et l'on connaît la chanson du soldat d'Afrique qu'interprète le clairon : « As-tu vu la casquette du père Bugeaud ». Ce qui rappelait une alerte de nuit où le général, surpris, arrivait à la tète de sa troupe coiffé de son bonnet. Le bonnetier prit son nom de l'article principal de son commerce et le plus difficile à obtenir, car s'il fabriquait aussi des bas, tout le monde en savait faire. Avallon comptait encore deux bonnetiers en 1813, et le dernier disparut de la Grande-Rue vers 1830. La grande industrie des manufactures de l'Aube avait ruiné la fabrique d'Avallon.
La brodeuse peut se placer à côté de l'ouvrière en tapisserie, si toutefois c'était pour elle un métier qui a disparu ? On peut le croire ; mais l'ancienne brodeuse n'existe plus, par la raison que la bourgeoisie, sa clientèle, n'existe plus et que la machine à broder a fait tort à la main. Grâce à la machine, la dentelle est répandue à la campagne autant qu'à la ville. Mais la vraie broderie, qui est l'art de mettre en relief, sur une étoffe claire, des dessins de fruits, fleurs et guirlandes, se conserve dans les maisons bourgeoises, et les élèves des pensionnats sortent avec le goût de la broderie entretenu par le journal de modes.
Jusqu'à la Révolution, c'était comme une débauche de broderies et de dentelles qui étaient aussi bien portées par les hommes. Une survivance de ces décors se voit dans les églises, où tous les arts se sont abrités. Les familles aisées du Morvan aimaient ce luxe ; on trouve encore chez elles de fort jolis spécimens des anciennes parures, surtout des fonds de bonnet. Il y avait des coiffes à plis plats, à bordure tuyautée, à ailes qu'on relevait aux fêtes, et, chose curieuse, le bonnet pointu de Lucy-le-Bois était différent de celui de Pontaubert. La broderie se voyait partout, aux guimpes, aux manchettes ; il y avait la nappe brodée du pain bénit, et le trousseau de la mariée l'emportait sur les autres par l'abondance et la richesse des broderies. Tout l'art s'est réfugié chez la marchande de modes et de mercerie, tributaires de Paris.
Le chaisier, qui porte ce nom depuis peu, est comme un diminutif du tourneur. Tout le monde connait la chaise qui se disait en bon français la chaire et qui avait laissé son nom à la chaise de poste. La fabrique de chaises, ce mobilier si commun de nos jours et qui occupait beaucoup d'ouvriers, était rare autrefois ; seul le maître, la maîtresse de la maison et celui qu'on voulait honorer avaient leur chaise qui était un fauteuil fait par l'ébéniste. On s'asseyait sur des bancs, des escabeaux, des pliants, des bahuts, même sur des coussins à terre. Chez les Romains, le siège se disait sella, et le mot selle se dit encore au Morvan, plateau fixé sur des piquets à l'usage des enfants.
C'est donc un métier disparu, encore que le paysan sache établir sur quatre rondins un cadre, qu'il rempaille de glui et complète par un dossier. Les derniers ébénistes savaient fabriquer la chaise commune et il existe encore de bonnes rempailleuses. Une enseigne marque un changement dans les chaises : on est canneleur et non rempailleur. On trouvera un chaisier à Fays sur Sauvigny-le-Bois, qui sera sans doute le dernier, M. Lequeux, car l'article de Paris a comme pour le reste envahi le marché.
Le chapelier, qui se dit aujourd'hui du marchand, se disait du fabricant de la solide coiffure de nos pères, coiffure imperméable, inusable, toujours réparable comme la chaussure.
C'était, à Avallon, une industrie prospère, où trois ateliers rivalisaient avec ceux de Vézelay. On a fabriqué, jusqu'en 1870, le chapeau de feutre qu'on retrouverait dans les maisons du Morvan, accroché à la porte munie de clous et d'un verrou. Tout ce travail s'est concentré à Paris qui a le secret des modes et produit à bon marché. De sorte que toutes les peaux de lapin qui ne sortaient pas de chez nous, s'en vont à la capitale, suivies malheureusement des habitants de nos campagnes.
Un atelier de chapelier en feutre était situé ruelle du Tripot, où l'on a vu travailler le dernier fabricant. Un autre était Tour-du-Magasin, un troisième était rue de Paris.
Le plus ancien artisan des constructions est le charpentier qui, dès l'antiquité, a donné la main au maçon. Faire une bonne charpente, bien équilibrée, bien chevillée et la placer sur les murs, est le fait d'ouvriers forts et adroits, travaillant sur le plan dressé par terre sur les dessins du maître. Mais le charpentier a précédé le maçon chez nos ancêtres les Gaulois et Burgondes, sortis des forêts de Germanie, où la maçonnerie était inconnue. Avant Charlemagne (800), presque tout se faisait en bois : ponts, maisons, palais, donjons, chapelles étaient l'oeuvre d'habiles charpentiers. Au XVe siècle, leur art atteint la perfection dans les églises et châteaux. On n'a rien fait de mieux dans la charpente, ce sont des merveilles. On peut en voir des spécimens dans l'Avallonnais, entre autres dans les clochers. Rien qu'à Avallon, il y a des escaliers du XVe siècle dont les marches s'appuient en tournant contre un long noyau tout d'une pièce, à moulure très profonde. Voir à la maison curieuse, mi-partie en bois, de la rue Bocquillot, la seule relique de ce genre du moyen-âge.
Le charpentier viendrait-il à disparaître comme le scieur de long ? On comptait en 1889, dans l'Avallonnais, quarante-trois charpentiers, et ils étaient plus nombreux vers 1800 ; il n'en reste aujourd'hui que vingt-neuf, et encore pour vivre, ils se sont faits menuisiers, couvreurs et cultivateurs. A Avallon, il y a soixante ans, six maîtres occupaient une vingtaine d'ouvriers. Tous formaient une confrérie qui avait ses compagnons revenus du tour de France. La confrérie avait son patron, saint Joseph, et sa fête où se chantait « la chanson des charpentiers ».C'était le temps où les frères Brenot travaillaient avec vingt ouvriers dans deux grands chantiers, rue Mala- dière et rue de l'Arquebuse, où le bel emplacement est devenu une manière de cité. C'est qu'alors une forte activité était entretenue par des installations anciennes et nouvelles : moulins, foulons, pressoirs, battoirs à tan, mairies, écoles, maisons du chemin de fer.
C'était aussi le temps où M. Moreau, le professeur du collège qui a fondé le musée, donnait les soirs d'hiver des leçons de géométrie pratique aux ouvriers, et ces leçons faisaient des artisans adroits et même ingénieux. On se rappelle Jean-Baptiste Moricard, un ouvrier des Brenot qui vivait toujours des souvenirs de la corporation des métiers. Ce dernier descendant des « mai très charpentiers » aimait à montrer son musée qui rappelait « les chefs-d'œuvre » que la corporation exigeait du compagnon pour passer maître. J'ai vu là des miniatures qui aurait fait douter que la même main qui édifiait les lourdes charpentes pùt façonner de si délicats ouvrages.
Le bel art du charpentier a disparu, et la grosse charpente elle-même s'est raréfiée. Il restait deux charpentiers, Fidide et Moricard ; ce dernier seul en exercice, avenue de la Gare, avait trois ouvriers, mais point d'apprenti ; c'est trop fort métier, disent les gens, et pour un travail peu assuré. Le dernier chantier est passé à un étranger qui tire ses bois de deux usines occupant une trentaine d'ouvriers, l'une route de Lucy-le-Bois, l'autre aux Cousains. 'Le scieur de long et le charpentier ont succombé à l'arrivée des bois ouvrés de l'Est, qui ne laissent à l'ouvrier que l'assemblage, et la concurrence a achevé ce que la disparition des anciennes installations, toutes de bois, avait entamé.
Il restera donc dans le Bulletin le souvenir de ce corps de métier qui associait des ouvriers intelligents, adroits et hardis, qui faisaient bonne figure dans le groupe des artisans d'Avallon. Il faudra bientôt mettre au musée d'antiquités la bisaiguë déjà inconnue du public, longue tige de fer taillante par les deux bouts, faisant service de ciseau ; on y ajouterait la èanne du compagnon, et le livre de botanique parlerait de l'herbe au charpentier.
Ce n'était pas un petit métier que celui qui donnait son nom à une rue de Dijon et tout près de nous, à Anstrudes, où il y a la rue des Chaudronniers. Le façonnage du cuivre rouge ou jaune (laiton) était tout entier dans le travail du marteau faisant retentir au loin des coups sans relâche. Et le chaudronnier n'était que cela, c'était une industrie locale dont on a connu l'artisan, rue de Lyon, Saglier. C'est lui qui meublait d'ustensiles toutes les cuisines, même celles du pauvre. Quelles belles batteries se voyaient dans les châteaux, les maisons bourgeoises, les hôtels ; on peut encore trouver la série à l'hôpital. L'usage du cuivre battu, étamé ou non, se continue et n'a rien perdu de ses avantages, malgré ses rivaux : le fer battu, la fonte et l'aluminium.
C'est toute une exposition reluisante qui tapissait les murs, et quelle variété : le chaudron proprement dit, la bassine, la casserole, le broc, le baril, la marmite, la bouillotte, le poêlon, la poissonnière, la cafetière, le bassin, le gobelet, la tourtière, la passoire, la bassinoire et la grosse pièce qu'était l'alambic. Tout ce matériel de cuisine sortait de la feuille de cuivre, à la force du marteau, que l'adroit ouvrier savait manier et dont il assemblait les morceaux.
Le tôlier et le ferblantier ont remplacé le chaudronnier qui a disparu vers 1880, mais presque tout le mobilier de métal des cuisines vient de Paris. Parmi les ouvriers du métal, deux nouveaux métiers ont pris la place des disparus : le zingueur, qui fait des couvertures de zinc, même sur les clochers, et le plombier, qui trouve un emploi dans la canalisation des eaux et du gaz. Il reste pourtant des chaudronniers, mais ceux qui passent, qui sont des Hongrois ou des Bohémiens, ne savent que réparer les ustensiles.
Le cloutier, qui avait un travail autrement bruyant que le fileur d'étoupes, animait de sa batterie incessante la rue Maison-Dieu. On a pu voir, jusqu'en 1890, dans l'atelier pittoresque de Molleur, des chiens tournant de leurs pattes, comme dans une cage, la roue de la soufflerie, et chacun d'eux avait son heure. Il y avait plusieurs ouvriers, et l'on servait la maréchallerie, la batellerie, la charpente, la grosse menuiserie. Corderie et clouterie étaient des métiers qui dataient de Charlemagne. On dira toujours, « faire la navette », mais on ne dira plus, avec vérité, le mot du visiteur qui frappe le vieux heurtoir et attend en vain qu'on ouvre : « compter les clous de la porte », et certains clous avaient une tête à facettes de 3 centimètres 1/2.
La rue Bocquillot, où les vieilles choses se sont réfugiées, vous montre encore un battant de porte couvert d'une armature de belles têtes de clous et portant un heurtoir singulier. Ce qui est ailleurs un marteau, se compose ici d'une poignée de fer torse qu'on frotte sur une tige de même façon, ce qui produit un fort grincement.
Le cordier, l'homme des devinettes d'enfant : celui qui marche à reculons la moitié de sa vie se voyait encore à Avallon en 1888. Il filait la cordelette, la corde, le cable, la tresse avec le chanvre du pays, puis avec la filasse étrangère. L'atelier était en plein air surtout, et après avoir peigné ses étoupes, il s'en allait rue des Prés, ruelle Beurdeleine, sur les Capucins tordre, en s'allongeant, les brins de filaments qui devenaient une corde par le mouvement d'une roue qu'une femme ou un enfant tournait à l'extrémité. C'était comme une quenouille géante, où la roue remplaçait les doigts. Où faut-il aller pour voir encore filer un cordier qui représentait si bien l'ancien monde et sa vie sédentaire, tranquille, peu affairée, la paix provinciale en un mot ? Existe-t-il seulement deux cordiers dans l'Avallonnais ? Il y en a un qui file encore à Joux-la-Ville, et l'on peut voir les jours de foire sa petite table chargée de cordes diverses, qui s'est plantée juste en face du magasin dont l'étalage du cordier moderne représente le nouveau monde ouvrier.
Tuilier et couvreur se tiennent la main, mais l'employeur est tombé plus vite dans l'oubli que le fabricant. Le maçon cumule aujourd'hui la maçonnerie et la couverture, mais autrefois, le couvreur avait son métier a part. On cite, en 1603, un couvreur, Genrat, qui loue une tuilerie de la ville ; en 1813, la statistique indique dans la ville même trois maisons de couvreurs. Ils étaient assez nombreux et habitaient surtout Cousin-le-Pont ; on cite Communaudat, Content, Allouis, Barrau. Ils sont encore quatorze en 1889 dans tout l'Avallonnais, mais l'Almanach commercial de 1901 n'en indique plus. La couverture et son entretien, ainsi faits par un homme du métier, étaient bien conditionnés. Les couvreurs d'Avallon devaient travailler au loin et parfois se prêter à toutes sortes de couvertures : la tuile, l'ardoise, la lave, l'essieuve des clochers (plaque de bois encore usitée), et peut-être la paille, leur procuraient un travail constant. C'était plaisir de voir le couvreur se promener sur les toits en toute assurance, s'accrocher aux flèches des clochers comme à un arbre. Avallon aurait-il connu dans les temps de misère et dans les rues de culture la couverture en paille ou en laves ? C'est peu probable, car il avait à ses portes la terre qui se façonne si facilement.
Ce mot qui vient de l'ébène, bois exotique aussi dur qu'il est noir, ne pouvait qualifier chez nous l'ouvrier qui fabriquait ses meubles avec le chêne ou le bois fruitier. En, province toutefois, on restaurait les meubles de la bourgeoisie en ébène, en acajou et palissandre. Le travail artistique du mobilier tenait une grande place dans le moyen-âge ; il occupait des professions distinctes : tourneur, molurier, incrusteur, découpeur, marqueteur, sculpteur en fauteuil, en buffet, en bahut. L'ébéniste habile de nos petites villes savait réunir jusqu'à un certain point ces différentes industries. On peut voir, dans nos maisons bourgeoises, des buffets, des bahuts et surtout de grandes armoires portant une large et épaisse corniche moulurée et s'ouvrant avec des battants enrichis d'arabesques en relief. Dans les campagnes, les maisons avaient le dressoir, la commode, l'armoire décorées de figures ou rameaux en bas-relief.
Avallon avait ses ébénistes qui n'étaient que cela, ou qui cumulaient comme les frères Thibaut, en 1767, qui se disent : « sculpteurs, maîtres menuisiers et entrepreneurs de bâtiments ». On trouverait dans les églises et les maisons bourgeoises des boiseries qui avaient remplacé les anciennes tapisseries et qui sont du ciseau d'un maître sculpteur. On citera les revêtements des églises d'Annay, de Saint-Valentin, d'Etaules, et surtout le magnifique retable d'Island, de 1612. Les derniers représentants de l'ébénisterie sont disparus depuis peu : les frères Noblot fabriquaient le meuble commun, François Colinot faisait le meuble bourgeois, et l'on voit encore, de lui, des tables, secrétaires, buffets agrémentés de figures et ornements en relief ; on citerait encore Goupil et les artistes de la maison Morache. Il reste Argance qui garde les traditions du passé, mais ne fait que des restaurations pour les antiquaires et les amateurs.
Parler de chandelle, c'est évoquer le souvenir de nos grand'mères qui avaient connu ce grand progrès d'éclairage sur la petite lampe d'étain brûlant l'huile du pays. Quelle marche à pas de géant a fait la lumière ! Après la chandelle, c'est la bougie, puis l'huile minérale, puis le gaz qu'on croyait le dernier mot du progrès, puis c'est l'électricité qui sera l'idéal et qu'on ira chercher dans l'eau qui coule, dans l'air qui soufle. Pauvre chandelle ! qui s'était crue la reine intangible des lumières ; elle avait son fabricant à Avallon, il y a quelque cinquante ans, route de Lormes et rue de Paris. Elle a vécu, mais en laissant son nom dans la Chandeleur qui marquait la fin des veillées, dans le chandelier et le candélabre. Longtemps on dira à la campagne : « souffle donc la chandelle », et à la ville, ce mot populaire : « il en a vu trente-six chandelles ». De même qu'avant la chandelle, on disait et on dit encore d'une santé perdue : « c'est une lampe qui s'éteint ».
Le nom d'herboriste, sympathique aux anciens, évoque mieux que d'autres le bon vieux temps, alors que nos grand-mères croyaient ferme à la vertu d'une foule de plantes. Dans leur science naïve, elles imposaient leurs conseils dans les maladies qui souvent se guérissent d'elles-mêmes, grâce aux robustes constitutions aidées d'une vie simple. A la ville, le maître guérisseur par les plantes, c'était l'herboriste dûment diplômé et tenant boutique. Il faisait des préparations, recherchait les herbes et vendait les accessoires de pharmacie ; était-ce une profession, un métier, un commerce ? Un peu tout cela ; mais il tenait à se distinguer du simple épicier sans instruction professionnelle.
L'herboriste allait autrefois lui-même récolter au bon endroit et en leur saison les plantes médicinales ; c'était même une bonne occupation pour certaines gens peu aisées, au début du XIXe siècle. C'est ainsi que plusieurs femmes de Précy-le-Sec couraient le Morvan pour ramasser la réglisse, la gentiane, la digitale, le tilleul, le capillaire, etc. Les herbes une fois séchées, restaient pour une partie à Avallon, mais le plus fort lot était expédié à Paris par le roulage de la grand'route passant près de Précy, et allait s'emmagasiner dans les drogueries de la rue des Lombards.
C'était, il y a un siècle, le règne de la médecine végétale, et l'herboriste faisait figure à côté de l'apothicaire. Avallon a possédé deux herboristes, et celui qui se nommait Répiquet avait une célébrité populaire. Des guirlandes d'herbes au séchoir décoraient ses fenêtres au dehors et des bocaux garnissaient l'intérieur, les uns contenant des reptiles, les autres des sangsues qu'on allait pêcher dans les étangs de Marrault.
La médication interne et externe par les plantes était populaire. Nos populations croyantes disaient que Dieu avait mis le remède sous nos pieds pour nous guérir, comme il mettait les plantes pour nous nourrir, ce qui est vrai, mais demande une connaissance suffisante des vertus médicales. Tout était voué alors à l'empirisme, c'est-à-dire à la recherche à tâtons des propriétés des plantes. Mais tout de même il faut admirer l'esprit inventif de l'homme, du sauvage inculte qui trouvait une voie tout en marchant dans les ténèbres. L'empirisme n'aurait-il donné à la médecine que la merveilleuse digitale de l'Ancien- Monde, ou le magique quinquina du Nouveau-Monde, et il y en a d'autres, qu'on devrait ménager les critiques à son endroit.
On semble revenir de la défaveur qui menaçait la médication végétale. On accueillera les offres que font certaines officines du Midi d'un traitement par les plantes des Alpes. On voit annoncer des tisanes, des sucs, des élixirs, sous le nom vrai ou supposé de religieux..Dans nos pays, les ménagères se bornent à recueillir le tilleul, le sureau, etc., alors que les anciens avaient toute une pharmacie de plantes. Mais l'herboristerie s'est réfugiée dans des préparations soignées que les plus réfractaires à la tisane admettent volontiers ; citons hors du Codex : la Chartreuse, la Bénédictine et d'autres succédanés.
L'herboriste est devenu rare, la Faculté de Médecine n'en reçoit plus. Il pouvait disparaître puisque le pharmacien se multiplie. Mais il est une science aimable et facile dans ses rudiments qui doit survivre, c'est la Botanique. Elle est bien délaissée dans les sociétés savantes et partout ; le bel herbier de l'Avallonnais, composé par M. Moreau, professeur au collège, peut dormir tranquille au musée. Pourtant, la botanique simplifiée aurait sa place dans les écoles, et les enfants mêmes, guidés par leurs maîtres, feraient aussi bien un herbier des plantes utiles ou nuisibles qu'un album de timbres-poste. Ce serait un premier pas dans l'instruction agricole, et le plus attrayant.
Mais, dira-t-on, les maîtres sont-ils préparés à ces exercices pratiques ? C'est pourtant le grand désir des cultivateurs qu'on pousse les jeunes à la vie des champs et que l'enseignement dans les campagnes implante l'estime et l'amour de la terre. Il y a tant à faire pour parer à la désertion du travail des ancêtres et repeupler le sol qui nourrit le monde.
Qu'on ne croie pas que ce corps de métier tende à disparaître. Il est représenté par des maîtres qui ont leurs devantures garnies de montres, pendules et articles variés qui leur font donner le nom plus relevé d'orfèvre, bijoutier, opticien. Ce qu'il faut mentionner, c'est la disparition du petit horloger d'horloge à boîte qui, en résidence à Avallon, mais sans magasin, s'en allait nettoyer dans les villages les anciennes horloges dont les derniers modèles dits « comtoises » étaient la perfection du genre. On a connu cet horloger de campagne, Rousseau, qui avait eu son heure, alors que les communications étaient difficiles ; le travail était souvent fait à la maison, ce qui intéressait fort les gens qui admiraient la science du fin mécanicien. Le vrai horloger sans adjonction, date du commencement du XIXe siècle, car on trouve encore le cadran solaire à l'autre siècle ; il y a au musée religieux un échantillon sur ardoise, de 1725, signé Poinsot. Les premiers horlogers de la ville furent ce que fut Rousseau, le dernier représentant de l'horlogerie primitive.
Ces horloges à boîte, conservées dans les anciennes maisons, où elles faisaient partie du beau mobilier, à côté de la maie et du dressoir, ne sont plus de mode. On ne leur demandait plus la précision, mais on aimait leur bruyante sonnerie et le tic tac du balancier. C'est aujourd'hui sur la cheminée de marbre, la pendule (on ne dit plus l'horloge) qui marque les heures, le cadran surmonté d'un personnage ou d'un sujet rehaussé de dorure. Souvenir de l'horloge mue par des poids suspendus qu'il fallait remonter : on dit monter une montre, ce qui n'a de sens qu'en se rapportant à l'ancien système.
L'horloger devrait, au contraire des autres ouvriers, se multiplier, car qui donc n'a pas chez soi une pendule et sur soi une montre. C'est pourtant le contraire qui arrive ; autrefois, on voyait le patron à son établi, devant sa fenêtre, l'oeil armé d'une loupe, disposant son délicat mécanisme, aidé d'un apprenti. Mais déjà l'apprenti a disparu (c'est trop long de cinq ans) et la fenêtre est devenue la grande devanture meublée de mille pièces séduisantes d'horlogerie, d'orfèvrerie et de bijouterie. On devine un commerce prospère que favorisent l'aisance et le clinquant bon marché ; la campagne, comme la ville, fréquente le banquier et le bijoutier. L'ouvrier travaille alors dans l'arrière-boutique, ou même les réparations se font au loin ; on peut ouvrir un magasin sans connaître une montre, et c'est le déclin de l'horlogerie locale.
Encore un métier qui doit subsister tant que les chevaux trotteront sur la routé ou traîneront la charrue, ce qui n'est pas près de finir. C'est un artisan très habile et très actif ; et quelle force ne faut-il pas pour chausser toute la journée le cheval, l'âne, le boeuf, ayant affaire quelquefois à des bêtes capricieuses ou à des chevaux boiteux par accident. Le patron, avait besoin d'un aide rompu aux difficultés du métier, c'était le compagnon qui portait fièrement la canne, et c'était plaisir de voir les deux hommes par une entente soutenue, expédier comme en se jouant une bande d'animaux. Alors que l'école vétérinaire d'Alfort ne s'ouvrait qu'à l'aspirant capable de ferrer un cheval en deux chaudes, les trois premiers élèves de chaque cours des écoles, filles de la maréchalerie, étaient désignés sous le nom de « cannards », parceque primitivement ils portaient la canne de compagnon. C'était les beaux jours du métier, et le maréchal, comme le médecin-vétérinaire, pouvait dire : quelle clientèle j'avais là !
Le temps est passé et il passe très vite. La ferrure des boeufs, autrefois si active, est presque réduite à rien, le cheval ayant remplacé le boeuf. Quant à celle des chevaux, les autos de tout genre ont subitement provoqué dans la ville la déroute de l'animal que Buffon disait être la plus noble conquête que l'homme ait faite. En 1813, Avallon comptait dix maréchaux ; en 1900 ils étaient cinq, installés surtout sur le bord des routes et des grandes rues, et maintenant il en reste trois très peu occupés et qui ne se recrutent plus. Dans les campagnes et même dans la ville, le maréchal est devenu forgeron, taillandier, serrurier ; il travaille le fer, et ses connaissances en tout genre pour la culture le rendent précieux. On citait à Avallon Boudin et Segaut, qui faisaient la charrue, la ferrure des roues, les landiers, les heurtoirs de porte et savaient rebattre, denter les faucilles. Le maréchal-forgeron ne trouve plus d'apprenti ; c'est trop fort métier, disent les parents, et l'on voit, par exemple, dans un pays de forte culture, comme à Magny, à 8 kilomètres d'Avallon, où les trois maréchaux sont disparus, les cultivateurs viennent ferrer à la ville.
Et voilà pour les écoles d'industrie des villes, une nouvelle branche de l'arbre des métiers à revivifier.
Cela s'entend non du maître d'une usine dite minoterie, mais du meunier du moulin au petit sac du bon vieux temps, encore debout il y a trente ans, le moulin aux grosses meules de silex et aux roues à palettes. Il a tenté les peintres et fait rêver les poètes ; René Bazin a décrit ce meunier : « Il a les joues enfarinées, une blouse blanche, un bonnet de coton sur la tête, l'air bien portant et les yeux vifs ; son caractère est d'avoir du bon temps et de n'être guère que le surveillant de son associé, l'eau ou le vent qui tourne les meules. »
Avallon a connu le moulin à vent de la Croix-Sirot, route de Paris, et celui des Chaumes, car l'eau du Cousain ne suffisait pas toujours et la ville devait acheter l'eau des étangs. Combien de moulins ou moulinets ont disparu de l'Avallonnais ? On compte 53 moulins en 1889 et 77 en 1864, et déjà, de Méluzien à Pontaubert, c'est une vingtaine dont le promeneur entendait sans discontinuer le tic-tac se mêlant au bruissement du torrent, musique qui l'enchantait dans cette vallée pittoresque. Quel changement ! L'ancien sentier agreste est une route, les biefs s'écroulent, les maisons tombent en ruine et plus rien de la file des bât-l'ane transportant la mouture. De toute cette enfilade, il reste le moulin Blondeau, mais modernisé, marchant par les cylindres, s'éclairant à l'électricité et travaillant pour le commerce.
Heureusement que le peintre Daubigny, dans son tableau du « Pont-Claireau » (1855), a immortalisé ce curieux commis de moulin qui, monté sur son âne, les jambes pendantes de chaque côté du bât, s'en allait aussi placidement que son maître par le vieux chemin distribuer la fournée. Et tous ceux-là : les carriers qui extrayaient le silex à la Ferté-sous-Jouarre, les ouvriers qui en formaient une meule, les rabilleurs qui, armés de marteaux pointus, ravivaient la surface usée, et les bat-l'âne auxiliaires du meunier, ils ont disparu ensemble. Et que d'ouvriers s'étaient employés au moulin : maçons, charpentiers, menuisiers, bluteurs, mécaniciens. Le moulin ruiné n'était que la conséquence de l'abandon de la cuisson du pain de ménage ; alors le four de campagne était démoli, le pétrin transformé et les corbeilles destinées à d'autres usages : la boulangère domestique avait vécu...
Une des plus anciennes industries du pays qui a disparu est la papeterie, qui fabriquait le papier à la forme à la main. Avallon en comptait deux, et il y en avait une au Vault-de-Lugny dont le nom est resté aux bâtiments. La première, celle qui subsistât le plus longtemps, est celle située près de Méluzien. La fabrication du papier à la main s'est effectuée jusque vers 1855. Les frères Couty en furent les derniers exploitants. En 1859, elle fut remplacée par une papeterie mécanique dite « à la forme ronde », laquelle disparut a son tour pour faire place à un système plus nouveau qui ne se développa pas. La deuxième était située aux Iles-Labaume, juste au chemin qui descend de la Morlande. Le séchoir à air libre, où l'on étendait le papier pour le séchage, fut transformé, il y a cinquante ans, en remise pour tannerie et disparut à son tour. Le dernier exploitant fut un nommé Chelle, dont un des fils fut acteur renommé à Paris. La papeterie cessa quand les transports se modifièrent et permirent la venue du papier fabriqué mécaniquement, moins cher et de plus grande dimension. Jusqu'alors, les papeteries avaient, comme partout, une clientèle exclusivement locale. Le papier produit se transportait souvent à dos d'homme aux clients. Le personnel fabricant était au contraire, à cette époque, presque exclusivement nomade. Des quantités de compagnons sillonnaient les routes de France, s'embauchaient pour quelques jours et repartaient plus loin. Les papeteries produisaient surtout les papiers gris d'emballage et plus rarement des bulles. La fabrication mécanique supprima d'un seul coup toutes les fabriques à la main. Quelques-unes seulement se spécialisèrent en France dans la fabrication du papier à filtre et du papier pour actions et billets de banque. Sous le premier Empire, vers 1830 les écoliers allaient encore faire leur provision de papier à la forme, vergé et assez grossier, à l'usage de l'école, ce qui nécessitait l'emploi de la plume d'oie.
Le cartonnier que l'on a vu il y a cinquante ou soixante ans, à Cousain-la-Roche, faire son carton, a cédé la place au fabricant d'amiante qui, sur une matière sortie du terrain granitique, aurait le mème façonnage. A propos d'amiante, qui est un silicate de chaux ét de magnésie, j'ai vu un échantillon de ce minéral qu'un officier belge avait trouvé en explorant les environs de Chastellux, bien reconnaissable à ses fibres soyeuses. Avant la Révolution, il y avait une papeterie à Vesvres, dont le fabricant avait sept enfants ; c'est elle qui est devenue une cartonnerie.
Quand on parle du plâtrier de l'ancien temps, il faut distinguer l'artisan de la ville de celui de la campagne. Dans les bourgades, il était plâtrier, peintre, tapissier de papiers peints, vitrier, encadreur, fumiste et peut-être encore autre chose. Peu à peu, même à Avallon, le plâtrier qui jadis n'était que plâtrier, s'est fait peintre. En 1900, l'Almanach commercial annonce encore « six plâtriers » qui tiennent à garder ce nom de leur travail principal ; mais en reste-t-il encore qui ne fassent pas autre chose ? Le vrai plâtrier, tel qu'on l'a connu il y a soixante ans, celui qu'on appellerait décorateur, est disparu. Il cuisait, moulait et tamisait lui-mème sa pierre qui est du sulfate de chaux ou gypse, débarrassé par la cuisson de son eau de combinaison. Le plâtre associé à la colle, donne le stuc imitant le marbre dont l'emploi n'était pas connu à Avallon.
Mais avec le plâtre ordinaire, l'ouvrier faisait un plafond d'une grande solidité, c'était le plafond blanc, c'est-à-dire recouvert d'une couche très mince d'un plâtre fin qui le rendait brillant. Avec le plâtre fin, l'artiste, car c'en était un, faisait courir par le moulage, autour du plafond, une corniche tantôt légère, tantôt épaisse, et même débordante, agrémentée de motifs décoratifs variés. Le centre du plafond recevait une rosace qui admettait des feuilles, des fleurs, des figures. Au XVIIIe siècle, et au début du XIXe, cette décoration était en faveur dans les maisons bourgeoises. On pourrait en compter une vingtaine dans la Grande-Rue, la rue Porte-Auxerroise et ailleurs, qui se parent de ces belles choses.
Le métier de potier d'étain avait sa place dans les métiers d'Avallon ; il a disparu comme ailleurs. L'étain, au reflet d'argent mat, s'est vu supplanté par la terre cuite émaillée ou la porcelaine, et depuis peu : terre cuite, poterie, porcelaine, fer battu se voient détrônés par l'aluminium. Dans l'ancienne bourgeoisie, l'étain se plaçait bien au-dessus de la faïence. On voit, en 1758, qu'Avallon offre aux dames des dignitaires de passage des confitures fines dans un pot d'étain.
Le dernier potier connu, nommé Sergent, fabriquait, rue du Marché, des pièces de fonte et d'autres faites au tour : plats, tasses, gobelets, pots, pintes de Bourgogne marquées de son nom. On trouve encore dans les églises pauvres des burettes, des coupes à quêter, des plateaux qui sont de Sergent. Mais certaines pièces à couleur grise sont un alliage d'étain et de plomb. Le moulage d'étain a fini par des cuillers que les rétameurs ambulants fondaient, il y a cinquante ans, sur les places.
L'étain a toutefois gardé son emploi dans l'étamage que lui dispute maintenant le nikelage. Mieux que cela, il est devenu sous la main des artistes graveurs une riche vaisselle de parade. On peut voir aux vitrines des bijoutiers et des faïenciers des vases d'étain de toute forme et de décoration variée voisiner avec des objets artistiques d'argent, de verrerie ou de riche céramique ; c'est une sorte de réhabilitation.
Disons pour la consolation des collectionneurs, que l'on fabrique des étains pourvus de tous les caractères de l'ancienneté : ton obscur, défectuosités, signature du potier. Et comme les antiquaires s'y trompent eux-mêmes, l'amateur du bibelot peut se faire sans crainte et sans scrupule une étagère de jolis vases qualifiés d'étains authentiques.
Ce qui a disparu aussi d'Avallon après une courte apparition, c'est le potier de terre qu'on trouve dans les archives en 1720, établi au faubourg Saint-Martin et qui fournit à la ville, pour ses fêtes, une commande de lampions. Il y a aussi, en 1779, une concession de terrain pour tuilerie et poterie.
La reliure est un art qui exige l'exercice de l'intelligence, la recherche du goût, le savoir faire de l'expérience, car le relieur est en rapport avec les gens de lettres. Il avait une place honorable dans le corps des métiers. Et qu'est-ce qu'une ville qui n'occupait pas un relieur, c'est-à-dire qui ne comptait pas d'amateurs de beaux livres, de maisons bourgeoises n'ayant pas, du moins par amour propre, une salle de bibliothèque. Avallon avait donc un relieur, bon ouvrier, qui a disparu il y a quelques années, c'était, après Cormier, Aîné Pichenot, rue Maison-Dieu. Cet artisan qui faisait la reliure, était tombé au rang d'afficheur. Le poète dirait : Comment en un vil plomb l'or pur s'est-il changé ? Nous dirons que la faute n'en est pas au relieur, c'est la reliure qui est morte, et saluons le dernier relieur. Voilà une perte pour Avallon au point de vue élevé, c'est la disparition d'un travail de choix. L'afficheur fait le travail d'un manoeuvre, ce serait, comme rareté, un nouveau métier, s'il pouvait nourrir son homme...
...Allez voir à la Bibliothèque Nationale l'exposition des reliures anciennes ; ce sont des chefs-d'oeuvre de confection délicate que rehaussent l'or, les perles, les émaux. On aimait les beaux livres : une impression parfaite revêtue de maroquin, de vélin blanc ou d'ivoire. Les monastères étaient des écoles d'enluminures et des ateliers de reliure. Sans aller plus loin, la bibliothèque de la ville garde comme des reliques les collections enlevées aux couvents pendant la Révolution. On voit là ce qu'on appelle un livre : ce sont de massifs in-folio et d'autres formats couverts en veau fauve, d'épaisseur, portant sur le dos de gros nerfs. Et sur ces solides et sévères revêtements s'étalent des arabesques dorées. Joignez-y la tranche rouge et les gardes d'une marbrure éclatante, multicolores, et vous avez le type parfait d'une reliure commune de ce temps là. On montrait par là en quelle estime on tenait la pensée de l'homme. Et quand c'était la pensée divine : on ne trouvait rien de trop beau pour les Saints Livres. L'évangéliaire du duc de Bourgogne étincelait d'or et de cinquante-six grosses perles...
...Avallon ne parait pas avoir fourni dans le passé une clientèle suffisante pour occuper un relieur. On trouve en effet, en 1738, dans les archives, qu'on a payé 4 livres 3 sols à Jean Imbert, recteur d'école à Vault, qui est venu avec ses « outils pour relier les registres de l'hôtel de ville ». Avant Pichenot, on a connu Barré et, en 1803, on trouve Naudot qui quitte Avallon pour la place de maître d'école à Arcy.
Voilà un précurseur pour les gens en quète d'un passe-temps. La reliure, entendu d'un simple brochage ou d'un cartonnage est d'une pratique facile. C'est un moyen de conserver les revues et les livres mal cousus, et c'est de plus un bon divertissement. Des curés de campagnes s'adonnent à ce modeste travail qui continue quelque peu la tradition des monastères. La brocheuse qui travaillait pour le relieur, elle aussi a disparu.
Jusqu'à l'établissement de la « route royale » de Paris à Lyon, chacun vivait chez soi. La foire amenait à Avallon les produits naturels de la campagne qui, de son côté, emportait les produits fabriqués pour ses besoins. Le roulier n'existait pas ; il n'apparut que sur la grande route. Mais quand les barrières commerciales entre provinces furent supprimées, un mouvement dans les transports vers Paris s'opéra jusqu'à l'arrivée des chemins de fer.
C'est alors qu'Avallon eut son roulage. Le roulier, dont le nom même a disparu, allait à Paris, desservant les villes de la route et effectuant le voyage d'aller et retour dans une semaine. Il prenait, par exemple, à la cave même de la ville, une feuillette de vin et la déposait à Paris, à la maison même du destinataire.
On reconnaissait partout le roulier : il était coiffé d'un bonnet de coton de couleurs variées et vêtu de la limousine, manteau tombant aux pieds, fait d'une grosse étoffe de laine du pays. Sa carriole était tirée par un fort cheval, au collier surélevé et orné de pompons, de clochettes et de grelots. Il faisait la route assis sur son « ballon », sorte de siège suspendu, fait d'un tapis tenu en devant, sur le côté des brancards, par deux piquets, système encore usité par les charretiers jusqu'en ces derniers temps. La voiture portait, se balançant en dessous, la « civière », où se plaçaient les objets menus ou fragiles. Un gros chien montait la garde, et ce qui complétait le costume, c'était le fouet de taille dont les clic-clac répétés annonçaient l'arrivée du roulier.
Ce moyen de transport s'est maintenu même après le chemin de fer ; il était si commode de donner et de recevoir directement les colis sans manipulation. Le dernier a disparu depuis peu, desservant Auxerre seulement. Les autres voituriers, appelés messagers ou commissionnaires, ont quelque temps fait le roulage ; ils venaient au marché et se chargeaient pour Auxerre, tels étaient les Macadoux, d'Arcy, qui voyageaient la nuit à l'aller et au retour. On a connu aussi un messager de Lormes, les Save, de Jourdan, qui en vrais Morvandeaux transportaient sur des chariots à boeufs les marchandises d'Avallon, il y a trente ou quarante ans...
Personne n'a connu le savetier, dernier survivant de la corporation des ouvriers qui faisaient la réparation des chaussures, sans se confondre avec le cordonnier fabricant le neuf. Il a survécu certainement après la Révolution, mais nos souvenirs ne vont pas assez loin. Il a disparu, laissant à l'ouvrier cordonnier, qui lui était supérieur, la partie modeste qui lui avait valu son nom. Sous Louis XIV, la corporation de Saint-Crépin comprenait quatorze cordonniers et six savetiers, lesquelles avaient leurs armoiries et leurs attributions réglées. Le savetier travaillait isolément dans son échope ouverte et placée entre les contreforts d'une église ou dans un coin des bâtiments. Le bon savetier, comme la bonne ravaudeuse, sont des gens précieux, et ce serait aujourd'hui un métier qui nourrirait son homme. Le cordonnier, qui a du se mettre à faire la réparation, est en somme redevenu en partie savetier ; il l'a même été tout à fait pendant la guerre, où le cuir manquait, et il avouait qu'il gagnait plus qu'à faire du neuf ; d'ailleurs, dans certaines familles, on sait réparer le vieux.
Lafontaine, dans ses fables, nous parle d'un savetier qui chantait toute la journée au déplaisir de son voisin le financier. Les ouvriers de la chaussure étaient donc des chanteurs, comme tous les ouvriers d'un travail sédentaire : ils se sentaient de la race gauloise. Or, la chanson a disparu de la boutique, comme si le financier était passé par là, ce qui n'est pas le cas. Le savetier avait une réputation d'ouvrier inférieur, et l'on disait d'un travail mal fait : c'est saveté. Mais la mode a changé et l'on s'en prend au sabotier, on ne sait pourquoi : un ouvrage saboté revient à l'ouvrage saveté.
Le scieur de long, dont le charpentier attendait ses bois, ne doit pas être oublié, car c'est encore un métier disparu. Il y a quelque trente ans, on voyait un homme perché sur sa bille soigneusement équarrée, placée en long, ce qui donnait du pittoresque à la campagne. Il tenait une scie tendue verticalement par un cadre que son compagnon, placé en dessous et tout courbé, tirait en cadence pour imprimer le mouvement de va et vient. C'était une rude journée que faisaient les pères Colin et les Letors, les derniers scieurs de long qu'on a vus au Bois-Dieu. Ils donnaient aux pièces de charpente une façon que n'ont pas égalée, dit-on, les scieries mécaniques. La première parait être celle de Cousin-la-Roche, dite « moulin à scier », établie en 1777, par Hémon ; aujourd'hui une grande scierie.
Son nom disait bien son métier, qui était de fabriquer les serrures, ce dont il devait faire autrefois le principal et le plus distingué de ses travaux. On a connu à Avallon, il y a soixante ans, des serruriers sachant faire de toutes pièces une serrure de sureté munie d'une clef découpée avec art, tels Joudrier et Chevillette ; mais tous savaient établir une serrure ordinaire. Par l'arrivée des articles de fabrique, le travail s'est borné à la réparation, et l'ancien serrurier, qui autrefois avait pour enseigne une clef volumineuse, a laissé à ses successeurs le trousseau obligé de clefs qui vient au secours du malheureux qui reste à la porte. C'est donc au point de vue fabrication, une partie du métier, celle qui donnait son nom à l'artisan, qui comptera au nombre de choses disparues.
Les oeuvres qui nous restent des anciens serruriers sont variés et dénotent un beau savoir faire. On les trouve dans les vieilles maisons bourgeoises ces rampes d'escalier, ces grilles de balcons et de fenêtres, et dans les églises ces clôtures de choeur qui, obtenues par le seul travail de la main, font admirer la perfection. Sans doute, aujourd'hui les ouvrages en fer ont pris la place du bois : les grandes portes de cours, les grillages de clôture sont la part du serrurier, oeuvres courantes où l'artisan n'a quelquefois qu'un travail d'assemblage de pièces préparées par la machine.
Qui aurait pensé que l'ouvrier si bien nommé, si nécessaire aux travaux de la ville et surtout de la campagne dut disparaître. Sa forge s'est éteinte à Avallon, il y a peu de temps. Il y avait un taillandier aux Cousains et Moreau, à Pontaubert. On voyait rue de Paris, il n'y a pas longtemps, un magasin des outils du pays sortis des petites forges. C'était : la faux, la faucille, le coûtre, la cognée du bûcheron, la cuiller du sabotier, la goyère, le merlin, la serpe, la hachette, le croissant, la grosse coutellerie, les outils du charron, du charpentier et d'autres encore. Ce sont les marchands de fer qui, maintenant, ont remplacé par des outils fabriqués au loin ceux des petits ateliers que l'apprenti a désertés. On savait pourtant bien dire du taillandier de village : « il a une bonne trempe », La trempe était le secret de l'ouvrier, et si l'outil n'avait pas tout à fait la grâce des produits de fabrique, du moins il faisait bon usage.
Mais ce n'est pas seulement l'ouvrier qui disparaît, c'est une des choses aimables qu'on croyait éternelles. La faucille est oubliée, la faux est démodée, la hache même du bûcheron est menacée ; le fléau, qui des mois battait en cadence l'aire des granges, a fait son temps, ainsi que son compagnon le van qui séparait péniblement le grain de la paille. Tout est voué à la machine, et voilà des mots nouveaux : la faucheuse, la moissonneuse, le battoir, le tarare, le trieur et le moulin à cylindre. Adieu les images gracieuses des travaux des champs, où se plaisaient le peintre et le poète ; la statuaire même, évoquant l'image funèbre de la mort, n'osera plus mettre une faux dans la main du Temps.
La pierre se taille toujours, puisqu'on fait des constructions et qu'il y a des ouvriers, encore que le ciment prenne souvent sa place ; mais le tailleur de pierre, qui n'était que cela, celui que les anciens ont connu, n'existe plus. Avallon possédait plusieurs petits ateliers et d'autres existaient dans les villages, à Lucy-le-Bois par exemple, qui avait une renommée. C'étaient donc de nombreux ouvriers que la taille employait. On faisait pour le bâtiment les assises de de base, l'entablement, les portes et fenêtres, l'escalier, le dallage, et l'ouvrier s'en tirait sans architecte. On trouve encore à Thisy, à Massangis, des tailleurs qui exécutent de grands escaliers à double tournant d'entrée de bonne allure. Tout se faisait en pierre dure du pays ; c'est vers 1860 que Rondeau, le premier, se servit de la pierre tendre de Gravant et de Courson.
Un chantier s'est ouvert, depuis peu, de tailleur de pierre, et l'entrepreneur a beaucoup travaillé pour le monument des soldats. Le vrai tailleur ancien avait joint à son travail l'article monument funèbre, qui consistait jadis en une dalle couchée ou debout. Mais l'aisance et le luxe ont peuplé le champ du repos de monuments qui ont absorbé tout le travail du tailleur de pierre, assidu maintenant au cimetière, où il entrait rarement. Et l'artisan a pris le même nom que ses confrères des villes, il s'appelle marbrier, quoiqu'il n'emploie guère le marbre, sinon pour les plaques de souvenir. Mais le nom bien mérité qui relèverait le mieux la profession, est celui de sculpteur. Dans ce domaine tout nouveau du cimetière, le modeste tailleur de pierre a montré un savoir faire d'artiste...
Il faut parler des tanneries comme on a parlé des petits moulins ; c'est une industrie qui a disparu dans ses formes modestes et dispersées. Ce n'est donc pas un métier qui a disparu ; il s'est transformé par la concentration du travail, du personnel et des capitaux. On comptera moins de tanneries, mais plus d'ouvriers qu'autrefois.
Ce métier est vieux comme le monde, mais on trouve peu de chose sur son histoire dans la région.
On sait que sa prospérité suivait celle du bétail, qui elle-même dépendait de l'établissement des prairies artificielles. On voit, dit l'abbé Courtepée, 1780, que le commerce des cuirs a considérablement diminué. En 1700, on comptait vingt-quatre tanneries à Saulieu et il n'en reste que quatre ou cinq. C'est ce qui arrive à Avallon où, dit Courtepée; sur plus de vingt tanneries ne sont plus que sept. Ernest Petit dit que vers 1400, « les tanneries de Cousain commençaient leur réputation et fonctionnaient activement. » En 1669, la confrérie de Saint-Crépin comptait trente-huit tanneurs et corroyeurs ; en 1680, elle comptait onze tanneurs, sans doute maitres-tanneurs.
Il faut savoir ce qu'on doit entendre par la tannerie de ces époques. Il y avait des tanneries d'importance différente. D'après les rapports transmis des grands-pères aux enfants, on aurait vu des tanneries de trois ou quatre fosses, celles de dix fosses seraient les plus grandes. Elles n'étaient pas toutes auprès de la rivière, quelques-unes étaient situées dans Avallon, mais dans la périphérie de la ville, comme celle de Laurier, rue de l'Arquebuse, qui avait dix fosses. On cite Velin, rue de Paris ; Ruffier, rue de Lyon ; Morizot, Tour-de-l'Oiseau ; Courtat, rue des Merciers ; Fauleau, rue Fort-Mahon ; ils sont huit en 1813.
Aujourd'hui, les trois tanneries des Cousains occupant 150 ouvriers produisent peut-être plus que les vingt petites tanneries du passé. C'est une industrie au contraire d'autres, qui est fixée à Avallon. Elle ne craint pas un déplacement, grâce à l'emploi de nouvelles méthodes. C'est une population maintenue dans son faubourg et qui vit des traditions qui font les bons ouvriers. Mais tout de même il y a des disparus dans les annexes de cette industrie, par suite du traitement nouveau qui active la transformation des peaux en cuir. L'abandon du tannin prive du travail une armée de bûcherons qui péniblement pratiquaient l'écorçage et selon leur mot faisaient « la save ». Aujourd'hui, la save est remplacée par la vapeur. Le bois est coupé l'hiver, de longueur, et soumis dans une étuve à l'action de la vapeur. Il y a une étuve à Cousain. Il prive les charretiers qui charroyaient les bottes, les déchargeurs qui les emmagasinaient et les ouvriers employés au battoir des écorces. C'est tout un personnel déjà bien diminué et qui disparaîtra bientôt. Il n'est pas jusqu'au fabricant de mottes qui ne sera plus qu'un souvenir que nous recueillons de M. Degoix :
Le mot est resté, le métier aussi, mais qui tourne à son déclin. Comme son nom l'indique, le tapissier était l'ouvrier qui, dans les château et les maisons bourgeoises, pratiquait l'art de décorer les appartements avec des étoffes de prix. Il y avait à garnir les murs de tapisseries, les planchers de tapis, les fenêtres de doubles rideaux d'étoffes, les ciels de lit, les baldaquins, les fauteuils et tout l'ameublement. C'était donc, alors qu'il y avait autour d'Avallon des châteaux et dans la ville des maisons bourgeoises, tout un beau travail et de quoi occuper le tapissier avec plusieurs ouvrières. L'atelier, autrefois très actif, a connu le déclin en même temps que celui des grandes familles. L'hygiène nouvelle n'y était pas étrangère, elle condamnait ce déploiment d'étoffes de laine qui était le refuge des insectes qu'on appelle aujourd'hui microbes. Tout a contribué à faire du tapissier, qui était un tenant des arts décoratifs de l'ancienne société, un homme condamné à habiller ou à réparer des fauteuils simplement.
Le tapissier peut se dire de l'ouvrier qui fait de la tapisserie, c'est-à-dire qui garnit un canevas de fils de laine teinte de couleurs variées, dont l'ensemble imite des personnages ou des décors de fleurs et de fruits. Sans faire la tapisserie comme aux Gobelins, qui simule la peinture, les dames d'Avallon savaient tapisser de jolis motifs. On peut en voir un spécimen dans le grand tapis des fètes, à Saint-Lazare. Il faut dire que la tapisserie, comme la broderie, se pratiquait comme un moyen de ressources, sans pouvoir assurer que c'était un métier. On n'a connu qu'une maison bourgeoise où les murs disparaissaient sous les tapisseries ; mais au XVIIIe siècle, les lambris ou boiseries sculptées avaient pris leur place. Au moyen-âge, l'art de la tapisserie était cultivé même par des hommes de la bourgeoisie. Le fameux bailli d'Auxerre, au temps de Jeanne d'Arc, Jehan Regnier, qui réunissait tous les pouvoirs : militaire, judiciaire, administratif, occupait ses loisirs à cet art qui fait partie des beaux-arts ; il avait des émules à Avallon. On admirait autrefois, aux expositions de l'Oeuvre des Tabernacles, des ornements sacerdotaux en tapisserie ; il y en eut quarante dont le travail dénotait un goût d'artiste. Ils étaient l'oeuvre de M. Louis Gagniard, l'ingénieur qui occupait ainsi sa vieillesse, lui, le dernier représentant d'une famille qui a donné des citoyens de valeur à l'Avallonnais. Dans le même temps, un citoyen du Vault-de-Lúgny, Hippolyte Jordart, fin dessinateur, a laissé à son église un beau spécimen de tapisserie.
Encore un beau travail de l'art français qui devrait se maintenir dans les familles. Du moins, le mot qui le rappelle survivra dans 1e langage : on dit tapisser une chambre, c'est-à-dire revêtir les murs autrefois blanchis à la chaux, de bandes de papier peint ; mais ici, le tapissier c'est le peintre. Du moins, c'est faire entrer chez les plus modestes ménages des motifs de l'art décoratif, et chez les riches des dessins rehaussés de couleurs vives qui donnent l'illusion de tapisseries.
Nous voilà en route dans le monde ouvrier ancien ; nous disons ancien, quoique ce monde ouvrier dont il est question date seulement du XIXe siècle. Mais à notre époque de transformation les siècles vont vite, et nous aurons dans les métiers disparus d'hier à faire de l'archéologie comme un historien qui se promène dans les ruines.
Nous prenons d'abord le plus populaire des métiers, le tissage du fil que donnait le chanvre. Dans presque tous les villages, le tisserand tenait une grande place, car tout un cortège de petites industries se rattachait à ce modeste et pourtant si utile métier. Le beau et solide linge qui remplissait les grandes armoires, le trousseau des mariées était un produit du pays et de ce petit artisan qui va devenir une légende.
Quelle manipulation subissait le chanvre, aujourd'hui inconnu, quand il sortait des chènevières dont le nom est resté aux meilleures terres : arrachage, rouissage, teillage, peignage, filage, dévidage, tissage. Et que d'outils employés, que de termes de métier qui composaient le langage populaire : la chènevotte, allumette primitive, le chènevis et son huile, la quenouille qui transformait la filasse sous les doigts des reines de France, le fuseau connu aux temps préhistoriques, le rouet, dernier progrès des fileuses, la trame, la chaîne, la navette, toutes choses dont nous parlons encore au figuré, sans les bien comprendre. C'est que la langue s'est appauvrie avec la disparition de l'industrie local, le tisserand n'est, plus lè pour faire la leçon de choses.
Il y a des gens de métier qui se montrent et font grand bruit. Le tisserand, lui, se cache, souvent dans une cave devant une pauvre lucarne, et c'est à peine si vous entendez la navette courir sur le fil. « Pour vivre heureux, vivons cachés », dit le grillon au papillon, dans Florian. Et vraiment, le tisserand est une sorte de grillon dans sa retraite souterraine, non par goût, mais parce qu'il y trouve une humidité favorable au tissage.
Saluons ici le dernier tisserand de l'Avallonnais, et hâtons nous, car il a quatre-vingts ans. Il y a plus de cinquante ans qu'il fait jouer les pédales de son gabarit, et il espère bien voir le bout de ses commandes, si saint Blaise, le patron des tisserands, ne tranche pas le fil de ses jours de si tôt. Sans doute, les commandes arrivent toujours, mais l'ouvrier est triste quand on lui apporte le chanvre des pays étrangers. Inutile pourtant de dire si le tisserand de Valloux (Vault-de-Lugny) aime son métier. Il s'appelle Contant de son nom et c'est un homme content par caractère. Mais ce laborieux qui a dévidé tant de pelotes a sans doute fait la sienne, comme on dit dans le commerce ? Hélas ! les prix sont si faibles qu'en tissant toute la journée et même la veillée à la lampe d'étain brûlant l'huile de chènevis, il arrive, s'il n'est pas malade, à entretenir le ménage. C'était d'ailleurs ce qui arrivait dans tous les petits métiers.
Pour gagner une journée plus que modeste, le tisserand devait se lever matin et se coucher tard, et diviser sa journée en trois parties égales.
Pour tisser la toile, on encolle la chaîne sur une longueur qui représente à peu près le tiers de la production de la journée. Trop humide ou trop sèche, le tissage ne pourrait se faire. Quand la tache était finie, le tisserand encollait une nouvelle longueur et, pendant le dernier séchage, prenait son repas, cultivait son jardin ou faisait les petites bobines pour la navette, dites trames. Les salaires étaient normaux jusqu'au moment où le tissage mécanique vint les réduire d'abord et les supprimer plus tard.
Le tisserand reportait son ouvrage au client et devait rendre tant d'aunes pour tant de livres de fil. A pied, à des distances souvent considérables, il s'en allait le rouleau de toile sur une épaule et le soutenant avec son aune carrée passée sur l'autre épaule. L'aune faisait partie du matériel ; à l'arrivée on mesurait la toile, et souvent des discussions s'élevaient. En revenant, la chronique dit que l'aune servait de canne et que n'étant pas ferrée, elle diminuait un peu tous les ans ; c'est pour cette raison qu'une ordonnance exigea qu'elles fussent ferrées aux deux bouts.
Il y avait encore, il y a une trentaine d'année, un tisserand à Méluzien : le père Chevy. Le dernier établi à Avallon, avec boutique pour la vente, était dans la Grande-Rue, il s'appelait Goupil-Durand. Le métier était installé dans une pièce donnant impasse Tour-de-Magasin.
Avec le tissage a disparu tout une série de travaux, de manipulations qui s'exerçaient au profit de l'intelligence et du savoir-faire, sans compter les veillées, moyen économique de lumière, qui rapprochait les familles et servait grandement la cause sociale. On peut dire que les villageois sont devenus une clientèle bourgeoise qui va chez le marchand acheter la toile qui ne lui coûte qu'un déboursé. La ménagère revient le panier bourré, presqu'aussi fière que Jeanne d'Arc quand elle disait à ses juges : « Je filais mieux qu'aucune femme de Rouen ». C'était le temps où les reines filaient, et l'on voit au Musée des Souverains, à Paris, le rouet d'une reine, un bijou d'ivoire.
Un bon Malgache, de ceux qui ont campé au-dessous de Valloux, pouvait écrire à sa famille : « Drôle de pays que celui où je campe, on ne sait pas filer, on ne sait pas faire son pain, on ne sais pas tricoter ses bas, on ne sais pas... Chez nous, tout se fait à la maison, on tresse aussi ses paniers, on tisse ses cordes, on moud son grain, on tourne ses vases d'argile, et bien d'autres choses. Alors, qu'est-ce qu'on sait donc faire dans ce petit coin où les pauvres Malgaches sont tenus pour des arriérés. Je n'y comprends plus rien. »
En finissant ce long rouleau du tisserand, contons une petite histoire qui se transmettait dans les sous-sols. Une bonne vieille avait laissé des pelotes à ses héritiers et le tisserand fut chargé de les convertir en toile. Or, quelle surprise ! un nid de pièces d'or se cachait dans une pelote. L'heureux tisserand, en livrant sa toile, fit tomber sur la table, aux yeux ébahis des héritiers, les œufs dorés de ce nid que personne n'aurait pu soupçonner. Et l'on fit ce qu'on fait en Bourgogne.
Voir également : Le tissier - Tisserand : un document rare et souvenirs de tisserands.
Le tissier de laine ou drapier avait une autre matière à traiter et un autre rôle, celui de pourvoir à l'habillement des hommes et des femmes du peuple, et cela indique quelle importance avait cette industrie dans la ville d'Avallon. L'étoffe commune était un composé de laine, de fil de chanvre et de coton ; elle s'appelait « bouëge ou droguet » et, dans l'Auxerrois, « serge et poulangis ». Quelle épaisseur et quelle solidité avait ce drap ! Il fallait plusieurs générations pour en voir la fin. C'était bien une industrie locale, car la matière première venait de tout l'Avallonnais et semblait inépuisable. Rien que sur la commune de Guillon paissaient 1 800 moutons qui fournissaient une laine courte, mais robuste.
Le travail nécessitait un nombreux personnel et de multiples préparations. Du berger et du tondeur de brebis, la laine passait au cardeur, à la fileuse, au teinturier, au tissier, au dégraisseur, au foulonnier. Il y avait trois foulons et l'argile à dégraisser se prenait à Champien. On travaillait encore il y a cinquante ans, et jusqu'en 1894, deux filatures, au Pont-Claireau, fournissaient au paysan la laine tissé pour la laine brute. Les « cardeux », comme on les appelait, avaient leur mot jovial, montrant leurs habits grasseux, ils disaient : « Si nous ne mourrons pas riches, nous mourrons gras ». Et tout a disparu ; il faut aller au Trocadéro, à la galerie des provinces, pour voir ces vieilles étoffes du Morvan dans le groupe bourguignon des paysans et paysannes en cire, en habits de droguet, que le peintre Guillon, de Vézelay, a pu à temps reconstituer.
Il y avait deux filatures montées sur le Cousain et une très ancienne filature à cardes mues soit à la main, soit au manège, qui était située Grande-Rue, n° 82.
Là se bornera la note sur le tissier, que de vieux Avallonnais ont connu, et il en sera de même pour tous les métiers. Le rapporteur, qui a vu et entendu le dernier tisserand, a pu s'étendre avec plaisir sur son métier, tandis qu'il tiendra de ses amis tout ce que le monde ouvrier a connu de prospérité et de décadence.
A côté du potier qui faisait les pots de fleurs, les godets pour illumination et de la grosse poterie, dont la fabrique signalée en 1610 dura peu, nous plaçons le tuilier qui eut des temps prospères. Les bâtiments de la dernière tuilerie des Chaumes sont encore debout et l'on a vu travailler le dernier tuilier, M. Roy. C'était un homme aux goûts d'artiste ; il moulait des statues avec sa terre et l'on peut voir au musée une Jeanne d'Arc, d'un modèle connu, de bonne facture.
Le géologue sait que l'Yonne, aux terrains si variés, est le pays par excellence des tuileries. En 1858, il existait encore 195 usines, et l'Avallonnais, avec ses argiles du lias, qui s'étendent de Vignes à Asquins, comptait encore une douzaine de tuileries il y a vingt ans : c'était Joux, Lucy-le-Bois, L'lsle, Asquins, Marmeaux, Sauvigny, Saint-Martin-des-Champs, etc. Les Romains, prodigues de leurs grandes tuiles à rebords, n'avaient pas loin à aller pour couvrir leurs 200 villas. Il y aurait un historique à faire sur cette industrie régionale à toutes les époques et qui a disparu complètement.
Avallon fut longtemps à se fournir chez ses voisins pour recouvrir ses maisons et les tours de son enceinte. C'est au XVe siècle que se fait plus grand commerce de tuiles avec les usines de Saint-Jean-les-Bons-Hommes. Mais, en 1600, la ville a sa tuilerie qu'elle loue ; elle est en haut du pavé de Saint-Jacques. Les grands tuiliers se montrent au XVIIIe siècle, quand la ville, en 1779, concède un terrain aux Chaumes pour y « bâtir tuileries, poteries et moulin à vent ». Il s'établit alors quatre tuileries qui eurent une période de grande activité vers 1850, occupant alors une quarantaine d'ouvriers. On cite les noms de Dangeville, Gadret, Taveau, Chevalier, Roy ; une grande tuilerie existait aussi à l'angle de la route et de la rue de l'Hôpital, celle d'Albert Gadret qui, le premier, fit usage du charbon de terre pour la cuisson au lieu de bois ; on sait que le signalement d'une tuilerie c'étaient les piles de bourrées qui aujourd'hui ne trouvent plus leur emploi. Leur résidu donnait la braisette que des charrettes promenaient à l'automne dans des sacs.
Les tuileries d'Avallon et des environs avaient une réputation bien méritée. C'était grâce à l'ancienne cuisson qui s'obtenait par l'entretien des feux de bois pendant trois jours et deux nuits et donnait des produits inaltérables. La cuisson par le charbon de terre, qui économisait les charrois de bois et le temps des feux, donnait des produits inférieurs. La résistance des anciens produits de terre cuite peut se constater dans les deux tuiles que le musée d'art religieux a recueillies d'une maison à mansardes, celle des Seguenot d'Avallon. Les tuiles, de 30 centimètres de longueur, sont gravées, et l'une d'elles porte un Ave Maria d'une fort belle cursive de 1700 ou peut-être de 1600. Le tuilier de l'époque devait être un homme de goût, et dans cette gravure se reflète la dévotion de nos ancêtres qui voulaient voir des signes religieux sur les objets les plus communs.
Et les tuiliers d'Avallon, pouvait-on le penser, ont devancés dans leur chute par ceux de la campagne. Ils avaient cru que le passé répondrait de l'avenir et pouvoir vivre sans crainte avec les vieilles méthodes. Ils avaient, presque sans rien changer, continué à fabriquer tuiles, briques, carreaux et tuyaux de drainage, quand les produits faits d'une argile triée, confectionnée à la machine et d'aspect séduisant, vint leur faire concurrence. Les grandes tuiles de Montchanin ne valaient pas, dit-on, notre petite tuile qui dans sa manière de recouvrement abritait mieux que la nouvelle. Toujours est-il que les six tuileries étaient tenues par autant de familles qui faisaient nombre dans la population qui va toujours diminuant et dont les pertes peuvent être attribuées en partie à la disparition des métiers.
Faut-il inscrire au nombre des disparus ce corps de métier qui comptait, en 1813, 54 tonneliers ; 60, en 1890, et ne compte plus que deux ou trois ouvriers qui ne songent pas à faire d'apprentis. On cite des anciens derniers disparus : Lambert, Martin, Boudin, Tattesauce. Le métier allait même disparaître, quand l'Ecole d'Industrie d'Auxerre établit une section de tonnellerie. Quelle animation dans là ville alors que se préparaient les vendanges ! La musique du maillet sur les tonneaux devenait un vacarme assourdissant. Toute l'année, l'ouvrier s'employait à la bonne tenue des futailles et tonneaux, au soutirage et à la mise en bouteilles ; quelques bons tonneliers fabriquaient la feuillette de 136 litres. De fins ouvriers faisaient même oeuvre de boisseliers et vendaient le boisseau, le broc, le baril.
Ce grand nombre de tonneliers montre quel développement avait acquis le vignoble autour d'Avallon. Toutes les côtes étaient plantées de vignes et tous les bourgeois avaient leur clos sur Annay, Etaules, Vault-de-Lugny, dont Montécherin et Rouvre donnaient des crus renommés. Il y aurait une histoire à écrire sur ce sujet si les vaincus pouvaient raconter leur défaite. Baudoin a donné au Bulletin de la Société d'Études : « Les Vignes de l'Avallonnais du XIIe au XVIIe siècle. » Et nous sommes des vaincus, regardant bien tristes le champ de bataille de nos vignes où dorment encore nos ennemis, ces insectes microscopiques du philloxera qui ont ont fait mentir ce proverbe des anciens : « les gros mangent toujours les petits ».
De là, plus de familles vivant de la culture du vignoble, plus d'ouvriers occupés au logement et au soin de la récolte, plus de commerce, plus de ces maisons bourgeoises qui s'édifiaient de ces revenus de la terre. Adieu ces réjouissances de l'automne, ces plaisirs de la vendange et du pressoir où éclataient les chansons de Bourgogne, ce roulement sans fin des charrettes, cet aménagement de pièces dans les vastes caves, tout ce travail joyeux qui faisait oublier les rudes fatigues et qui était autrement sain et moral que le roulement des autos de plaisir. On peut juger de la richesse d'un vignoble, celui de Vault-de-Lugny, par « l'état de ceux qui ont payé les dimes de vendanges en 1679. » De Chastellux 80 ouvrées, M. de Domecy 50, Filzjean de Dijon 30, Etienne Jordan du Vault 70, Arthault d'Avallon 62, Etienne Mynard à Avallon 57, Pierre Barbe de l'Isle 47, Jacques Mynard 39, Robert Colas 30, Jean Borot 28, Esmée Bertier 27, Henri Raudot 24, Pierre Vallon 24, Anthoyne Mynard 23, Claude de Denesvre 20, Claude Morizot 20, Claude Borot 16, Pierre Normant 16, Guillaume 15, Marie Raudot 10, tous d'Avallon, Anthoyne Minard du Vault, etc., etc. Soit 807 ouvrées des vignes bourgeoises.
Ces temps du tonnelier rappellent le métier du ce cerclier qui pouvait être l'ouvrage du tonnelier. Mais les cercles venaient surtout de Sauvigny-le-Bois, les osiers étant fournis par l'Isle. D'un autre côté, les chariots des Comtois amenaient les douves des cuves en sapin que les tonneliers montaient sur cercles de bois. On pourrait ajouter que la tonnellerie trouva longtemps du travail dans la fabrication des tonnes à ciment pour l'usine de Vassy. Et que dire de cette industrie qui prenait naissance dans les bois où le fendeur préparait le merrain et les échalas ou paisseaux ? C'est tout un monde qui s'agitait autour du sarment et de sa grappe vermeille ou dorée, ce don de Dieu que reconnut le premier le patriarche Noë. On dit qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil ; n'est-ce pas un fait étrange que le soleil de Bourgogne ne mûrisse plus nos plants savoureux et que ce soit le soleil du Midi qui nous donne ces vins colorés, non pour nous faire oublier le jus de nos treilles, mais pour nous secourir dans notre détresse.
Il y a des métiers qui autrefois, quoique assez semblables, s'exerçaient séparément et qui dans la suite, faute de travail, se sont réunis. Cela peut s'appliquer au tourneur et au chaisier : le tourneur a, disparu le premier ; il est devenu chaisier sans pouvoir se maintenir.
Quel joli métier faisait le tourneur qui dessinait sur le rouleau de bois une série de courbes gracieuses où l'art n'était pas étranger. Tout se faisait par ses mains : les pieds de chaises, de tables, de supports, les balustres de balcons, de rampes, d'escalier, les chandeliers des églises et des maisons, le rouet des fileuses, etc. Le fabricant de chaises, l'ébéniste, s'adressaient jadis au tourneur. Avallon avait alors ce spécialiste qui fournissait tout le monde. En 1813, on indique deux tourneurs, et le dernier tourneur-chaisier est Bailly, et en 1889, il en existe encore seize dans l'Avallonnais quoique son métier soit plutôt de fabriquer des chaises, il garde son titre officiel primitif de tourneur. Le tour, de pratique facile, avait aussi ses amateurs dans toutes les classes ; c'était un passe-temps agréable et qu'on pourrait joindre au découpage qui eut quelque temps une grande vogue.
La tricoteuse ne diffère pas du bonnetier pour le genre d'ouvrage, mais elle travaille de ses mains avec ses longues aiguilles et se borne à faire les bas et les gants. C'est un métier vieux comme le monde et à la portée de tous, qui pourtant est entrain de disparaître. Combien de femmes d'ouvriers qui, le ménage fait, tricotaient les objets communs, et ainsi de pauvres veuves, de vieilles demoiselles s'aidaient à vivre avec leurs aiguilles. La tricoteuse est devenue de plus en plus rare, le travail du tricot ayant fait place jusque dans les familles modestes et les maisons d'éducation, à la broderie qui annonce le luxe. On raconte que durant la grande guerre, quand fut tabli le tricot du soldat, les dames empressées de faire des paquetages de bas, de gants, de caleçons, se regardèrent tout-à-coup, se voyant ignorantes de l'art de tresser des mailles. Il fallut recourir à d'anciennes tricoteuses pour réapprendre à manier les grandes aiguilles.
Il y a maintenant à Avallon deux bonneteries qui fabriquent en grand certains articles, et, depuis la guerre, le tricot se pratique dans les familles, où l'on fait tout le costume de dame et d'enfant, y compris le bonnet. La tricoteuse est en même temps ravaudeuse, et c'est un talent de réparer solidement et proprement un tricot usé, de renter le talon et le bout du pied. La bonne ravaudeuse est l'oiseau rare, même dans le Morvan. Nous trouvons là encore, dans le langage, un mot du métier disparu : on dit arpenter d'une marche à grands pas, et au contraire, tricoter d'une marche à petits pas.
Quel joli métier et tout de propreté avait l'ouvrier qui tissait pour ainsi dire, et cela avec un certain art, la fine baguette d'osier ! C'était un plaisir de le voir de ses doigts donner la forme aux multiples objets adoptés par l'usage : panier, corbeille, banne, billou, hotte, ruche, van, cage à volaille, etc. Le vannier, qui tirait son nom du van, qui occupait une grande place dans la vie agricole, servait tous les états : laboureur, jardinier, boulanger, vendangeur, voyageur et surtout la ménagère. On voit encore aux foires ces différents objets de vannerie, mais ils viennent de loin, ayant passé par L'Isle qui avait autrefois des vanniers ayant leurs champs d'osier sur les bords du Serain. Avallon gardait aussi son vannier rue du Marché, le père Labbé, qui avait fabriqué autrefois, il y a trente ans, et sur la fin s'adonnait aux raccommodages. C'est donc un métier disparu, mais non le commerce de paniers et même de malles de voyage. Comme toutes choses, il s'est transformé : la hotte, la cage à volaille se font en fer, le panier des provisions est devenus le filet. Le vannier ambulant a fait son apparition et il nous a servi une nouvauté : le fauteuil d'osier. Disons que de tout temps, dans les chaumières du Morvan, on savait d'instinct tresser l'osier aux soirées d'hiver.
L'allumeur de réverbères, type très pittoresque, surtout le dernier, le père Thévenot, qu'on voyait le jour avec sa boîte de fer blanc allant faire le nettoyage de la lampe à huile et le soir courant l'allumer par toute la ville. Il a disparu à l'installation du gaz, en 1869. On voit au petit musée d'art une photographie de la Tour, où se balance un réverbère.
Le brandevinier est à peu près disparu ; le dernier, qui était pressureur en même temps, se nommait Baulot, victime de la ruine du vignoble.
Le chamoiseur, qui préparait les peaux des petits animaux, mais sans les naturaliser ou les empailler, comme on dit, avait un nom connu, c'était Mynard, rue de Lyon. Il en reste un dernier, Græbelé, qui s'est fixé aux Cousains. A une époque pas encore trop lointaine, beaucoup d'amateurs naturalisaient les oiseaux, les chats, etc. Il s'en trouverait bien quelques-uns.
Le coutelier, qui était surtout repasseur et marchand, a fabriqué les couteaux de cuisine, les couperets, les serpettes, les forces ; on a connu les derniers : Lescur, Baudier, Morizot.
Les culottières et les giletières étaient les concurrentes des tailleurs. Elles n'ont point disparu complètement et sont devenues ouvrières en robe.
Le foulonnier a suivi la décadence des étoffes de laine, bouège et droguet, dont le gros tissu avait besoin d'être foulé. Il y avait un foulon, dit le Grand-Gally, et un autre, le Petit-Gally, aux Châtelaines, qui devint une filature de laine avec teinturerie, et plus tard une filature d'amiante.
Le four à chaux se voyait partout dans la campagne calcaire. Avallon même avait celui des Chaumes et surtout celui de la route de Paris appartenant à Lepère et Tassin, dont la maison a conservé le nom. Tous ont cessé : la chaux pour les terres et pour la maçonnerie n'ayant plus son emploi.
Le fripier, ils étaient quatre en 1813, dont on n'a connu que la dame Carougeat, qui achetait les vieux habits, les remettait en état et les revendait. Ceux qu'on appelle aujourd'hui des chiffonniers ne font qu'acheter pour les livrer aux machines à dépecer.
Le graveur et doreur sur cadres, M. Millot.
L'huilier, qui se fait rare dans les campagnes, avait encore, il y a soixante ans, son huilerie rue de l'Hôpital et se nommait Thibaut ; un autre travaillait à la maison des Nids. La disparition des chènevières, la ruine des noyers, l'abandon de la navette en partie, ont fait disparaître les moulins qui se composaient d'une auge circulaire où passait une meule verticale mue par un cheval.
Les lavandières aux cendres, qui travaillaient à la journée chez le client, ou coulaient chez elles, ne se trouvent plus en ville. La lessive aux cendres demandait une pratique pour faire une bonne coulée dans le cuvier, aujourd'hui mis de côté. Cette méthode patiente conservait le linge et donnait le lessu, vrai savon à détacher les étoffes. Aujourd'hui, les ménages font leur lessive, ou plutôt elle se fait elle-même dans la lessiveuse mécanique où le « cristau », carbonate de soude, remplace les cendres.
Le lunetier, Simonneau, qui faisait les montures.
La porteuse d'eau, qui faisait un bien petit métier, représente le mieux les usages de l'ancienne ville. A Avallon comme à Paris, mais plus longtemps, les ménages ont dû se faire apporter l'eau potable. Le Grand-Puits et les autres étaient insuffisants et peu sûrs ; aussi des femmes venaient puiser aux fontaines Beurdelaine et de la Morlande. Cette eau limpide, qui valait l'eau d'Evian, disait un vieux médecin, faisait l'objet d'un commerce. Le métier cessa en 1848, à l'arrivée des eaux du rû d'Aillon qui se distribuent par des bornes-fontaines, grâce au député Raudot et à l'ingénieur Belgrand. Les porteuses d'eau se rencontraient avec les porteuses de lait qui, par exemple, au nombre d'une douzaine, venaient à pied de Pontaubert.
C'était le temps où chaque ménage devait entretenir la propreté de la rue. Deux fois par semaine, l'agent de la ville, logé à la tour d'horloge, parcourait les rues d'un pas cadencé, balançant sa clochette. Les enfants le suivaient et traduisaient le tintement à la façon bourguignonne : « balaye, sa...pe devant ta porte ».
Les tailleurs d'habits à façon, qui travaillaient aussi à la journée pour leurs clients. Ils existaient à la ville et à la campagne, habillant les mariés et leurs invités. Les derniers viennent de disparaître, rue Basse-du-Rempart, qui accroupis de journée sur l'établi, ne travaillaient plus que pour un magasin de confection.
Le tripier. C'était un métier en faveur auprès des gourmets, et il en était cinq en 1813 ; on en trouve deux en 1901. Alors il travaillait chez lui et vendait sur la place. Aujourd'hui, l'échaudoir est à l'abattoir et la marchandise va aux bouchers.
Le vidangeur, celui opérait à la tinette, ne se montre plus. C'était, un ouvrier nocturne, d'un costume à part, d'un travail asphyxiant des plus pénibles et pourtant le garant de l'hygiène et le producteur d'une matière fertilisante (la poudrette). Il est monté en grade, gràce à la physique, qui lui donne un moyen propre et sans odeur, d'extraire des fosses les résidus. Soupault, le dernier, laissa la tinette pour la pompe, d'abord mue à bras. Décourtil était aussi de ce temps.
Alors que les routes se faisaient lentement, Avallon a vu passer quantité de petits métiers qui après avoir tenu la campagne s'installaient dans la ville plus, ou moins longtemps. Ils lui donnaient encore sa physionomie de la vie de province qui a disparu. Ces petites gens, qu'on appellera des ambulants, n'avaient pas l'air de courir après la fortune et l'on s'en trouvait bien de les avoir sous la main pour certaines besognes.
Le colporteur,
qui se dit de tout marchand qui porte sur son dos sa marchandise, était surtout le nom donné aux Francs-Comtois qui venaient vendre des étoffes, la balle sur l'épaule. Ce genre de commerce a cessé avec le transport par chemin de fer ; des maisons de commerce ont été fondées par eux.
D'autres petits colporteurs vendaient des livres, des images, des statuettes de plâtre, des rouleaux de thé des Alpes, des almanachs, etc. Eux seuls ont survécu, mais demain auront disparu.
L'étameur
a son atelier à Avallon, mais l'ambulant, qui parcourt la campagne, se montre aussi en ville où le travail ne lui manque pas, parceque la femme visite les maisons et reporte les ustensiles. On le voit avec sa grande roulotte dans les villages, à la veille de la fête patronale. Il a été le dernier potier d'étain, car il fondait encore, il y a cinquante ans, les cuillers et fourchettes des petits ménages.
Le fabricant d'allumettes,
le sac sur le dos bourré de petits paquets, n'hésitait pas à parcourir la ville, l'oeil au guet. Il avait préparé sa marchandise dans une grotte au loin des maisons. Ses bonnes allumettes remplaçaient les chènevottes soufrées du paysan. La police surprenait parfois ce , contrebandier qu'elle amenait au tribunal. On cite ce mot de l'un d'eux pour sa défense : « Il faut bien que les gens pressés aient mes allumettes pour allumer celles de la régie. »
Le limeur de scie
n'est plus connu, c'était surtout un compagnon charpentier à la morte saison. Il est remplacé par des gens de métier.
Le raccommodeur de parapluie,
qui autrefois était un ambulant, a sa clientèle en ville et sa maison ; il, vend le neuf et raccommode le vieux. D'autres, cependant, ne font que passer et trouvent toujours de l'ouvrage en visitant les maisons.
Le recoleur de porcelaine,
faïence, qui s'annonce par un sifflet, réunit par des attaches au fil de fer les morceaux du vase qui fait son service à la cuisine ou dans une collection. Il passe assez rarement.
Le ramoneur,
qui éveille dans l'àme du chroniqueur des souvenirs d'enfance, aura sa place ici comme dans le journal où il lui payait ainsi sa dette. « Une figure sympathique lui est apparue au tournant d'une rue. Elle semblait lui dire : « petit bonhomme vit encore ! »
Le remouleur,
ou gagne-petit, va de village en village ; il fait ses affaires là où les voyages à la ville sont rares. Avallon le voit aussi sur ses places, tournant sa meule au pied ou par un moteur. Il a des clients, car on va chercher à la maison et l'on rapporte les outils.
Le savetier,
qui n'avait pas son échope en ville et pouvait se dire tout de même le successeur du savetier des anciennes corporations, passait assez rarement à Avallon. Arrêté sur une place, il travaillait pour tout le monde ; bottes, souliers, savattes, bottines lui redevaient un solide sinon élégant raccommodage. Aujourd'hui, des ménages se font vitrier et savetier.
Le vitrier à la hotte,
qui tenait les villages sans négliger la ville et sans perdre son temps, était l'homme nécessaire à la campagne quand la maison du paysan se pourvut de fenêtres. Mais il fallait le saisir, car on disait de lui : « Encore un carreau de cassé, v'là le vitrier qui passe, encore un carreau de cassé, v'là le vitrier passé. »