Le MorvandiauPat Les communautés taisibles
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Historique des communautés taisibles

Mainmorte :

La mainmorte était l'incapacité pour le serf de transmettre ses biens à cause de mort ; en sorte que ses biens revenaient de droit à son seigneur. On lui laissait seulement la faculté de faire un legs pieux à l'Eglise pour s'assurer une sépulture ecclésiastique.

Moyen d'échapper à la mainmorte :

Pour échapper aux rigueurs de la mainmorte, on imagina un procédé ingénieux, connu sous le nom de société ou communauté taisible. Les membres de la famille formaient entre eux une société de fait, composée du père, de la mère et des enfants, même après leur mariage ; ils vivaient ensemble, sous le même toit, au même pot et pain. De cette façon,quand le père ou la mère mourait,il n'y avait pas lieu à l'exercice de la mainmorte ; la communauté continuant à fonctionner, la part du défunt augmentait celle des survivants. Le seigneur ne pouvait exercer son droit de mainmorte que quand la société était entièrement dissoute.

Cependant, pour que cette combinaison fût admise, il fallait deux conditions :
1° Que les héritiers fussent serfs comme le défunt ;
2° Qu'ils fussent restés tous en société avec lui jusqu'à sa mort ; il suffisait du départ d'un seul pour mettre fin à la société.
Dans la suite, on se montra plus facile pour l'accomplissement de cette deuxième condition. On décida que si la séparation des membres de la communauté avait pour cause un mariage ou l'exercice d'un métier, les membres qui continueraient à rester ensemble conserveraient le droit de succession à eux-mêmes et aux membres séparés.

Communautés :

Ces institutions remontent aux premières époques du moyen âge où les bras manquaient à la culture du sol. Les grands propriétaires et les tenanciers étaient alors également intéressés à conserver dans les mêmes familles l'exploitation des domaines. L'avenir d'une exploitation était peu assuré quand le fermier n'avait qu'un héritier; et, dans ce cas, le domaine pouvait être repris par le propriétaire. Au contraire, cette reprise était interdite quand le fermier laissait plusieurs héritiers, vivant en communauté «au même pot, sel et chanteau de pain».

En 1860, il existe un grand nombre de communautés taisibles sur les confins sud du Morvan, le canton de Luzy (Nièvre) en possède une vingtaine; elles sont beaucoup plus nombreuses dans les cantons d'Issy-L'évêque, Mevres, Goulon-sur-Arroux et autres limitrophes (Saône-et-Loire); la seule petite commune de Cuzy, canton d'Issy-L'évêque, dont 14 domaines composent le territoire, en compte cinq fonctionnant régulièrement, sans autre vinculum juris que la charte traditionnelle de la coutume.

Il est important de connaitre l'origine et la constitution ancienne des communautés taisibles pour apprécier sainement l'étendue de leur fidélité à la coutume, la cause et la puissance de leur vitalité.

Leur origine se trouve dans les Bordelages, particulièrement usités dans le Nivernais. La coutume de la contrée, quoique de franc-alleu admettait néanmoins des mainmortes; et, lorsqu'un seigneur concédait des terres à des laboureurs, quelques améliorations qu'ils y fissent, elles retournaient au seigneur, en cas de mort du concessionnaire, s'il ne laissait pas d'hoir vivant en communauté, et cela aux termes de l'art. 7, chapitre VIII, des servitudes personnelles, qui disposent que:

"Les hommes et les femmes serfs, taillables à volonté, abosmés, questables ou corvéables, sont mainmortables, et, au moyen du droit de mainmorte, s'ils décèdent sans hoirs communs, leur succession compète à leur seigneur."

De cet état de choses il résultait que le seigneur, désireux de s'attacher des serfs, acceptait, de grand coeur, la condition des hoirs vivant en commun, et que ceux-ci avaient intérêt à vivre en communauté bordelière pour se préserver de la réversibilité au seigneur.
Ces communautés, nommées aussi taisibles, parce qu'elles n'avaient pas besoin d'être contractées par écrit, s'établissaient par le seul fait de la cohabitation en commun, pendant un an et un jour, des membres d'une même famille, vivant au même pot, sel et chanteau de pain.


Guy Coquille

Guy Coquille, par le sculpteur Louis Rochet
Tour de l'horloge de Decize (Nièvre, France)

Le bordelage

le Duc de Nevers, suivant le conseil de son Procureur général, Guy Coquille de Romenay; et par arrêt du Conseil du 16 août 1577, le droit de bordelage, interdit pour l'avenir, fut converti pour le passé en une simple redevance à titre d'indemnité.

Guy Coquille Sieur de Romenay

Né en 1523, mort en 1603, à l'âge de quatre-vingts ans, il a vu dans cette longue période se dérouler devant lui les événements les plus graves, ceux qui ont le plus influé sur les destinées modernes de la France et de l'Europe.
Avocat au Parlement de Paris, auteur de savants écrits sur le droit public et sur le droit privé, initié à la politique par sa qualité de Député aux Etats généraux d'Orléans et de Blois.

Bordelage

Guy Coquille, dans les 52e et 58e questions sur les coutumes, le décrit ainsi :

"Bordelage est dit de borde qui, en ancien langage français, signifie un domaine ou tènement es champs, que les Latins disent fundus; et le mot borde, originairement en diction tudesque et germaine, signifie une terre ou domaine chargé de revenu de fruicts. Ainsi, d'ancienneté, bordelage se disait quand aucun seigneur avait un domaine ès champs, et le bâillait à un laboureur pour luy et les siens, à la charge d'en payer tous les ans une certaine prestation de redevance qui, à cette raison, a été appelée bordelage; aussi, nous voyons que dans la coustume, au chapitre des bordelages, art. 3, il est dit que cette redevance consiste en trois choses : deniers, grain et plume, c'est-à-dire, poule ou oie, ou des trois les deux; qui montre que cette redevance se paye à cause du mesnagement, qui se fait es champs, à labourer et à semer terres et à nourriture de volailles."

"Selon l'ancien établissement du ménage des champs, en ce pays de Nivernois, lequel ménage des champs est le vrai siège et origine des bordelages, plusieurs personnes doivent être assemblées en une famille pour démener ce ménage, qui est fort labourieux, et consiste en plusieurs fonctions en ce pays, qui de soi est de culture malaisée : les uns servans pour labourer et pour toucher les bœufs , animaux tardifs, et communément faut que les charrues soient tirées de six bœufs ; les autres pour mener les vaches et les jumens en champ , les autres pour mener les brebis et moutons , les autres pour conduire les porcs. Ces familles ainsi composées de plusieurs personnes, qui toutes sont employées chacune selon son âge, sexe et moyens, sont régies par un seul, qui se nomme Maître de communauté, esleu (élu) à cette charge par les autres, lequel commande à tous les autres, va aux affaires qui se présentent ès villes ou ès foyres (foires), et ailleurs ; a pouvoir d'obliger ses parsonniers en choses mobilières qui concernent le fait de la communauté, et lui seul est nommé ès rôles des tailles et subsides. Par ces argumens se peut cognoître que ces communautez sont vraies familles et collége qui, par considération de l'intellect, sont comme un corps, composé de plusieurs membres ; combien que les membres soient séparez l'un de l'autre ; mais par fraternité, amitié et liaison économique font un seul corps."

De par le droit coutumier, le serf était inapte à recueillir la succession de ses parents, à moins qu'il n'eût vécu avec eux en communauté ; il avait, comme on le voit, tout intérêt à ne pas se séparer de sa famille afin que les biens acquis restâssent dans cette même famille ; l'intérêt bien entendu, le désir de posséder, voilà pour le serf la raison de la communauté.
Pour le seigneur, il avait aussi avantage à laisser sa terre dans les mêmes mains il était sûr de sa bonne administration et de son amélioration progressive. La prospérité de ses tenanciers était un sûr garant de la possibilité de percevoir les tailles et les redevances seigneuriales : le serf restait d'autant plus taillable à merci qu'il était plus riche.
Aucune entrave de la part du seigneur pour l'établissement de la communauté : pas de contrat écrit ; du seul fait d'habiter en commun pendant un an et un jour et « de vivre au même pot, sel et chanteau de pain » constituait, pour les membres de la même famille, présomption de communauté (Guy-Coquille).


Le terrier

Le terrier est la description des lois et usages, droits et revenus d'une seigneurie.

La confection des terriers apparaît au début du 14ème siècle. A partir de la fin du 16ème siècle, les seigneurs, soucieux d'une meilleure gestion de leurs terres, demandent à des professionnels de procéder à leur réfection.
Par la suite, les terriers font l'objet de renouvellements périodiques, en général tous les trente ans, afin de les tenir à jour et d'éviter la prescription.
Les paysans louent, exploitent les terres du domaine du seigneur sur la base de différents accords passés avec celui-ci. En contre partie, ils lui doivent un revenu, des services.
Lors de la confection d'un terrier, ces personnes s'engagent à montrer à leur seigneur ces "contrats" ou toute autre pièce justifiant de leur relation avec la terre qu'ils utilisent. La présentation de tous ces titres permet alors de déterminer les éléments suivants :

    Les limites de différentes parcelles de terre dans le domaine.
    La correspondance entre ces parcelles et leurs occupants.
    La nature et l'origine des liens contractuels entre les occupants et le seigneur.
Le terrier a une authenticité juridique car il est fait avec le concours du notaire qui collecte et enregistre les pièces données par les usagers.
Il a un caractère contractuel car ceux-ci doivent montrer tous les documents nécessaires à la confection du terrier sous peine de perdre leur droit.

Communauté Panné-Garreau

Notes pour servir à l'histoire de la Commune de Vandenesse (Nièvre) 1874 - Victor Gueneau (1835-1919)

Par-devant les notaires royaux résidants à Moulins-Engilbert soussignés, commis à la confection des terriers du marquisat de Vendenesse, baronnie d'Anizy, seigneurie de Nourry, Arcilly..., ont comparu Philibert Panné dit Garreau, laboureur, maître chef de la communauté ; Pierre Panné, manoeuvre; Sébastien Panné, aussi manoeuvre, et Antoine Rémon, laboureur, mary exerçant les actions de Jacquette Courson, sa femme, demeurant au village des Pannés, en celuy de Çorcelles et en celuy de Villars, paroisse de Préporché, lesquels, de leurs grez et volontés solidairement et indivisément l'un pour l'autre, l'un d'eux seul pour le tout..., ont reconnu et confessé tenir et porter à titre et nature de bourdelage portant profits, reversion. de hault et puissant seigneur messire Louis-Thomas du Bois de Fiennes,... à sçavoir un quartier de bois d'haute futaye situé et assis su finage de la Chétive, paroisse de Préporché, appelé le bois d'Arcy, contenant vingt-six boisselées ou environ, tenant du midy au chemin allant du village des Pannés à Morillon, du couchant au bois des Chaluas, du sieur Duclerroy, du septentrion au grand champ du domaine de la Proye, dudit sieur Duclerroy, et à la rue du Maupart, allant dudit bois au village de la Proye... A tenir, jouir et posséder lesdits bois sous l'annuel et perpétuel bourdelage de 15 sols 6 deniers, un boisseau avoine, mesure de Moulins-Engilbert, et une géline de pur et loyal bourdelage. payer, chacun an à chacun jour et fête saint Estienne, lendemain de Noël, rendu conduit ail château d'Anizy... lequel droit a été reconnu au profil de Philippe Bureau, vivant escuyer, seigneur de Chevannes-Bureau, par-devant Daizy, notaire royal, le 30e juillet 1583, par André Panné, prédécesseur des reconnaissants ; laquelle redevance appartient au seigneur marquis de Leuville, à cause de l'acquisition par décret faite pour deffunt messire Louis du Bois, marquis de Givry, lieutenant-général des armées du roy, son père, au bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier, en avril 1673, de ladite baronnie d'Annizy el Chevannes-Bureau, et a été depuis reconnu au profil dudit marquis de Givry par Toussaint Panné, le 3 janvier 1680...
Fait à Moulins-Engilbert, avant midy, le 20e jour du mois de mars 1717.

Plus, le dit Philibert Panné, tant pour lui que pour ses communs personniers, a reconnu el confessé tenir et portera titre et nature de bourdelage... dudit seigneur, marquis de Leuville.. une place de mazure située et assise au finage de la Chétive, paroisse de Préporché, l'ouche des Cours, le Praillon, le pré des Cours, l'ouche Bernard, l'ouche Gauthé, l'ouche Jannette, les Vernois, l'ouche du Peulot, l'ouche Bruauldot, le bois des Chaintres, de haulte futaye, le champ des Charmes, le droit d'usage au bois d'Arcy pour y prendre bois mort et mort bois seulement. sous l'annuel et perpétuel bourdelage de cent dix sols, un boisseau et demy-rez avoine, mesure de Moulins-Engilbert, et une géline... payables au château d'Anizy chacun an chacun jour saint Estienne, lendemain de Noël.

Plus ledit reconnaissant a reconnu, confesse tenir et porter à titre et nature de bourdelage... dudit seigneur marquis de Leuvillé... le champ des solins (aujourd'hui les Soulins), situé et assis au finage des Pannés, le champ Rougier, le bois Guyot, à présent en terre labourable, le champ du Traye, le champ du Crot-des-Vernes, le champ du Boullé, l'haste Rouquain, l'ouche Devant... sous l'annuel et perpétuel bourdelage de 25 sols deux rez avoine, mesure de Moulins, et deux gélines,.. rendu et conduit au château d'Anizy...
23e mars 1717. Guillier, notaire.

Au hameau des Garriaux ou Garriots, il existait naguère une communauté nombreuse, qui vient de se dissoudre. C'était la dernière de toutes celles qu'on remarquait autrefois en Morvand. Cette division a laissé la plupart des parsonniers dans la détresse. Leur misère, triste et silencieuse, dit M. Dupin, contrastait avec la bruyante gaieté de Jault.
Lazare Magnien, dit Michot, l'un d'eux, comme un porte drapeau de la vieille garde, a emporté et conserve, en manière de trophée, dans sa nouvelle demeure, à Préporché, le pot ou marmite en fonte qui servait pour toute la famille.
Jacques-François Baudiau (1809-1880)

Pour en savoir plus sur :
La Communauté taisible des Panné-Garreau ou "comment il y en eut pour tous les Garriaux !"

Une communauté familiale avant la Révolution : Les Panné-Garreau de Préporché (Nièvre)

Une communauté familiale avant la Révolution : Les Panné-Garreau de Préporché (Nièvre)

Administration des communautés taisibles

Guy Coquille - "Le feu, dit-il, c'est la marque d'un ménage et famille ès villages; car en chacune famille et communauté, quoiqu'ils soient plusieurs mariés, tous n'ont qu'un foyer où s'appreste à manger pour tous, auprès duquel les femmes accouchent de leurs enfants; et n'y a cheminées ès chambrés particulières de chacun marié... aussi la vulgaire usance en ce païs est, quand quelqu'un veut changer de domicile, il éteint son feu, en présence de personnes publiques au lieu qu'il délaisse, et va l'allumer en son nouveau domicile."

* * * * *

Le personnel de toute communauté est variable suivant l'importance du domaine exploité; dans un domaine de 100 à 140 hectares, le personnel est de vingt à trente individus des deux sexes et de tout âge.

A chaque vacance du maître et de la maîtresse, le remplacement se fait à l'élection.

La maîtrise ne confère aucun avantage pécuniaire. Le maître et la maîtresse ne peuvent jamais être mari et femme, c'est la règle; cette prohibition ne résulte pas du droit coutumier, mais d'un usage traditionnel; toutefois, lorsqu'une communauté est devenue trop nombreuse et qu'elle essaime, un père et une mère ayant des enfants forts se détachent de la communauté principale et ils deviennent, dans ce cas, maître et maîtresse de droit du nouvel essaim qu'ils conduisent dans un autre endroit, où ils forment souche à leur tour.

Une fois l'élection faite, le nouvel élu demande l'investiture au propriétaire du domaine (jadis seigneur bordelier) qui a son veto; s'il le prononce, l'élection recommence; s'il ratifie, ce qui a lieu toujours, il donne l'accolade, c'est l'acceptation.

A moins d'incapacité notoire ou de minorité, les suffrages appellent à la maîtrise, par ordre de primogéniture, les fils du maître décédé, et même, tant est grand le respect pour l'aînesse, la minorité n'est pas toujours un obstacle à la maîtrise - Ainsi, il y a quelques années, un jeune garçon de 18 ans fut, dans la commune de Millay (canton de Luzy), élu chef de la communauté; il la gouverna et la gouverne encore avec tant d'intelligence que les affaires, mauvaises lors de son entrée en fonctions, sont aujourd'hui dans un état prospère. La maîtrise ainsi dévolue a la double consécration de la primogéniture et de l'élection; la primogéniture ne donne pas un droit absolu, elle n'est qu'une désignation traditionnelle et spéciale qui peut être ou ne pas être ratifiée par l'élection.

Le maître élu commande à tous, lui seul est connu à l'extérieur, c'est avec lui qu'on traite, et il oblige ses communs; dans les cas graves, il demande leur avis; il est entouré d'un grand respect, nul ne le contredit et, pourtant, ils sont tous égaux, tous soumis aux mêmes travaux, au même costume, au même régime et ont même bénéfice. - Un étranger vient-il à la communauté traiter d'une affaire? nul ne parle que le maître, et, lors même qu'il ferait une opération onéreuse, aucune observation ne lui serait adressée. il est le maître!. Une soumission pareille semble d'autant plus étrange - de nos jours - que le maître, pour faire respecter son autorité, n'a, comme sanction, aucune pénalité à imposer.

Cette classe de paysans est infiniment stable, laborieuse, morale et humble, quoique généralement aisée on peut considérer, dans un domaine, comme immeuble par destination, la famille réunie en communauté taisible.

La vie de cette classe est intimement liée à la constitution du sol et aux conditions primordiales de la vie matérielle défiante à l'endroit des idées nouvelles, elle a conservé fidèlement les traditions nationales, religieuses et de famille; la communauté a sa racine dans le droit coutumier, elle a traversé trois révolutions qui ont profondément modifié l'état social; par ces commotions ont été emportées presque partout les communautés agricoles, mais, dans ce coin de la France, elles n'ont presque pas été effleurées à quoi tient une telle longévité ?

Elle tient à trois causes :

La première, à leur situation topographique; placées au milieu des montagnes, loin des routes et des centres industriels, elles ont été fort peu en contact avec les idées nouvelles.
La seconde, à l'excellence de l'association pour les travaux agricoles.
La troisième, à la sagesse et à la moralité de certains usages coutumiers parfaitement appropriés à la vie des champs.

En effet, tant au point de vue matériel qu'au point de vue moral, la communauté offre, par le travail, à ses membres, dans les divers âges et les diverses circonstances de la vie, toutes les garanties de bonheur et de sécurité désirables ici-bas, ainsi :

L'homme valide y trouve, en tout temps, un travail approprié à ses forces; s'il est malade, on lui prodigue des soins affectueux et désintéressés, et, de plu on travaille pour lui sa part dans les bénéfices prospère avec celle des autres travailleurs. Et s'il meurt, il meurt sans inquiétude sur l'avenir de sa femme et de ses enfants; sa veuve a le choix, ou de rentrer dans la communauté qu'elle a quittée, c'est-à-dire, chez ses propres parents ce qui ne lui serait pas permis comme femme mariée ou de rester dans la communauté dont son mari était parsonnier; et là, elle est partagée et respectée; elle y forme, en travaillant, son pécule personnel et, lorsque l'âge et les infirmités la rendent impropre au travail, elle devient reposante elle est nourrie, soignée gratuitement, mais elle n'a plus droit au pécule.

Les orphelins, eux, sont les enfants de la communauté, leur père n'est pas mort, il est, par une bienveillante fiction, simplement endormi, ils continuent la tête de leur père; leur carrière est toute tracée, ils s'initient au travail, ils ont sous les yeux - parlant à leur esprit, plus vivement que par parole - des exemples pratiques d'ordre, d'économie, d'honnêteté, de bienfaisance et d'amour de Dieu.

Le vieillard y rencontre le repos qu'il a gagné, et les vieilles années sont entourées de déférence et de respect. De cette façon, en temps prospère, la communauté est une source de bonheur et, dans l'adversité, elle devient un asile.

Toutes ces communautés sont très-jalouses de transmettre intacte à la génération qui vient la réputation de probité qu'elles ont reçue de leurs ancêtres; les membres s'en tiennent tous solidaires, et leur moi individuel s'efface devant le moi collectif de la communauté.


Le maître - Une légende

II existe sur le pouvoir du maître une singulière légende.

Un jour, un chien de communauté (il ne s'agit pas, on le voit, ni des Jault, ni spécialement d'aucune autre communauté) devint enragé ; c'était un gros et bon chien, fort intelligent, qui, depuis douze ans rendait les meilleurs services ; tout le monde le flattait et l'aimait. On fut grandement chagrin et nul n'osait l'approcher.
Mais le maître, seul, s'en approcha, le caressa et le fit entrer dans un toit et dit : "Qu'on lui donne à boire et à manger et demain nous verrons."
Et le lendemain, le chien n'avait ni bu ni mangé; le poil hérissé, l'écume à la gueule, il avait mordu et brisé les crèches et tous les bois de l'écurie. Tous les parsonniers avaient tellement peur qu'ils n'osaient même pas le regarder par la lucarne de l'écurie.
Mais le maître, seul encore, entra dans le toit, lui mit une chaîne au cou et l'emmena, docile et rampant, dans la cour, et l'attacha aux raies d'une voiture; puis, appelant un domestique, il dit : "J'ai trop de chagrin, je m'éloigne, je ne reviendrai que ce soir; pendant mon absence, tu tireras deux coups de fusil sur notre pauvre chien et tu l'enfouiras profondément en terre." Et le maître s'éloigna.
Le chien, de plus en plus furieux, mordait la chaîne de fer et la voiture. Et quand le maître revint le soir, il dit au domestique : "As-tu fait ce que je t'ai dit? - Oui, notre maître, - C'est bien! que personne jamais ne parle plus du chien dans la communauté, mais que chacun y pense."

Cette légende, contée aux veillées, impressionnait vivement grands et petits ; la mystérieuse puissance du maître s'imposait; qui donc, parmi les parsonniers, aurait résisté à la parole du maître, lorsqu'un chien enragé même lui obéissait ?


Le développement corporel de la population

Conscrits 1850 - Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVEFT4-QB-370(130)
Conscrits 1850
Bibliothèque nationale de France
département Estampes et photographie

Lorsque, il y a quelques années, le gouvernement appelait sous les drapeaux 140 000 hommes, les cantons ne pouvaient compléter leur contingent, en raison des nombreuses réformes par défaut de taille ou par faiblesse de constitution.
Des médecins militaires ont prétendu qu'il fallait en chercher la cause dans la mauvaise alimentation; l'un d'eux disait : "Quand on veut donner de la taille à un cheval, on lui fait manger de l'avoine; quand on veut donner de la taille à un homme on lui fait manger du froment et boire du vin."
D'autres ont pensé que les mariages entre parents en étaient la seule cause.
D'autres, enfin, l'ont attribuée aux mariages trop précoces selon eux, une fille à peine nubile et un jeune homme de 21 à 22 ans, réformé, ne peuvent donner de bons produits.
En désaccord sur la cause, les médecins s'entendaient parfaitement sur un point, à savoir : c'est que leurs conscrits réformés ne feraient jamais des hommes.
En présence d'opinions différentes, émanées d'hommes compétents, il ne nous appartient pas de décider quelle est la véritable cause; seulement, nous constaterons un fait qui met en défaut leur prophétie.
C'est que les conscrits réformés par défaut de taille la dépassaient dans l'année, et que les réformés par faiblesse de constitution devenaient, en peu de temps, des hommes vigoureux et forts; en outre, l'ensemble de la population est de stature moyenne : généralement les hommes sont trapus, nerveux et robustes, il y a beaucoup de vieillards; de là, on doit inférer, ce semble, que les réformes ne viennent pas de vices natifs de conformation ou d'organisation, mais ne sont dues uniquement qu'à de tardifs développements.


Alimentation des communautés familiales agricoles

"Quand aucunes personnes nobles, ou franches personnes, usans de leurs droits, vivent ensemble à un commun pot, sel et despenze, en meslange de biens par an et jours, ils sont réputez uns et communs en bien meubles et conquests, s'il n'appert du contraire"
Coutumes de Troyes de 1509, titre VI, article 101.

Toutes les coutumes des différentes provinces de France avaient insisté sur ce point précis relatif aux communautés de laboureurs :
les mainmortables ne pouvaient prétendre échapper au droit de mainmorte et hériter de parents non directs que s'ils vivaient non pas seulement ensemble "au même feu" mais aussi "au même pot", partageant le même repas préparé en commun et consommé à la même table : "Serfs et mainmortables ne peuvent tester et ne succèdent les uns aux autres sinon tant qu'ils sont demeurants en commun" - (Loysel, XVIe siècle). Certaines coutumes parleront du même sel, d'autres du même chanteau de pain. Au moment des dissolutions des communautés, bien des personniers ont failli être exclus du partage car ils n'arrivaient pas à prouver cette nourriture commune.

Au début du XIXe siècle, quelques produits étrangers vont être achetés en plus. A Pervy (commune de Cuzy, Saône-et-Loire), au milieu du XIXe siècle, la communauté a acheté en une année 150 kg de sel, 12 kg de sucre, du poivre et de la cannelle. Le sel était utilisé pour assaisonner la cuisine, mais aussi pour conserver la viande de porc. Le miel récolté à la communauté suffisait pour « sucrer » tous les desserts. Le sucre était un médicament qui était utilisé pour les tisanes (la maîtresse de la communauté en avait décidé ainsi car le médecin n'était guère appelé qu'au chevet des agonisants). Toutefois douze kilos de sucre pour « sucrer » les tisanes des malades dans une famille de vingt-cinq personnes, cela semble un peu disproportionné. Effectivement deux kilos seulement étaient affectés à la classification « médicaments », dix kilos étaient utilisés en cuisine car les habitants de Pervy avaient une recette très personnelle pour les jours de fête : le rôti de veau au sucre (rôti saupoudré largement de sucre en fin de cuisson afin de former une croûte caramélisée). C'était le plat des mariages à l'occasion desquels on sacrifiait un veau.
Mais l'abattage d'un veau ne se pratiquait pas couramment. En dehors des veaux sacrifiés pour les mariages, on comptait un veau par an, quatre porcs, quatre moutons, quatre chevreaux, quatre poules seulement (on les remplaçait par roulement), quinze poulets ou chapons, trois canes, six oies. Les porcs fournissaient une quantité impressionnante de lard et graisse : cent quarante-quatre kilos environ. Les autres corps gras consommés étaient l'huile de noix (50 kg) et le beurre en même quantité, ce qui pour une année totalise 244 kg de matières grasses, soit, en tenant compte des mendiants très nombreux, environ neuf kilos par personne et par an.
Les laitages et les oeufs tenaient une place importante : le lait écrémé (imparfaitement, vu la méthode employée, « à l'écumoire ») et le lait non écrémé atteignaient près de deux tonnes et demie (2 445 kg).
Par contre, le poids de fromages consommés paraît faible : 70 kg de fromages de vache et 60 kg de fromages de chèvre. Le lait de chèvre était en outre utilisé pour l'alimentation spéciale des petits enfants.
Beaucoup d'oeufs étaient consommés à Pervy, oeufs de poules et de canes (88 douzaines pesant 35,2 kg, et 12 kg d'oeufs d'oies).
Les haricots n'étaient consommés qu'en grains, les consommer en gousses aurait semblé du gaspillage; c'est pourquoi ils étaient cultivés dans les champs, en bordure d'autres cultures, pommes de terre par exemple. Les pommes de terre viennent en tête de la consommation mais le légume vert favori est le chou (500 kg par an à Pervy pour 30 kg seulement de carottes; haricots en grains : 30 doubles décalitres ou 360 kg et pois secs : 22 doubles décalitres ou 220 kg).
Le chou-rave est très utilisé : 200 kg; la citrouille : 300 kg; et notre époque moderne s'étonne des 50 kg de salade par an pour vingt cinq personnes.
A Pervy, noix et châtaignes représentaient une tonne. Quant aux fruits à pépins et à noyaux, à l'exception des pommes (500 kg), ils sont en quantité infime, toutes proportions gardées : 80 kg de poires, 40 kg de prunes, et 8 kg de fraises, framboises ou groseilles.

Les jours où l'on chauffait le four, la maîtresse en profitait pour confectionner des plats en cuisant au four, tel la citrouille à l'eau, cuite préalablement et mélangée avec du fromage blanc, le tout disposé dans des plats huilés (à l'huile de noix) allant au four. Pour les jours fastes, la tarte à la citrouille était plus recherchée; la citrouille étant découpée la veille de l'emploi en petits cubes que l'on salait et que l'on laissait dégorger toute la nuit. Le lendemain, les petits cubes crus et égouttés étaient mélangés avec du fromage blanc, bien écrasé et cette préparation était disposée sur des croûtes et cuite au four à pain.
C'est encore dans le four à pain, que l'on cuisait les « tartouillas », clafoutis individuels contenus dans une feuille de chou, pâtisserie caractéristique des communautés du sud du Morvan, dans les cantons de Luzy (Nièvre), Mesvres, Toulon-sur-Arroux et Issy-l'Évêque (Saône-et-Loire).

« Le tartouilla est de la famille du clafoutis (pâte claire aux oeufs et à la farine délayée avec du lait, dans laquelle on incorpore des cerises ou des quartiers de fruits variant selon la saison). Mais ce clafoutis présente la particularité d'avoir un récipient individuel et comestible. En effet la pâte est répartie dans des feuilles de chou (une par tartouilla); les feuilles bien lavées, ayant la forme naturelle d'une coupe, peuvent contenir une louche de la préparation. Ces tartouillas cuisent les uns à côté des autres, chavirant un peu au moment de la mise au four, mais acquérant de la stabilité au fur et à mesure de la cuisson.

Les soirs de cuisson de pain, les menus se trouvaient très améliorés par ces pâtisseries rustiques à base de fruits et non sucrées.
Il est évident que les crêpes, par exemple, ne pouvaient être envisagées pour trente personnes, d'autant plus que la cheminée était déjà occupée par le grand pot suspendu à la crémaillère. Aussi, tout en conservant les proportions de la pâte, la cuisson était interprétée différemment. La pâte à crêpes était versée dans plusieurs plats huilés à l'huile de noix (un centimètre d'épaisseur), et une fois cuite au four donnait des « tourtières » qui malgré l'absence de levure présentaient des phénomènes de gonflement inattendus (en particulier sur le pourtour où ces sortes de crêpes géantes débordent et forment des coupes naturelles assez curieuses).

En dehors de cette cuisine au four largement pratiquée (mais le pain ne se cuisait que tous les dix ou douze jours), il n'y avait que ce « pot », symbole de la communauté, suspendu à la crémaillère pivotante, de sorte qu'après cuisson, il était amené au-dessus de la table, toujours suspendu, ce qui facilitait considérablement le service. Dans plus de la moitié des cas, il s'agit d'un foyer central ou cheminée sarrazine placée au milieu de la pièce principale.
On retrouve généralement le « grand pot » dans la descendance du dernier maître.
Ce sont de vastes chaudrons de cuivre jaune, très bosselés et plus ou moins rapiécés. Dans les salles chauffoires des communautés on rencontre aussi parfois une sorte d'auge scellée dans le mur qui était utilisée pour broyer les pommes de terre cuites ou autres denrées avec un pilon de bois.
L'obligation de ce récipient de cuisson unique a donné naissance à des recettes qui tiennent également compte du manque de temps consacré à la cuisine. Les châtaignes par exemple étaient cuites dans la cendre et chacun épluchait sa part. Dans les communautés de la région de Thiers, Vollore (Puy-de-Dôme) aussi bien que celle du Morvan, pays de châtaigniers, les communautés avaient mis au point un plat de choux et châtaignes qui ne demandait pas trop d'épluchage et améliorait tout-de-même le plat de choux classique.
Cela s'appelait le « chou en ragoût ». En dehors de la saison des châtaignes, le chou en ragoût se préparait avec des pommes de terre.

Au fond du grand pot, faire fondre du lard coupé en petits cubes. Ajouter de la farine. Mouiller largement. Faire alterner une couche de chou de cinq centimètres environ, une couche infime de châtaignes, une couche de chou, etc. Assaisonner chaque couche de chou. Laisser cuire très longtempes et mouiller souvent en petite quantité pour éviter que cela attache.


Menus d'une journée

Petit déjeuner à sept heures du matin, déjeûner (qu'on appelait « diner ») vers midi et dîner (qualifié de « souper ») vers sept heures du soir. Avec cet horaire qui était celui des périodes de repos (relatif) ou du moins du temps qui n'était pas celui des grands travaux, était appliqué un régime d'entretien judicieusement réparti.

Deux éléments au petit déjeuner : une soupe aux légumes, au lard ou au lait, ensuite fromage et pain, ou fromage et pommes de terre cuites à l'eau, ou même fruits avec du pain.
Au déjeuner de midi, repas principal, un plat à base de légumes accomodés au lard (pommes de terre, choux ou haricots secs) et un plat à base de farine.
Au dîner (souper), le plat de légumes était remplacé par une solide soupe aux légumes « trempée » avec du pain. Le second plat était constitué par des pâtisseries rustiques.

En période de grands travaux, à la belle saison, les hommes se levant vers trois heures et demie ou quatre heures du matin, le petit déjeuner était avancé d'une heure, le déjeuner également et comme le dîner se trouvait retardé d'une heure, un quatrième repas venait s'intercaler dans l'après-midi, vers quatre heures.
C'est dans cette période que la viande des moutons et du veau tués à la communauté corsait les menus. On buvait alors du vin, récolté sur place évidemment, la boisson courante du reste de l'année étant du cidre fait avec les mauvaises pommes. Toutefois, le vin était bu tous les dimanches de l'année (le vinaigre était fabriqué avec les fruits acides).
La viande n'avait pas toujours figuré à ces menus des grands travaux. Avant la Révolution, on ne mangeait guère que des légumes et des céréales.
L'orge mondée se consommait encore au XIXe siècle. Cheverry signale une consommation de 20 doubles décalitres (240 kg) consacrés à ce seul plat à Pervy. Cuite dans du lait, à l'instar du riz au lait, mais sans sucre, cette orge a donné lieu à des appellations variées (à Pervy, c'était la « pilée »).


Mariage

1608, 8 novembre. - Mariage d'Esme Chaussin, fils de Jacques, laboureur au village du Gain, paroisse de Tazilly, et de Marie de la Fin, avec Benoîte Durand, fille de Gabriel Durand et de Pierrette Digoin de Chauvetière. Benoîte Durand apporte en dot un lit garni, deux robes de drap, deux paires de chausses, une arche fermant à clef, un coffre fermant à clef, une vache, un porc, quatre brebis et la somme de vingt-quatre livres, moyennant quoi elle renonce à tous ses droits dans la communauté et ira faire sa résidence chez son futur époux.

Quadruple contrat de mariage au sein d'une communauté

Curieux quadruple contrat de mariage passé le 16 décembre 1639, en présence du notaire Lardereau, sans doute pour resserrer les liens d'une communauté menacée de se dissoudre, entre François Carré, chef de la communauté, et Jeanne Chaussin, soeur du curé de Tazilly d'alors, veuve de Claude Durand, et deux fils de François avec deux filles de Jeanne Chaussin et de son premier mari, et enfin d'un fils de ladite Jeanne avec une petite fille dudit François, le tout bien entendu avec dispenses convenables venues de Rome. Disons que les familles Carré, Durand et Chaussin ont laissé des descendants qui existent encore à Fléty, Savigny-Poil-Fol, Ternant et Fours.

L'an 1639, le 16 décembre, au lieu de Chauvetière, paroisse de Tazilly, ont été présents en leur personne, François Carré, maître et chef de sa communauté, Jeanne Chaussin, veuve de Claude Durand d'autre part; Blaize Carré, fils de François et son personnier et de Bened Beneditte, aussi dans la communauté dudit François Carré, son frère, et Léonarde Durand, fille de feu Claude et de Jeanne Chaussin.
Pierre Carré, aussi fils de François et Philiberte Durand, fille dudit Claude et de Jeanne Chaussin; Jean Durand, fils de feu Claude et de ladite Chaussin; Gilberte Carré, fille de feu Simon, fils dudit François et son personnier, et de Marie Guain, qui ont promis et promettent de se prendre en légitime mariage devant Dieu et Notre Sainte Mère l'Eglise, à ce consentant et accordant la loi de Rome, savoir:
François Carré et Jeanne Chaussin;
Blaise Carré et Léonarde Durand;
Pierre Carré et Philiberte Durand;
Jean Durand et Gilberte Carré.
Le tout en l'autorité donnée par François Carré et Jeanne Chaussin, père et mère des futurs, et François Carré, grand-père et maître de la communauté. Présents: Léonard Chaussin, prêtre, chanoine de Ternant, curé de Tazilly, frère de Jeanne Chaussin et oncle des Durand; Charles Carré, neveu; Laurent dit Pignelon, cousin; Charles Le Chat, prêtre, desservant du curé de Fléty; Charles Bouton, praticien à Luzy.


Dissolution des communautés taisibles

Le mode de vie en communauté paraît remonter à la plus haute antiquité et le groupement des familles existait depuis très longtemps en Orient (Chine, Japon, Corée, Annam, Birmanie) où l'on trouvait des communautés de 40 personnes.

Lors des dissolutions, avant l'ordonnance de Moulins de février 1566, la cérémonie du chanteau remplaçait toute intervention notariale. Le maître présidait une assemblée de personniers à l'issue de laquelle il partageait un pain ou un gâteau en autant de parts que l'association comptait de membres. Cet acte matériel qui pouvait être attesté par les témoins avait alors une valeur qui paraît aujourd'hui bien désuète.
Dans le cas assez rare des exclusions, l'acte officiel de la séparation s'appelait la « mise hors de pain et pot » et les exclus étaient des « mis hors pain »
« Un parti tout est parti et le chanteau part le vilain » (droit féodal). « Le feu, le sel et le pain partent l'homme morte main », Loysel (XVIe siècle).

En France, où elles se sont constituées bien avant l'époque féodale, il convient de séparer leur existence en trois phases bien distinctes pour mieux expliquer l'échelonnement de leurs dissolutions. Des communautés agricoles familiales ont existé en France à trois époques bien définies: avant l'apparition des coutumes, pendant l'application du droit coutumier et après l'installation du Code civil. Bien peu de sociétés ont connu les trois régimes.
L'ordonnance de février 1566, dite "Ordonnance de Moulins" sur la réforme de la justice, porta un coup fatal aux plus petites d'entre elles.
D'après ce texte, toute association dont les biens avaient une valeur supérieure à cent livres devait passer un contrat écrit devant notaire et témoins.
C'était, apparemment, la fin des communautés taisibles, communautés coutumières, tacites, qu'on appelait taisibles, parce qu'elles se passaient de convention écrite.
A la fin du XVIe siècle beaucoup d'associations sombrèrent en France. Les plus importantes passèrent des contrats écrits et d'autres continuèrent leur association dans la clandestinité, solution très hasardeuse. Dans la région de Paris elles avaient disparu dès avant le XVIe siècle, c'est-à-dire avant la rédaction des Coutumes. En Bourgogne elles étaient encore courantes au XVIIe siècle.
L'"Ordonnance de Moulins" n'ayant pas été appliquée partout, l'autorité royale promulgua deux autres ordonnances pour la fortifier. A la fin du XVIIe siècle, les communautés familiales agricoles avaient à peu près disparu des régions périphériques de la France. Elles subsistèrent jusqu'à la fin du XVIIIe siècle dans une partie du Poitou, du Limousin, du Maine et du Berry.
Toutefois dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on relève beaucoup de partages qui laissent présager les futures dissolutions au sein des grosses communautés du centre de la France. A peu près toutes les communautés encore existantes en 1789 atteignirent le XIXe siècle et ne furent dissoutes qu'après l'apparition du Code civil, la plupart d'entre elles ayant même atteint la Restauration.



La communauté de Pervy en 1860

En 1860, Victor de Cheverry, avocat, rend visite à la communauté de Pervy.
Voici comment vingt-cinq hommes, femmes et enfants vivent "au même pain, pot, et sel" selon des traditions d'une grande pureté remontant à plus de trois cents ans.

Le domaine de Pervy (commune de Cuzy) qu'exploite la famille contient, d'après le cadastre, 114 hectares 70 ares; il se compose de bâtiments d'habitation et d'exploitation, de prés, pacages et terres labourables, d'une petite vigne de 75 ares, et d'un jardin de 15 ares. Le tout est d'un seul tenant; le fermage annuel est de 2 400 fr.

La commune de Cuzy

Cuzy (71) - L'Eglise et la Place

La commune de Cuzy est située aux confins sud du Morvan et appartient aux formations granitiques; elle est distante d'Issy-L'évêque, son chef-lieu de canton, de 10 kilomètres, et de Luzy (Nièvre) de 5 kilomètres. Toute la contrée est mamelonnée, et c'est dans les plis formés par ces nombreux mamelons que semblent s'être cachées des communautés agricoles qui, par leur constitutions, leurs mours, leurs idées, représentent d'intéressantes épaves du temps passé.
C'est là que finissent les montagnes du Morvan et que le Charolais commence.
La température, quoique peu élevée, comporte la culture de la vigne; mais les gelées de printemps, plus sensibles qu'ailleurs, ne permettent pas de la cultiver en grand. Chaque communauté se restreint à sa propre consommation.
Les productions principales sont les bestiaux et les céréales, le seigle, surtout celui de qualité supérieure, est exporté en Bourgogne.
La population de la commune est de 389 habitants groupés en 32 ménages distincts (146 habitants au recensement publié en 2012).
La localité n'offre aucune ressource industrielle; les forges de Gueugnon sont à 18 kilomètres et les usines du Creusot à 28 ; le travail des champs est la seule et constante occupation des habitants de la commune; rien n'y attire les étrangers, et c'est ce qui explique, peut-être, combien les idées nouvelles et même la loi civile actuelle ont exercé peu d'influence sur les mœurs traditionnelles de ces communautés.
Une route départementale, établie depuis une vingtaine d'années, passe sur une des limites de la commune et n'effleure qu'un domaine.
Le pays est salubre; on y compte beaucoup de vieillards; les maladies les plus fréquentes sont occasionnées par des refroidissements; on n'y meurt guère que de fluxions de poitrine.
La commune ne possède pas de biens communaux.


État civil de la famille

Depuis plus de trois siècles, une famille occupe le même domaine; elle a été la souche de plusieurs communautés.
En 1830, une révolution se fit dans son sein; quatre branchées, ayant chacune à sa tête un fils du maître défunt, se séparèrent; la cinquième, sous la maîtrise d'un gendre, resta; elle n'était alors composée que du maître, de sa femme et de sept enfants. Le maître mourut en 1847, son fils aîné lui succéda, et mourut lui-même en 1856.
A cette époque, le personnel s'élevait à 22 individus, mais ne formait que quatre têtes ou parties copartageantes. Le frère puîné, quoique plus jeune, et peut-être moins intelligent que les beaux-frères, fut élu maître.
Voici quelle est aujourd'hui la composition de la communauté :

1. LÉONARD C***, maître de communauté....................................... 42 ans
2. CLAUDINE B***, femme du maître.............................................. 36 ans
3. Jacques C***, premier fils du maître.......................................... 18 ans
4. Jean-Marie C***, second fils du maître........................................ 9 ans
5. Claude C***, troisième fils du maître.......................................... 4 ans
6.
..
ANTOINETTE R***, maîtresse de communauté, veuve d'Antoine C***,
maître précédent, et belle-soeur du maître actuel........................

44 ans
7. Claudine C***, femme d'Emiland R***, et première fille de la maîtresse 24 ans
8. Françoise C***, seconde fille de la maîtresse................................ 20 ans
9. Claude C***, fils de la maîtresse............................................... 9 ans
10. Emiland R***, époux de Claudine C***, et gendre de la maîtresse....... 30 ans
11. Léonie R***, fille d'Emiland R***................................................ 8 ans
12. Antoine R***, fils d'Emiland R***................................................ 2 ans
13. Bernard S***, beau-frère du maître............................................ 53 ans
14. Louise C***, femme de Bernard S***, et soeur du maître.................. 44 ans
15.
...
Jean D***, veuf d'une sour du maître et époux, en secondes noces,
de Marie P***, également veuve................................................

47 ans
16. Marie P***, épouse du précédent............................................... 39 ans
17. Jacques D***, premier fils de Jean D***....................................... 20 ans
18. Françoise D***, première fille de Jean D***.................................. 17 ans
19. Jean D***, second fils de Jean D***............................................ 9 ans
20. Jeanne D***, seconde fille de Jean D***...................................... 7 ans
21.
...
Françoise B***, veuve, mère de la femme du maître
(elle est reposante)..............................................................

65 ans
22. Jean P***, fils du premier lit de Marie P***.................................. 20 ans

En ajoutant deux domestiques mâles et une servante, on a tout le personnel de la communauté, qui s'élève à 25 individus.

A Pervy, bien que le personnel soit de vingt-cinq individus, dont trois domestiques gagés, le fonds social n'appartient en réalité qu'à quatre têtes, dont une dormeuse et trois vives de mâles, car les femmes ne font jamais tête; et tête (caput) signifie part :

La tête vive est la part d'un parsonnier effectif, vivant dans la communauté. Ce parsonnier est-il malade? ses intérêts n'en souffrent pas, on travaille pour lui; de plus, la communauté paye le médecin et les médicaments. Meurt-il? elle paye les obsèques, deux services et un nombre limité de messes; mais, si les plus proches parents veulent commander plus de prières, ils payent sur leur pécule.

La tête dormeuse est la part d'un parsonnier effectif décédé, laissant des enfants dans la communauté.
La tête dort tant que les enfants restent dans la communauté; par fiction, le défunt n'est pas mort, il est seulement endormi, et sa part dans les bénéfices est égale à celle des communs qui vivent et qui travaillent.

Mais la tête meurt du moment que les enfants quittent la communauté, c'est-à-dire que la part devient improductive et, si les enfants quittent à des époques différentes, la tête est endormie pour les uns et morte pour les autres.


Religion et habitudes morales

Angélus

La communauté professe la religion catholique romaine; la ferveur religieuse est aussi grande chez les hommes que chez les femmes. Chaque dimanche, la moitié de la communauté assiste à la messe et l'autre moitié à vêpres; le dimanche suivant, la moitié qui était à vêpres le dimanche précédent assiste à la messe et l'autre à vêpres, et ainsi de suite pour toute l'année; dans les cas exceptionnels, le maître désigne. Les communions sont fréquentes; la communauté n'exige de chaque parsonnier que quatre communions par année, mais ils peuvent remplir leurs devoirs religieux aussi souvent qu'ils le veulent.

Les moeurs sont d'une pureté remarquable; il n'existe pas d'exemple qu'une fille ou une femme ait manqué à ses devoirs; la susceptibilité, à cet égard, est même très grande. Il y a quelques années, deux jeunes filles de la communauté devaient se marier; l'une d'elles n'avait pas l'âge légal, et le maître, par économie, voulait que le double mariage fût célébré le même jour, afin de n'avoir à faire que les frais d'une seule noce. Comme le prétendu de la plus âgée était un excellent sujet, qu'on tenait à lui, et que, de son côté, il redoutait des compétiteurs, on transigea. Il fut convenu qu'on le marierait sans bruit, devant le maire seulement, et qu'aussitôt après la cérémonie il quitterait la localité pour ne reparaître que lorsque la plus jeune fille aurait quinze ans révolus. Trois mois après il revint et la bénédiction nuptiale fut donnée le même jour aux deux couples. Pour les membres de cette communauté, le véritable mariage se contracte devant le prêtre.

L'été, la prière se fait isolément, à l'intérieur de la maison, dans les cours, dans le jardin, dans les champs, là où chacun se trouve lorsque la journée est finie. Mais l'hiver, elle se fait en commun : c'est le maître qui la récite; à son défaut, c'est un ancien.

Feu dans la cheminée - Yvon Letrange
Yvon Letrange - Photographe amateur -
"La photo est pour moi un loisir et une passion,
un moyen de rencontrer du monde, d'élargir mes connaissances."

Voici d'ailleurs comment se passe la veillée d'hiver :

Les membres de la communauté ne sont jamais oisifs : les uns sont occupés à tailler le chanvre, les autres à casser des noix pour faire de l'huile; d'autres à fabriquer des paniers et des corbeilles; d'autres encore, les femmes, à préparer les pailles servant à confectionner les chapeaux de la famille. Plusieurs maisons ont la cheminée placée au milieu de la chambre principale, le chauffoir, de telle sorte que trente-deux personnes se chauffent aisément devant un énorme feu, alimenté par des genêts dont la flamme s'élève à la hauteur du plafond. Les enfants et les vieillards sont assis en avant, les enfants sur de petits bancs et les vieillards dans de grands fauteuils en bois mal raboté, semblables à des chaises curules; on dirait les dieux propices de ce foyer rustique. Soit par déférence des autres membres de la famille, soit que l'âge les rende plus causeurs, les anciens ont le monopole de la parole; ils racontent les légendes, les grandes actions et les grands crimes qu'ils savent par tradition ; ils disent, avec fierté, depuis combien de siècles ils appartiennent à telle famille, et exposent en détail, comme modèle à suivre, l'histoire de leurs ancêtres, toujours intimement liée à celle des divers propriétaires de leur ténement. Cela dure jusqu'à neuf heures. A ce moment, le plus silencieux de tous se lève et dit : "Enfants, la prière!..." C'est le maître qui a parlé... Gens de la tribu et mendiants-vagabonds se mettent à genoux par terre, les coudes appuyés sur les bancs et la tête dans les mains; le maître, recueilli, récite lentement les oraisons; puis, la jeunesse se retire. Toutes les filles vont coucher d'un côté, dans une même chambre; tous les garçons d'un autre côté, dans la pièce qui leur est destinée; les gens mariés et les enfants en bas âge restent dans le chauffoir. Chaque pièce contient cinq à six lits, disposés en cercle de telle sorte que, enfermés dans d'épais rideaux de serge jaune, la tête de l'un touche les pieds de l'autre.

Le matin, la prière se fait isolément, en raison des heures différentes du lever.

Les mendiants-vagabonds ont leur place au foyer et à la table commune; ils restent le temps qu'ils veulent; la communauté pour eux est l'hospitium du Moyen Age, c'est-à-dire le lieu où le voyageur reçoit l'hospitalité. La treizième tourte d'une fournée de pain est dite tourte des pauvres ; c'est la dîme de Dieu. Non pas qu'on les réduise à cette quantité, on leur donne davantage; mais c'est que la pensée du pauvre doit planer sur tous les bienfaits que Dieu envoie à la communauté. Les mendiants-vagabonds sont traités comme les membres de la famille, à une seule différence près : ils ne couchent pas dans la maison, mais dans l'étable à bœufs, où un compartiment leur est réservé. Ils sont très nombreux, surtout depuis que la mendicité a été interdite dans la Nièvre; aujourd'hui les mendiants de ce département refluent sur les territoires voisins. Cuzy (Saône-et-Loire), qui est limitrophe, en est inondé, si bien que la communauté dont nous nous occupons qui, en temps ordinaire, faisait une cuisson de pain tous les douze jours, en fait une maintenant tous les huit ou neuf jours; soit par esprit de charité, soit par crainte de vengeance, la communauté ne refuse jamais.

La borgnesse - Estampe de Jacques Callot - 1622 / 1623

La borgnesse (1622 / 1623)
Estampe de Jacques Callot

A Cuzy il y a trois indigents infirmes. Deux sont abondamment pourvus : les communautés de la commune se concertent, et leur portent à domicile tout ce qui leur est nécessaire. Quant au troisième, qui est une vieille fille aveugle, méchante, couverte d'ulcères et d'infirmités, résultat d'une vie de désordre à Chalon-sur-Saône, elle refuse ces secours et préfère se fixer, pour le temps qui lui plaît dans une communauté; là, elle commande elle exige, se fait bien servir jusqu'à ce que fatiguée de ce séjour, elle demande qu'on la conduise ailleurs; alors, tant elle est répugnante, un enfant saisit un bâton par une extrémité, l'aveugle s'empare de l'autre, et l'enfant la conduit au domaine qu'elle a désigné. Lorsqu'elle a fait le tour de la commune, elle revient au point de départ, et il en sera ainsi jusqu'à sa mort.

On a proposé à la maîtresse de Pervy de faire entrer cette fille à l'hospice de Mâcon et d'en débarrasser la commune :

"Non, a-t elle répondu, si elle venait à mourir loir d'ici, nous en serions peut-être la cause; el puis, le bon Dieu qui nous l'envoie veut montrer à nos enfants jusqu'où peut mener la mauvaise conduite, et nous-mêmes, si nous ne la voyions plus, nous oublierions vite qu'il y a sur cette terre des gens bien affligés."

Ces communautés ne refusent jamais un charroi de bœufs à qui le demande, et, entre elles, elles se prêtent un mutuel appui. Ainsi, par exemple, les propriétaires sont dans l'usage de faire insérer dans les baux une clause ainsi conçue : Le preneur (maître de communauté) fera tous les charrois nécessaires aux réparations des bâtiments et même les constructions et reconstructions que le bailleur jugera convenables, et ce sans rétribution.
Assurément, une clause de ce genre dans certains cas et à certaines époques de l'année serait fort onéreuse pour le preneur ; mais le maître de communauté s'en soucie peu ; il fait avertir les communautés voisines, et, à jour dit, 80 à 100 bœufs et plus, s'il le faut, sont avec voitures et bouviers à sa disposition. Une telle force a vite amené les matériaux nécessaires ; cela ne coûte au maître que la nourriture des bouviers.

Tels sont les exemples que les enfants ont sous les yeux, tel est le milieu presque exclusif dans lequel ils s'élèvent, et là, assurément, est une des causes de la vitalité de ces communautés.


Hygiène, service de santé

La famille se nourrit relativement bien, mais il n'en est pas de même de toutes les communautés, surtout de celles qui commencent à s'organiser et qui sont nécessairement gênées.

Les hommes sont de taille moyenne (1,65 m environ), trapus et robustes; leur développement corporel est lent : souvent la conscription arrive avant qu'ils aient atteint la taille voulue.
Les indispositions et les maladies proviennent presque toutes de la suppression rapide de la transpiration; la fièvre et la fluxion de poitrine sont à peu près les seules maladies qu'ils connaissent. Ils portent en toute saison un large chapeau de paille fabriqué par les femmes, qui leur sert tout à la fois d'ombrelle et de parapluie; seulement, quand il pleut, ils mettent dessous un bonnet de coton bleu. Ils conservent presque toute l'année leurs vêtements de laine de fabrication domestique. Dans les grandes chaleurs, ils portent des habits de fil fabriqués à la maison, et par-dessus la veste ils ont toujours la blouse bleue.

Les femmes, de taille ordinaire, sont aussi très robustes; mais elles sont sujettes à un genre de maladie qui est le résultat de leur imprudence. Elles sont généralement très fécondes et à peine sont-elles accouchées qu'elles se lèvent pour vaquer à leurs travaux.
Elles sont simplement et proprement vêtues; leurs vêtements sont, suivant les saisons, de laine ou de toile. Elles proscrivent, comme objets de luxe, les rubans à leurs bonnets. Pendant l'hiver, elles portent un manteau de drap de couleur sombre.

C'est la maîtresse de communauté qui soigne les malades; elle emploie toujours comme sudorifiques le sureau et le tilleul, et, pour les rhumes, des infusions de fleurs de guimauve. Pour l'usage externe, elle emploie des cataplasmes de mie de pain détrempée dans du lait de chèvre.

Sureau Tilleul Guimauve

Rarement on appelle le médecin; les communautés ont plus de confiance dans les petits soins de la famille, dans une neuvaine, dans un pèlerinage, que dans la science médicale, et, si quelqu'un les presse de demander l'homme de l'art, elles font cette réponse fataliste : "Quand la mort y est, elle y est". Toutefois, lorsque la maladie est sans espoir, on fait, pour l'acquit de sa conscience, venir le médecin; aussi, quand on dit que l'on est allé au médecin, cela signifie que le malade est perdu.

Les enfants sortent, quelque temps qu'il fasse, pieds et tête nus, ce qui ne les empêche pas de se bien porter.


Rang de la famille

L'ancienneté de la famille, sa fortune, sa probité et sa moralité irréprochables, tant dans les générations passées que dans la génération actuelle, attirent sur la communauté, non pas seulement dans la localité, mais même dans les pays voisins, un grand crédit et une grande considération. Les membres le savent et ils en sont fiers. On a toujours vu le maître faire partie du conseil municipal de la commune, et un parsonnier du conseil de fabrique. La communauté n'a jamais plaidé; aucun des membres n'a jamais su lire ni écrire, et pourtant, avant 1830, le maître était maire de la commune; le curé faisait les écritures, et le maire apposait quelques signes hiéroglyphiques que l'on appelait sa signature et qu'on lui avait mécaniquement appris pour l'exercice de ses fonctions.


Propriétés

Immeubles

La famille, en tant que communauté, n'a pas de propriétés immobilières; seulement, elle est fermière d'un domaine valant 80 000 fr.
Mais la famille possède des valeurs mobilières qui forment trois catégories de biens :

1° Les capitaux occultes, accumulés et grossis par leurs intérêts légaux et les épargnes annuelles, ils sont placés au nom du maître seul.
2° Les biens de communauté, possédés ut universi, qui sont apparents et qui constituent le matériel d'exploitation.
3° Les biens propres, non seulement aux parsonniers, mais encore à chacun des membres de l'association, et qui sont possédés ut singuli : c'est le pécule.

Argent : 10 000f 00

Les fonds anciens ou capitaux latents ayant été partagés en 1856 et étant devenus pécule, la communauté s'est trouvée réduite à son matériel d'exploitation et à son fonds de roulement.
Mais, depuis cinq ans, de nouvelles économies ont été réalisées; à combien s'élèvent-elles? C'est ce qu'il est impossible de préciser d'une manière certaine; le maître seul le sait, c'est un secret qui ne se révèle jamais.
Toutefois, en admettant une épargne, même sans intérêts composés, de 2 000 fr par année - et elle est plus élevée -, le capital latent serait aujourd'hui de la somme de 10 000 fr.

Fonds de roulement : 600f 00

Animaux domestiques entretenus toute l'année : 10 921f 25

1° Bêtes à cornes - 8 340f 00 : Dix-huit bœufs de trait ; huit vaches garnies et non garnies ; six chatrons ; deux génisses ; six veaux sevrés.
2° Bêtes à laine - 840f 00 : Cent quarante moutons, brebis, agneaux.
3° Animaux divers - 1 140f 00 : Soixante porcs de tout âge ; deux chèvres ; deux ânesses (pour conduire les femmes aux marchés) ; deux chiens de garde.
4° Basse-cour - 529f 25 : Poules, poulets, chapons, soixante-dix pièces ; canes et canards, douze pièces ; oies, quinze pièces ; quatre porcs à l'engrais (un pour saler).
5° Rucher - 72f 00 : Six ruches en paille.

Tous ces animaux sont entretenus toute l'année, car, lorsqu'il y a vente ou consommation, ils sont naturellement remplacés par les reproductions.

Matériel spécial des travaux et industries : 1 397f 75

1° Exploitation des champs, des prairies et de la vigne : Trois charrues; trois chars; deux tombereaux; deux charrettes; neuf jougs; neuf lanières en cuir pour attacher les bœufs sous le joug; deux herses; deux brouettes; cinq tridents en fer; huit pioches; six pelles; vingt râteaux; six serpes (vouges, goyards) pour tailler les haies; quinze fourches; sept faux pour foin et regain, avec la pierre à aiguiser, le marteau et la petite enclume; quinze faucilles pour moissonner; six vans en osier, avec peau de mouton, pour vanner les grains; cinq cognées; six fléaux pour battre; un grand crible; dix sacs de grosse toile; vingt paniers d'osier pour ramasser les pommes de terre, douze tonneaux et six feuillettes (la cuve appartient au propriétaire) ; quatre serpes de vigneron; six hottes de vendange; un blutoir, quatre petits tamis. Total, 971f 00.
2° Exploitation des bêtes à cornes et à laine et des ânesses : Quarante attaches en fer et en corde pour le gros bétail; quatre échelles de différentes grandeurs; quatre pots en fer battu pour traire les vaches; huit pots de grès pour laitage; quinze égouttoirs pour fromages; un séchoir à fromages; une baratte à beurre; deux voitures d'ânesses avec les harnais. Total, 174f 75.
3° Exploitation du jardin potager : Quatre bêches; deux pelles, trois râteaux en fer, boîtes à graines, cordeaux; deux arrosoirs. Total, l3f 00.
4° Exploitation de la basse-cour : Deux grandes auges empierre pour les porcs; deux marmites n° 60, pour la cuisson des pommes de terre destinées aux cochons; juchoirs et nids pour le service du poulailler. Total, 65f 00.
5° Exploitation des abeilles : Trois ruches de rechange; tamis pour le miel; vases et ustensiles pour la conservation des produits. Total, 5f 00.
6° Fabrication des étoffes de fil et de laine : Quenouilles, fuseaux, bobines, grande roue; métier à tisser. Total, 56f 00.
7° Fabrications diverses : (Un membre de la famille est tonnelier, charron, menuisier et tisserand; il a, en conséquence, tous les outils nécessaires à ces divers états.) Un établi; quatre scies; quatre varlopes et rabots; trois haches, huit ciseaux, deux outils à planer, six tarières, un vilebrequin et quatre mèches; une grande scie dite passe-partout; une grande pince à tonneau, des maillets, trois esseaux et autres ustensiles. Total, l13f 00.

VALEUR TOTALE des propriétés : 22 919f 00


Subventions

La famille ne jouit d'aucune subvention. Fermière d'un domaine aggloméré qui n'est pas traversé par des chemins publics, les produits des 114 hectares 70 ares lui appartiennent, même l'herbe des chemins de service, les fougères et les genêts qui poussent spontanément. Elle trouve, sur la propriété, le bois de chauffage nécessaire à sa consommation ; ce bois provient des haies sèches remplacées, des haies vives trop fournies, de l'élagage des vieux pieds d'arbres conservés comme têtards et de l'extirpation des genêts, qui abondent dans les champs non cultivés pendant trois ou quatre ans. Ces objets sont à elle par représentation partielle du prix de ferme.


Travaux et industries

"Tout argent entré dans la communauté n'en doit plus sortir"

Conséquemment, l'association fabrique, autant que possible, tout ce qui lui est nécessaire. A cet effet, elle a un de ses membres qui est spécial pour divers états; il est tout à la fois vigneron, tonnelier, charron, menuisier, perruquier, boucher, tisserand, dentiste, voire même chirurgien ; avec son rasoir, il fait l'ablation des tumeurs et perce les abcès; il est assisté d'un jeune garçon, à qui il enseigne la pratique de ces divers états, de telle sorte que, au besoin, l'apprenti puisse remplacer le maître. C'est lui aussi qui greffe les arbres, chauffe le four au degré voulu, enfourne et retire le pain, et, en cas d'empêchement des femmes, c'est lui qui le fabrique. Lorsqu'il n'est pas retenu à la maison, il travaille dans les champs avec les autres hommes.
Et, si la communauté n'a pas d'ouvrier assez habile, elle s'abonne et paye en denrées : ainsi, le taillandier, le sabotier, l'affranchisseur, et même le marguillier reçoivent, par année, qu'ils aient peu ou beaucoup de besogne, un nombre fixe de doubles décalitres de blé, mais jamais d'argent. De cette façon, les prévisions des budgets, surtout de celui des fonds latents, ne sont, quant aux dépenses, jamais dépassées. On connaît exactement ces dépenses au commencement de l'année; il ne s'agit plus, pour les parsonniers, que de les couvrir par leur travail, et tout le surplus est bénéfice.

Travaux spéciaux aux hommes

Les hommes s'occupent spécialement du labourage des champs et de l'emblavaison, du fauchage des foins, de l'irrigation des prés, de la culture de la vigne, de la construction des clôtures, du battage des grains, de la conduite des fumiers et de la nourriture du gros bétail. Le maître de communauté, soumis aux mêmes travaux que les autres membres de l'association, doit s'occuper, en outre, des achats et des ventes : il va aux foires et aux marchés, il fait les affaires de l'extérieur, maintient la discipline dans l'intérieur, ordonne les travaux; c'est sur sa tête que reposent toutes les valeurs de la communauté, et c'est lui qui, par honneur, conduit les bœufs.

Travaux spéciaux aux femmes

Les femmes s'occupent spécialement du jardin potager, des troupeaux de moutons, de brebis et de porcs, aussi bien pour la nourriture que pour la garde dans les champs; elles écartent, à la main, le fumier dans les labourages. Les lessives, la fabrication des étoffes et des vêtements, la fabrication du pain sont, sous la direction de la maîtresse de communauté, leurs occupations principales. La maîtresse, indépendamment de cette direction générale, a dans ses attributions le soin des malades, la préparation des repas, la laiterie, la basse-cour, le ménage et tous les approvisionnements de l'intérieur; mais, comme elle ne peut suffire à des travaux aussi multiples, elle se fait assister d'une femme qu'elle désigne et qu'elle prend ordinairement à tour de rôle parmi les femmes de la communauté. C'est elle qui a soin de tous les enfants de la communauté, car les mères sont occupées au-dehors. Aussi a-t-on pour elle autant d'affection que de respect. Une bonne maîtresse est un des grands éléments de prospérité ; elle tient tout à la fois de la soeur de charité et de la mère de famille. Les enfants n'appartiennent point à telle ou telle mère, ils appartiennent à la communauté et la maîtresse est la mère de tous.

Travaux communs aux hommes et aux femmes

Les femmes, armées de faucilles, moissonnent les blés aussi vite et aussi bien que les hommes, avec eux, elles fanent les foins, tillent le chanvre, vendangent, récoltent les fruits, ramassent les pommes de terre.

Travaux des enfants

Tant que les enfants n'ont pas fait leur première communion (de douze à quatorze ans), on ne leur demande qu'un travail très modéré et volontaire; ce sera par exemple d'aller, le matin, ramasser sous les arbres les fruits tombés pendant la nuit, d'apporter une brassée d'herbe fauchée' la veille, de conduire les veaux dans un pré ou de les ramener à la maison. Leur occupation est d'apprendre le catéchisme, ce qui leur est d'autant plus difficile qu'on ne leur a pas enseigné à lire. La communauté n'alloue rien pour l'instruction primaire, mais elle n'empêche pas qu'un parsonnier, sur son pécule, envoie son fils à l'école.
Les enfants vont au catéchisme pendant deux ans, et, précisément parce qu'ils ont eu beaucoup de peine à l'apprendre, ils l'inculquent si bien dans leur mémoire qu'ils pourraient, de longues années après, en réciter des pages entières. Oublier son catéchisme et manquer à ses devoirs est le dernier échelon de la dégradation et attire sur le coupable l'épithète de huguenot.

Industries entreprises par la famille

Tous les travaux, sans exception, sont entrepris au compte particulier de l'association.
A partir du mois d'octobre jusqu'à Noël, les hommes se lèvent à 2 heures du matin pour les battages, qui s'opèrent au fléau; à 7 heures, le battage cesse et le travail ordinaire commence.
De Noël à la fauchaison (mois de juin), ils se lèvent à 4 heures 1/2; du mois de juin au mois d'octobre, ils se lèvent à 3 heures 1/2.
Les femmes ne se lèvent, en tout temps, qu'entre 5 et 6 heures.

Tant est grand l'esprit d'ordre et d'économie, que personne ne rentre à la maison sans apporter quelque chose ! Un brin de bois sec trouvé le long d'une haie, une poignée de foin accrochée aux branches d'un arbre, un fruit tombé, un flocon de laine retenu dans un buisson, même les cendres du feu que fait la bergère dans les champs pendant les jours froids, tout est rapporté par cet essaim d'abeilles à la ruche commune.


Aliments et repas

La nourriture est bonne et substantielle : le pain seul laisse à désirer : il est de seigle pur, et même, pendant la moisson, en raison du plus grand nombre d'ouvriers, la farine n'est pas tamisée.

La famille fait ordinairement trois repas; à l'époque des oeuvres (la moisson), elle en fait quatre.

Déjeuner, à 7 heures : soupe composée de pain, de légumes, de sel, au lard ou au lait; après, un morceau de pain avec des pommes de terres cuites à l'eau, sans assaisonnement, ou bien des fruits, ou encore du fromage.
Dîner, à midi: c'est le principal repas; il est composé de deux plats : pommes de terre et choux-raves, au lard ou au lait; ou bien haricots et crêpes (tourtiau) à la farine de froment ; ou bien encore légumes au gras et salade, tantôt à l'huile de noix, tantôt au lard; pour dessert, du fromage sec de chèvre (le laitage des chèvres est réservé aux petits enfants et l'excédent est converti en fromages, qui sont fort recherchés) ; pour boisson, du cidre, et, tous les dimanches, du vin.
Souper, à 7 heures : composé comme le déjeuner. Pendant la moisson, on fait un repas supplémentaire, le goûter, qui a lieu à 4 heures; mais alors, toutes les heures de repas sont changées : déjeuner à 6 heures du matin : dîner à 11 heures; goûter à 4 heures, et souper à 9 heures.

A cette époque, bien que le pain ne soit pas tamisé, la nourriture est plus fortifiante; on tue des veaux et des moutons et on boit du vin, mais à deux repas seulement.
Les jours de cuisson de pain et lorsqu'il est retiré, la maîtresse profite de la chaleur du four pour faire cuire des tartes de toutes sortes, aux pommes de terre, aux pruneaux, aux cerises, aux poireaux, etc., et, à dîner, chaque convive a sa tarte.
Sur le territoire de la commune de Cuzy (Saône-et-Loire) est née une variété de pommes reinettes dite « reinette de Cuzy » dont la célébrité n'a guère dépassé la Bourgogne mais que les parsonniers de Pervy avaient cultivée et entretenue.
Ils ne boivent jamais de liqueurs fortes, qu'ils considèrent comme nuisibles à la santé.

Autrefois, l'usage était que le maître et la maîtresse de communauté, bien que n'étant pas mari et femme, mangeassent ensemble sur une table distincte; depuis une quinzaine d'années, cet usage est tombé en désuétude, et, aujourd'hui, ils mangent à la table commune. Tous les hommes prennent leurs repas ensemble, et, quand ils sont partis, les femmes leur succèdent.


Habitation

Chaumière à Rouée - 71 Issy-l'Evèque

La maison et les bâtiments d'exploitation peuvent être considérés comme le type des constructions agricoles du XVe siècle. L'habitation est exposée au midi, construite sur caves et couverte, partie en tuiles, partie en bardeaux (pièces de bois). La chambre principale, ou chauffoir, est au centre; à droite et à gauche, sont deux autres chambres; plus loin, sous la même toiture, se trouvent une chambre de domestique, le fournil, et, en appentis, l'atelier de charronnage et de menuiserie. Le chauffoir n'est pas carrelé; le sol est en terre glaise corroyée; cette pièce ne reçoit la lumière que par deux petites fenêtres carrées de 0,66 m et 0,35 m de côté, l'une au midi, l'autre au nord; elle est très spacieuse; il n'y ferait pas clair en plein midi, si l'on ne laissait la porte ouverte.
Au-dessous, formant d'un côté rez-de-chaussée, en raison de la déclivité du sol, se trouvent trois caves; dans l'une on emmagasine le vin, dans l'autre, les légumes pour l'hiver; la troisième contient le métier de tisserand.

Au-delà des cours et faisant face à la maison, s'étend le long bâtiment d'exploitation; du seuil du chauffoir, on surveille les cours, la grange et les écuries; le bâtiment est couvert en chaume. La toiture descend très bas et dépasse tellement le nu du mur qu'elle sert à abriter des harnais, et qu'en temps de pluie plusieurs personnes de front peuvent faire le tour des bâtiments sans se mouiller.
Derrière les écuries sont les dépôts de fumier; le grand bâtiment en cache la vue à la maison et la préserve des émanations.

Musée forézien Alice Taverne - Ambierle (Loire) - Grande salle à cheminée centrale (Chauffant au large)
Musée forézien Alice Taverne - Ambierle (Loire)
Grande salle à cheminée centrale (Chauffant au large)

Des cinq pièces qui composent l'habitation, c'est le chauffoir qui donne aux communautés une physionomie particulière; c'est là qu'on fait la cuisine, qu'on mange, qu'on reçoit, que se concluent les marchés, que se passe la veillée, que l'on prie; c'est, en un mot, la salle de communauté, mais c'est aussi la chambre du maître, c'est là qu'il couche avec les anciens et les petits enfants. Nous avons dit que la pièce était spacieuse, elle contient:

1° quatre lits enfermés dans d'épais rideaux de serge jaune, la tête d'un lit touchant les pieds de l'autre;
2° quatre armoires rangées sur une seule file; la communauté a les siennes, les branchées ont les leurs, où elles placent ce qu'elles possèdent à titre individuel;
3° la grande table de communauté, avec bancs des deux côtés, où trente personnes peuvent s'asseoir. Cette table est creuse et à compartiments ; en tirant des coulisses à chaque extrémité, on trouve dans l'intérieur des aliments, du dessert, des restes du repas précédent;
4° une armoire à vaisselle, une horloge, un pétrin, une grande auge en pierre pour broyer avec un pilon les pommes de terre cuites.

Au plancher, qui est bas et enfumé, sont suspendus : la huche à pain (porte-pain), les fleurs de tilleul et de sureau, les graines de jardinage, des bouquets de fruits, et, dans la vaste cheminée, des jambons, du lard et de longues brochettes de pièces de salé.
Tout cela est agencé avec tant d'ordre et de symétrie, que vingt-cinq à trente personnes circulent sans encombrement.
Les autres pièces ne contiennent que des lits et des armoires placés comme nous l'avons dit plus haut.


Mobilier et vêtements

Enumération du mobilier et des vêtements d'un homme marié, d'une femme et d'un enfant. Prenons le maître pour exemple ; sa position ne diffère en rien de celle des autres.

Meubles

Un lit, comprenant le bois fait de cerisier, une paillasse, une couette (matelas rempli de plume de poule), un traversin à étui de toile, rempli de plumes, deux couvertures en laine, un couvre-pied d'étoffe à couleurs vives, des rideaux de serge; une armoire de noyer.

Linge d'un ménage

Quatre paires de draps en toile de fil, six serviettes (ils ne s'en servent que pour les convives ou pour porter des cadeaux).

Vêtements d'un homme

1° Vêtements du dimanche. Une veste de laine, teinte en bleu, de fabrication domestique, un pantalon et un gilet de même étoffe; une chemise de toile; une cravate de coton; un chapeau de feutre noir à larges bords; une paire de bas de coton ou fil; une paire de souliers; un mouchoir de poche; une blouse bleue.

2° Vêtements de travail. Les vêtements du dimanche, après de longues années de service, passent aux jours de travail; mais, indépendamment de ces objets, il faut ajouter un habillement complet : veste, pantalon et gilet; un bonnet bleu, un chapeau de paille, une paire de sabots, une paire de chaussons de laine.

3° Vêtements de rechange. Neuf chemises; quatre paires de bas; cinq mouchoirs de poche; deux cravates; une brosse à habits, une brosse à chaussures, un rasoir; six paires de sabots ferrés.

Vêtements d'une femme

1° Vêtements du dimanche. Deux robes de laine; deux jupons de laine rayés; un tablier de soie noire; un mouchoir de cou de laine; une coiffe de mousseline brodée, sans rubans; une paire de bas blancs de coton; une chemise de toile; un mouchoir de poche blanc de fil; une paire de souliers; un manteau de drap, donné en cadeau de noces.

2° Vêtements de travail. Les vêtements du dimanche défraîchis passent aux jours de travail, et il faut ajouter: deux robes d'indienne; deux jupons provenant de vieilles robes; une paire de bas de laine; un tablier d'indienne; un mouchoir de cou en laine; une paire de sabots non ferrés; une coiffe en mousseline unie, sans rubans; un grand chapeau de paille (fabrication domestique); un drap en grosse toile (charrié), plié en deux, qu'on met sur le dos en guise de manteau, les jours de pluie ou de froid; une paire de chaussons.

3° Vêtements de rechange. Dix coiffes de mousseline; dix chemises de toile fine; six mouchoirs de cou; douze paires de sabots non ferrés; six mouchoirs de poche; quatre paires de chaussons de laine; une petite glace; une petite croix d'or, qu'on porte suspendue au cou par une ganse de soie; une bague d'alliance en or.

Meubles et vêtements d'un enfant

1° Lit. Un lit sert pour deux garçons ou pour deux filles ; il comprend, comme celui des grandes personnes, un bois de lit, une paillasse, une couette en plume, un traversin, deux couvertures de laine, un couvre-pied et des rideaux de serge.

2° Vêtements de travail. Pour fille ou garçon, ces vêtements se composent des vieux vêtements des père et mère, ajustés à leur taille.

Vêtements d'un garçon pour le dimanche. Une veste de laine, teinte en bleu, un pantalon, un gilet de même étoffe de fabrication domestique; une casquette de drap; une petite cravate de laine, teinte en rouge; une paire de bas; une paire de sabots(les enfants ne portent des souliers que lorsqu'ils sont assez grands pour aller aux foires et marchés); une chemise; par provision, quatre paires de sabots.

Vêtements d'une fille pour le dimanche. Une robe de laine, un jupon rayé de laine; un petit tablier de coton; un mouchoir de cou; une coiffe de mousseline; une paire de bas de laine; une paire de sabots; une chemise; par provision, quatre paires de sabots.

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Budgets

Il y a trois sortes de budgets, tous trois très-rudimentaires :

1° Budget des fonds latents.
Ce budget-là est spécialement confié à la sollicitude du maître seul, il ne doit jamais être en déficit. - Il se forme, en recettes 1° de l'épargne, capital ancien; 2° des intérêts de ce capital; 3° des ventes de gros bétail; 4° d'un prélèvement sur les récoltes en blé, variable suivant l'abondance de l'année; il peut être évalué, en moyenne, au tiers de la récolte.
En dépenses, il ne peut être grevé que du prix de ferme dû au propriétaire et des gages des domestiques. Le reliquat, qui est toujours un bénéfice, devient un capital sacré qui va rejoindre les fonds anciens, placés au nom du maître et à son gré; c'est ce que, de nos jours, nous appelons fonds de réserve; il y a plus de trois siècles que les communautés agricoles pratiquent, par intuition, ce système qui a donné, non-seulement de beaux dividendes, mais encore de grands avantages de moralité à leurs sociétaires.
Une fois le prélèvement opéré au profit des fonds latents, fasse la communauté ce qu'elle pourra; avec le surplus de ses ressources (voir ci-après 2° budget), elle doit subvenir à ses besoins, et, si elle n'a pas assez, elle se privera, elle se fera pauvre; ainsi :
Toute l'année la farine ne sera pas tamisée.
Au lieu de boire le vin récolté on vendra le tout.
Au lieu de tuer quatre porcs on n'en tuera que deux; on vendra toute la volaille et on mangera davantage de pommes de terre, etc.
Ce mode d'opérer est primitif, sans doute, mais il faut avouer qu'il a l'incontestable mérite de forcer à l'économie et de tenir le maître et la maîtresse en constante observation sur les dépenses journalières; et ils s'y tiennent si bien que non-seulement le personnel est bien nourri, mais encore qu'il reçoit des pécules.

2° Budget dit de la communauté.
En recettes, il se forme des 2/3, environ, de la récolte en blé que veut bien lui laisser le budget des fonds latents et, en outre, pommes de terre, laitage, basse-cour, fruits, vin, toile, laine, en un mot, tous les produits que ne prennent pas les fonds latents, lui appartiennent, en valeur de 6,500f environ.
Mais, en revanche, il doit faire face à toutes les charges de la communauté les fermages dus au propriétaire et les gages de domestiques exceptés. Semence, nourriture et habillement du personnel, achats divers, ouvriers, bienfaisance, distribution aux pécules, etc., forment son passif. En retranchant de 6,600f la dépense de nourriture 3,350f 91, soit 134 f 04 par personne, reste la somme de 3,149f 09 pour les autres dépenses; ce budget est tellement bien combiné et surveillé par le maître et la maîtresse de communauté que ses excédants sont toujours en recettes: C'est là le boni des pécules, variable dans son quantum annuel.

3° Budget dit des pécules.
Admettons que la communauté ait économisé, en fin d'année, des produits en valeur de 1,200f, elle les réalise en argent, mais comment diviser cette somme? le voici; c'est encore la coutume qui fait loi :
A 21 ans révolus, fille, femme ou homme retire un droit entier.
A 18 ans, moitié.
A 15 ans, un tiers.
A 12 ans, un quart.
Au-dessous de 12 ans, les enfants ne reçoivent rien, car ils ne sont pas susceptibles d'un travail utile; seulement, comme ils ne sont pas les enfants de tel père ou de telle mère, mais bien les enfants de la communauté, ils sont logés, nourris, vêtus et soignés, tant en santé que maladie, pour l'espérance de l'avenir, comme dit Guy Coquille.
Or, la communauté de Pervy se compose de 25 individus, dont trois domestiques gagés, un vieillard reposant et 7 enfants âgés de moins de 12 ans, total 11 individus qui ne retirent rien.
Les parties prenantes sont :

9 hommes et femmes âgés de plus de 21ans,
chacun un droit ou 105f 88....................

pour les 9.......

952f 22
2 garcons et une fille âgés de plus de 18ans,
chacun: demi-droit, ou 52f 94................

pour les 4.......

211f 76
Une fille âgée de plus de 16 ans,
un tiers de droit, ou 35f 32.......................................

35f 32
Total :........... 1 200f 00

Le pécule, dont chacun a la libre disposition, s'accroît des dots des femmes, des dons, des legs, enfin de toute cause étrangère à la communauté.

En résumé, le 1° budget, dit des fonds latents, s'applique au fonds social, à la réserve; il appartient à 4 têtes de mâles dont une dormeuse le maître seul en a l'administration.

Le 2° budget, dit de communauté est concerté entre le maître et la maîtresse; il s'applique plus spécialement à la consommation et aux besoins divers de l'association; ses excédants appartiennent au budget ci-après.

Le 3° budget, dit des pécules, est formé de toute l'épargne du 2e budget. Il est variable dans sa quotité annuelle, comme les parts; les bénéfices, pour cette année, se divisent, en portions inégales, entre 14 parties prenantes; mais ultérieurement, les co-partageants seront plus nombreux, au fur et à mesure que les enfants atteindront l'âge prescrit ; le père de l'enfant mineur reçoit le pécule; à vingt-et-un ans, chaque membre de l'association le touche directement et peut en disposer à son gré.


Récréations

Les dimanches et fêtes, entre les offices, les hommes jouent aux quilles ou à la pièce piquée. L'enjeu est une bouteille de vin que le perdant devra payer au premier jour de foire ou de marché où les partners se trouveront ensemble.
Pendant ce temps, les femmes rendent visite à leurs parents des communautés voisines.
Aux fêtes de l'Ascension, de Pâques, de la Pentecôte et de Noël, la communauté donne un grand repas à tous ses membres.
Mais, c'est surtout pour la fête patronale, pour la poëlée (achèvement des moissons) et pour les vendanges que la communauté se met en frais; elle traite non seulement ses membres, mais encore ses parents et ses amis. Le curé est toujours convié. On n'y consomme que des productions du domaine. Il y a une telle profusion de mets et de pâtisseries que, huit jours après, il y a encore des restes. Le mets dont ils sont particulièrement friands est un rôti de veau, saupoudré de sucre. A ces réunions, on ne danse jamais.
Indépendamment de ces distractions, qui sont invariables, il y a les foires, les marchés, les noces des parents et les fêtes patronales des communes voisines; le maître désigne les hommes et la maîtresse les femmes qui doivent s'y rendre. Jamais plus de quatre personnes ne s'éloignent à la fois de la communauté.
Le tabac à fumer est prohibé, mais le tabac à priser est toléré.
Les récits des veillées d'hiver sont une récréation très appréciée; ils ont pour thème habituel l'histoire des ancêtres, les légendes, les campagnes militaires et les merveilles d'un Paris fantastique.


Mariage

la communauté tient à éviter les partages, et combien aussi elle est tutélaire et protectrice à l'égard des orphelins. La même organisation se retrouve dans les mariages.

Lorsqu'une fille est devenue furieuse, c'est-à-dire nubile, on la marie; si les deux conjoints font partie de la même communauté, ils y restent, et leurs droits sont fixés; si l'époux est étranger et fait partie d'une autre communauté, la fille quitte et la communauté la dote en argent; elle n'a plus rien à espérer - et c'est là une stipulation sur succession future contraire à l'article 791 du Code Napoléon, - dans l'hoirie de ses père et mère restés parsonniers, si ce n'est un simple droit dans les grains récoltés l'année de leur décès. Si l'épouse est étrangère, pour ameublir dans la communauté où elle vient, elle doit verser une somme variable de 60 à 200 fr, qui lui est rendue si elle quitte.

Les noces se font sans faste, elles ne durent qu'un jour. Le soir, la jeune mariée est accompagnée par son père ou sa mère, ou le maître de la communauté, jusqu'à moitié chemin de sa future demeure; là, on se quitte, et la nouvelle Pénélope n'a pas besoin de se couvrir de son voile pour montrer que son coeur lui dit de suivre son époux. Des deux côtés on connaît le devoir, mais elle sait de plus que, pendant quinze jours, elle ne doit plus revoir les parents qu'elle abandonne - c'est le temps voulu pour greffer l'affection nouvelle -, elle sait, en outre, que la communauté lui est à jamais fermée comme femme mariée, et qu'elle ne peut se rouvrir pour elle que devant la veuve et ses orphelins.

Quinze jours après, un dimanche, des délégués de la communauté délaissée vont visiter la jeune mariée; on festoie, on célèbre le beau dimanche; de ce jour commence entre les deux communautés, un traité d'alliance moins éphémère qu'une alliance politique.

Autant qu'elles peuvent, ces communautés font des mariages entre elles et, ce qu'elles désirent le plus, des mariages pas échange, c'est-à-dire que, par une double union, elles donnent une fille, on leur rend un garçon, et réciproquement; il y a substitution de personnes et de droits.

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Dissolution

Le premier signe précurseur de la dissolution de la communauté de Pervy.

"Le coup mortel fut porté à celle de Pervy par Emiland R., âgé de 26 ans, non originaire de la communauté, fort intelligent et devenu, depuis quatre années, par mariage, gendre de la maîtresse et neveu du maître, par conséquent personnier.
Un matin il aborda le maître et lui dit doucement:

Mon oncle, combien avez-vous vendu les bœufs, hier à la foire de Toulon-sur-Arroux
- Treize cent vingt francs la paire, répondit l'oncle sans défiance.
- Bon, et puis, continua le neveu, combien de mesures de blé avez-vous vendues à un tel et à combien la mesure ?
- Pourquoi me fais-tu ces questions ? demanda l'oncle.
- C'est, mon oncle, parce que la jeunesse d'aujor d'aujourd'hui o quérieuse (la jeunesse d'aujourd'hui est curieuse).

L'oncle comprit tout : pendant une semaine on les vit se promener tous deux et s'entretenir en secret; un mois après, on savait dans un rayon de 10 km que non seulement Emiland R. se retirait, mais encore que tous les personniers partageaient les valeurs de la communauté pour vivre séparément chacun dans "son quart", c'est-à-dire là où ils avaient acheté précédemment..."

Ils partagèrent, non pas d'après la loi, mais conformément à la Coutume, en quatre têtes, dont une dormeuse, sans ingérence de la justice, sans notaire et même sans experts; aucun étranger ne connut l'importance des valeurs partagées; en 1856, lors du précédent partage, ils avaient acheté privativement pour 80.000 fr. environ d'immeubles dans diverses communes; qu'ont-ils gagné depuis ?

C'est leur secret qu'ils gardent bien. Au jour fixé pour le départ, on vit dans les cours de Pervy plus de trente attelages de bœufs et de chevaux venus des domaines voisins pour transporter gratuitement suivant l'usage, dans les communes de Charbonnat, Issy-l'Evêque et Grury, les valeurs mobilières des trois têtes parlantes avec le personnel composé des dix huit individus.

Le maître seul, resta à Pervy, avec sa femme et ses deux fils.



La communauté des Jault

Si parmi les nombreuses associations de ce genre qui existaient jadis en Nivernais (la commune de Préporché en possédait à elle seule une quantité), la communauté des Jault a été choisie pour devenir l'objet d'une monographie type, c'est qu'elle a été de beaucoup la plus durable et la plus prospère, et qu'elle offre encore aujourd'hui des éléments d'information aussi certains, sinon aussi nombreux et aussi accessibles, que si elle n'eût pas été dissoute il y quarante ans. La communauté de Pervy, commune de Cuzy, canton d'Issy-l'Ëvêque (Saône-et-Loire) qui a fait l'objet de la monographie de Le Play au tome V des Ouvriers européens, a bien subsisté jusqu'en 1867, après une existence respectable de 348 ans, mais elle n'a égalé, ni en importance, ni en durée, la communauté des Jault; du reste, elle s'est dissoute sans intervention judiciaire quelconque et même sans expertise.

Son origine : 1156 ?

Gilbert Trouflault (1736 - 1820) :
"L'ambition, le voisinage des villes, le luxe a fait disparaître de notre sol ces communautés aussi utiles que vénérables. Il n'en est à ma connaissance qu'une seule qui subsiste encore dans le Nivernais, dans la commune de Saint-Benin-des-Bois, près Saint-Saulge. Elle est connue sous le nom de communauté des Jault, composée de trente-six à quarante individus. Je vis, en 1792, cette famille patriarcale. Par son union, son respect au chef, son travail, elle est heureuse, jouit et fait valoir par ses mains un bien évalué au moins à 60 ou 70,000 livres. Cette communauté se fit construire par économie, un moulin à vent pour moudre ses farines, en 1786 ou 1787."

M. Dupin d'écrire en 1840 :

L'existence de cette communauté date d'un temps immémorial. Les titres, que le maître garde dans une arche qui n'a pas été visitée par les brûleurs de 1793, remontent au-delà de l'an 1500, et ils parlent de la communauté, comme d'une chose déjà ancienne à cette époque. Claude alla nous chercher quelques-uns de ces vieux contrats, que nous eûmes grand'peine à déchiffrer; et le notaire nous confirma tous ces faits.

Maître Charles Prieuret, notaire à Saint Saulge, après de nombreuses recherches, a pu établir que le document qui permet de fixer le point de départ de la première association, est un "bail à cens et à rente" accordé par Pierre des Paillards, seigneur de Giverdy, aux frères Charles et Guyot Le Jault pour eux et leurs communs parsonniers, le 3 juin 1552. D'après les documents analysés sous la côte première de l'inventaire du 30 avril 1846, en vue de la dissolution, l'association n'avait pris nom "La communauté des Jault" que pendant l'année 1580. On peut penser qu'avant le bail de 1552 existait déjà une simple communauté familiale comme il en existait encore il y a peu de temps dans nos campagnes, appelée "communauté de fait".

A la veille de la Révolution de 1848, existait encore sur la commune de Saint-Benin-des-Bois, canton de Saint-Saulge, arrondissement de Nevers, une association connue sous le nom de Grosse communauté des Jault, dont l'origine se confond dans le lointain d'une des époques les plus obscures de l'histoire de France ; lors de la dissolution, en 1847, les archives furent brûlées ou dispersées (Toutefois le savant et zélé archiviste de la Nièvre, M. de Flamare, a su en recueillir quelques pièces) ce qui paraîtra regrettable en dépit du motif allégué, à savoir qu'il convenait, pour éviter toute erreur ou contestation, de substituer à tous les titres antérieurs et devenus caducs l'acte qui ordonnait la liquidation et réglait le partage des biens jusqu'alors indivis.

A. Lejault (descendant de la communauté des Jault) :

Pour lutter contre la tyrannie seigneuriale - en l'espèce, celle des évêques de Nevers - nos ancêtres surent vivre en égaux, forts et dignes, sans tache jamais, faisant l'honneur de leurs concitoyens. La légende leur prête une énergie rare, un esprit de justice à toute épreuve, vertus qu'on retrouve dans "l'Incorruptible Saint Just", petit-fils de la communauté des Jault.
Nous avons en mains un document que possédait M. Leblanc de Lespinasse, ancien archiviste et conseiller général de la Nièvre, et qu'il voulut bien nous traduire, où la date de 1156 est donnée comme date vraisemblable de la fondation de la communauté des Jault.
Fait à la communauté des Jault, par Saint-Benin-des-Bois (Nièvre) - le 15 juillet 1922


Eglise de Saint-Benoit-Des-Bois (58)

La commune de Saint-Benin-Des-Bois

Le groupe d'édifices qui compose les Jault est situé sur un petit mamelon, à la tête d'une belle vallée de prés, bornée à l'horizon par des collines boisées, sur l'une desquelles au couchant se dessine l'église et le clocher de Saint-Benin-des-Bois. Il est même probable que plus anciennement il n'y avait en effet dans toute cette contrée que des bois en partie défrichés depuis.

Le site est incomparable. On découvre du sommet plus de vingt villages enfouis dans la verdure et, par certains beaux soirs, on entend plus de trente clochers environnants.
Région boisée, sans doute autrefois, mais nous pensons que le village des Jault est d'origine romaine, si nous en jugeons par la présence de cercueils de pierre exhumés en 1919 et que, de notre fenêtre, nous voyons incorporés dans le mur d'en face, cercueils semblables à ceux trouvés à Bibractum, à Montenoison, à Quarré-les-Tombes, autres pilons qu'avaient fortifié les armées romaines.


Gouvernement de la communauté

Le régime intérieur de la communauté était tout patriarcal ; le chef, qu'on appelait le maître, fut tout d'abord le chef de la famille et il laissa son autorité à son fils aîné ; puis quand la descendance directe fut interrompue ou devint obscure, ce fut l'élection qui désigna, parmi les plus capables, l'administrateur des intérêts de tous.

Régulièrement, ce maître devait être élu, mais il était le plus souvent désigné d'avance. De son vivant, le chef s'associait un des membres qui lui semblait le plus actif, le plus intelligent, qu'il affectionnait davantage. Celui-ci remplaçait le maître partout où il ne pouvait aller lui-même. On s'accoutumait peu à peu à son autorité, et, à la mort du chef, cet associé continuait l'administration à laquelle il avait été initié.

Le maître commandait, qui allait aux villes et aux foires, qui distribuait à chacun ce qui lui était nécessaire en vêtement ou autres objets. Lui qui contractait par devant notaire pour les acquisitions de biens, et c'était en son nom que les impôts et redevances étaient inscrits. Mais il ne faisait rien d'important sans l'avis de ses parsonniers, et, chaque année, il devait rendre compte de sa gestion.


Religion et habitudes morales

C'est donc au sein de l'abondance matérielle, mais grâce surtout à la conscience continue du devoir assidûment accompli et à l'absence de toute inquiétude pour l'avenir, que la communauté poursuivait de temps immémorial son existence paisible et heureuse ; les moeurs y étaient intègres, on y respirait une atmosphère constante de probité, et l'innombrable famille des Le Jault ne courrait aucun risque, aujourd'hui encore, de défier qu'on pût relever à l'encontre d'aucun de ses membres la plus légère condamnation pour le moindre délit. II est naturel que dans un pareil milieu les pratiques de la vie chrétienne aient été strictement suivies; je n'en citerai qu'un trait qui m'a été transmis par l'un des survivants de la communauté et qui mérite d'être relaté parce qu'il est caractéristique et point banal.
Le mardi gras, tous les couteaux étaient soigneusement lavés et nettoyés, ce qui restait de viande était livré aux animaux, chiens ou porcs, et aucun aliment gras ne paraissait plus sur la table avant le dimanche de Pâques; trois fois par semaine, hommes et femmes faisaient le grand jeûne, et chaque soir la prière, au lieu d'être dite comme de coutume dans chaque ménage, se faisait en commun. C'est ainsi que s'observait la discipline du carême, et l'on n'a jamais entendu dire qu'aucun s'en soit trouvé plus mal, même au physique.

La charité était faite avec une abondance et une simplicité inconnues chez ceux qu'anime seulement le souci de se conformer aux lois de « l'humanité » et de la philanthropie; en tout temps, l'arche (grand coffre à pétrir et à renfermer le pain), était approvisionnée de chanteaux coupés d'avance pour que les enfants n'eussent qu'à les présenter aux mendiants de passage. Plusieurs m'ont affirmé avoir vu des malheureux recevoir pendant huit jours consécutifs l'hospitalité, et ne partir qu'après avoir été suffisamment restaurés pour reprendre leur chemin et pouvoir supporter les fatigues et le dénuement qu'ils prévoyaient. C'était là du reste une charge que la collectivité pouvait supporter sans trop de dommage et qui eût excédé les forces séparées des différents ménages qui la composaient; à ce point de vue, avec la communauté des Jault a disparu un de ces instruments d'assistance publique que n'ont pas remplacés les combinaisons de nos administrateurs officiels.

La communauté, profondément religieuse et vouant un culte particulier à la Vierge, était connue de tous ceux qui cheminaient régulièrement le long des voies anciennes et venaient à traverser la région. Ils s'arrêtaient chez les Jaults car ils étaient sûrs de trouver là de quoi dormir, manger, se chauffer et se laver. La maison leur était en permanence ouverte. Le soir, près du feu, ils "chantaient les nouvelles". Comme ils étaient heureux, les jeunes, d'écouter tous ces gens, toutes leurs aventures si bien racontées... Et l'on avait bien du mal à envoyer au lit les petits Jaults qui se sentaient soudain une âme de chevalier...
On allait même au-delà de l'hospitalité : un coffre approvisionné de "chanteaux" était mis à la portée des enfants afin que ceux-ci puissent donner, abondamment, aux pauvres et aux mendiants, et aussi aux pèlerins armés de leur bâton sculpté. Mieux encore : une fois par semaine, c'était la grande fête de la lessive. Pauvres, chemineaux, vagabonds, pèlerins, venaient faire laver gracieusement leurs vêtures. En cette époque, il fallait être riche pour avoir deux jeux d'habits, et la communauté ne voulait pas laisser ses hôtes tout nus : elle leur prêtait des vêtements (propres!) le temps que les autres soient nettoyés et séchés.


Habitation

La demeure commune était disposée pour le logement de ses nombreux habitants. Extérieurement, elle n'avait rien de remarquable, mais l'intérieur était propre et bien divisé. En montant deux marches, on entrait dans une salle immense, ayant à chaque bout une grande cheminée dont le manteau comportait environ 9 pieds de développement. C'était la cuisine, la salle à manger et le chauffoir commun. La communauté y prenait ses repas, les hommes assis à une même table, les femmes et les enfants à une autre. Le maître et son second mangeaient à part près du foyer. Le service était fait par les femmes à tour de rôle. Le soir, chacun avait autour de l'âtre une place assignée en raison de son âge.

Vieille chaumière à Fétigny (58)
Fétigny - Nièvre - La maison des Charrues, la plus ancienne du Morvan
Elle fut, dit-on, pendant des siècles, habitée par une famille composée de 33 personnes
qui vivaient en communauté sous la direction du plus âgé

A côté de l'une de ces cheminées, était l'ouverture d'un large four à cuire le pain et, de l'autre côté, un tonneau à lessive en pierre, aussi ancien que la maison elle-même ; car il est incrusté dans la muraille, et a reçu le poli à force de servir (dans une dépendance de la maison il y avait encore le four de la galette et celui de la mouture.)

Sur la cuisine, débouchait un long corridor dans lequel s'ouvraient les portes des chambres séparées où chaque ménage avait son domicile particulier. Ces chambres étaient relativement vastes. Dans chacune, il y avait deux ou trois lits, selon le nombre des enfants, deux armoires en chêne ciré ou bien un coffre et une armoire. Une table et quelques sièges complétaient le mobilier.

Aujourd'hui, le manoir des Jault a subi des modifications, nécessaires depuis le partage. Trois familles habitent encore, dans cette demeure, le lot qui leur échut.

Les bâtiments d'exploitation, dont l'aspect n'a pas changé, ont des proportions imposantes. Les portes des écuries, au lieu d'être pratiquées selon l'usage dans les gouttereaux, ont l'ouverture dans le pignon, ce qui, en cas d'incendie, permet d'extraire les animaux sans danger.
L'aspect n'a pas changé depuis lors, mais il offre un caractère qu'a négligé M. Dupin, en dépit de son compliment amicalement ironique "à l'architecte, c'est-à-dire au maçon", et qui cependant frappe tout d'abord, c'est la force, inusitée dans les campagnes, et l'imposante proportion des constructions ; le porche des granges, élevé en superbes pierres de taille, s'arrondit en un cintre immense qui suffirait aux plus vastes églises ; ceux qui bâtissaient de la sorte avaient, pour employer une expression vulgaire mais significative, les reins solides, et l'on voit de suite qu'ils se sentaient assurés du lendemain.


Vieille chaumière à Fétigny (58)

La ferme des Jaults, état en 1980


Avoir commun et patrimoine particulier

Le fonds de la communauté se compose 1° des biens anciens, 2° des acquisitions faites pour le compte commun avec les économies, 3° des bestiaux de toute nature, 4° de la caisse commune, anciennement tenue par le maître seul, aujourd'hui déposée, par précaution, chez un notaire de la ville de Saint-Saulge.
Mais en outre chacun a son pécule composé de la dot de sa femme et des biens qu'il a recueillis de la succession de sa mère, ou qui lui sont advenus par don ou legs, ou par toute autre cause distincte de la raison sociale.
La communauté ne compte parmi ses membres effectifs que les mâles. Eux seuls font tête (caput) dans la communauté.

Les filles et les femmes, tant qu'elles veulent y rester en travaillant, y sont nourries et entretenues tant en santé qu'en maladie ; mais elles ne font pas tête dans la communauté.
Lorsqu'elles se marient au dehors (ce qui arrive le plus ordinairement) la communauté les dote en argent comptant. Ces dots, qui étaient fort peu de chose dans l'origine, se sont élevées dans ces derniers temps jusqu'à la somme de 1,350 fr.
Moyennant ces dots une fois payées, elles n'ont plus rien à prétendre, ni elles ni leurs descendans, dans les biens de la communauté. Seulement, si elles deviennent veuves, elles peuvent revenir habiter la maison, et y vivre comme avant leur mariage.
En outre, la communauté payait la moitié des frais de noces, habillait la mariée et lui offrait des bijoux pour une valeur de 150 francs. Elle conservait le droit de rentier dans la communauté si elle devenait veuve.
Clause extraite du contrat de mariage de Paul Lejault avec Étiennette Peuvot, passé devant Me François Louveau, notaire à Saint-Saulge, le 26 frimaire an 2.

"Convenu entre les futurs et les autres parties comparantes, que, si ledit futur décède le premier, ladite Étiennette Peuvot, sa femme, sera libre de rester avec ses enfans dans ladite communauté générale, et d'y vivre avec les autres communs, en travaillant avec eux, et si elle vient à se remarier, les enfans qu'elle aura continueront leur demeure avec les autres communs en ladite communauté , et alors il sera restitué à ladite Peuvot la somme de deux cents livres, qui est la même que celle qu'elle y a conférée, dont elle sera tenue se contenter ; cette liberté lui étant accordée pour maintenir la paix et l'union qui a toujours existé en la susdite communauté des Lejault, pour en éviter la division, que les susdites parties ne veulent point faire dans la suite, attendu que leur susdite communauté subsiste depuis environ cinq cents ans, et que leur intention est de continuer en paix et union, pendant leur vie, ce qui leur a été expressément recommandé par leurs auteurs, dont ils respectent la mémoire. En conséquence, lesdits Etienne et François Lejault, maîtres de la susdite communauté, déclarent que leur intention, pour en maintenir la continuation, est qu'après le décès de ladite Jeanne Lejault, mère dudit futur, il soit payé à Jeanne, Hélène, Marie et Françoise Lejault, ses filles, chacune une somme de quatre cents livres, pour leur tenir lieu des réclamations qu'elles seraient fondées à faire dans la susdite communauté générale, et ce pour en opérer la continuation entre tous les autres personniers toujours en paix et union. »

La femme étrangère qui épousait un commun, devait verser en entrant, dans la caisse commune, une somme de 200 francs, qui représentait la valeur du mobilier mis à son usage particulier, mais la dot qu'elle apportait en surplus restait l'avoir privé de la communauté conjugale d'entre elle et son mari. Devenue veuve, elle pouvait demeurer dans la communauté, elle et ses enfants.
Si elle se retirait, les 200 francs versés par elle, lui étaient rendus. Quand elle se remariait, elle laissait les enfants à la communauté qui en prenait soin et leur assurait les avantages ordinaires. Ces dispositions expliquent comment cette association compta parmi ses membres des Desnoyers et des Suard.

La communauté des Jault est ainsi nommée de la famille qui l'a fondée ou tout au moins qui l'a portée à son plus haut degré de prospérité et, en tout cas, l'a continuée depuis plusieurs siècles jusqu'à nos jours ; je fais cette très légère réserve par un scrupule, sans doute exagéré, d'exactitude, et pour tenir compte de certains dires recueillis auprès de l'un des survivants de la communauté, d'où il résulterait que les Le Jault ont eu pour prédécesseurs des Suard ou des Dénoyer ; mais cette assertion, isolée du reste, ne repose sur aucun fondement. Quant au mot de communauté, il était employé de tout temps en Nivernais, ainsi que nous l'a cidevant appris Guy-Coquille, "à scavoir quand tous vivent d'un pain et d'un sel". - Albert Maron

Tout homme, membre de la communauté, qui meurt non marié, ne transmet rien à personne. C'est une tête de moins dans la communauté qui demeure aux autres en entier, non à titre de succession de la part qu'y avait le défunt, mais ils conservent le tout par droit de, non-déçroissement , ure non decrescendi ; c'était la condition originaire et fondamentale de l'association.
S'il a été marié et qu'il laisse des enfans; ou ce sont des garçons, et ils deviennent membres de la communauté, où chacun d'eux fait une tête non à titre héréditaire (car le père ne leur a rien transmis) mais jure proprio, par le seul fait qu'ils sont nés dans la communauté, et à son profit.
Si ce sont des filles, elles ont droit à une dot; elles recueillent en outre et partagent avec les garçons le pécule de leur père s'il en avait un ; mais elles ne peuvent rien prétendre de son chef dans les biens de la communauté; parce que leur père n'était pas commun, avec droit de transmettre une part quelconque à des femmes qui la porteraient au dehors dans des familles étrangères ; mais il était membre de la communauté, à condition d'y vivre, d'y travailler, et de n'avoir pour héritier que la communauté elle-même.

Si la conscription vient atteindre quelque membre de la communauté, elle fournit jusqu'à concurrence de 2,000 fr pour acheter un remplaçant. En cas d'insuffisance, le surplus devrait se prendre sur le pécule du conscrit.

A côté de l'avoir commun, chacun avait un patrimoine particulier venant soit de ses auteurs ou parents qui n'étaient pas membres de la communauté, soit de la femme. Si de ce fait quelques uns possédaient des propriétés, ils ne pouvaient en jouir par eux-mêmes, mais devaient les affermer.


Dissolution de la communauté

Dès le milieu du XVIIIe siècle les difficultés commencèrent, comme dans la plupart des cas, à cause des mariages avec des personnes étrangères à la communauté soit qu'un membre ait voulu en sortir et retirer sa part de propriété, soit qu'un membre venu de l'extérieur se soit mal assimilé à l'ensemble des personniers.
A partir de 1747, exactement un siècle avant la dissolution, les gendres vivant à l'extérieur conseillaient à leurs femmes, nées Lejault, de réclamer au sujet de la succession de leurs pères et mères, bien qu'elles aient été apanées. Ces demandes furent assez échelonnées pour ne pas entraîner le partage de tous les biens communs. La communauté leur versait un supplément de dot pour calmer leur humeur chicanière. Les actes qui traitent de ce genre de « marchés » et qui ne sont pas particuliers aux Jault sont intitulés « transactions de dot ». Il est à remarquer que dans toute cette période, la communauté, dans les actes notariés, est représentée par deux chefs au lieu d'un. En 1747, en 1750 (deux fois dans la même année), en 1785, en 1812, des filles de personniers mariées au dehors obtiennent des suppléments de dot et même les intérêts de ces suppléments (Charles Prieuret). Ces demandes en partage prouvent combien l'union au sein de la communauté était déjà ébranlée. Les personniers se réfugiaient derrière l'autorité de deux chefs, les demandes ne venant, jusqu'en 1812 compris, que de l'extérieur.
Après une accalmie correspondant à la période révolutionnaire et même à l'Empire, c'est en 1816, un membre vivant au sein de la communauté et fils du maître qui veut se retirer. Cet Étienne Lejault voulait avant tout se marier à l'extérieur de la communauté et pour ce faire il souhaitait en sortir. Il ne réussit pas encore à déclencher le partage qu'on devine déjà inévitable. Il fut apané comme les filles et reçut 1.350 fr. Les personniers consultés donnèrent leur accord. L'apané en question épousa Elisabeth Belon et resta au pays; mais, parmi ses enfants, un fils, François Lejault, devint cocher à Paris, chez des particuliers.

1832

Ce furent les filles et petits-enfants de Jeanne Lejault, qui donnèrent le signal des demandes en partage par voie judiciaire; il est vrai que le procès se termina, à la confusion de ceux qui l'avaient intenté, par un arrêt de la Cour de Bourges du 31 janvier 1832, confirmatif d'un jugement du tribunal de Nevers. Ce premier assaut, remarquons-le, perdait beaucoup de sa force en ce qu'il avait été donné au nom de femmes mariées en dehors de la communauté et qui avaient été régulièrement apanagées ; et l'on se rappelle avec quelle netteté la prévoyance des fondateurs et des continuateurs de l'association avait prévu et conjuré les difficultés à provenir éventuellement de ce côté.

* * * * *

1843

Onze ans après, en 1843, François Le Jault, l'un des enfants de cet Etienne Le Jault dont j'ai rapporté plus haut la renonciation motivée, introduisit une nouvelle demande en partage et se posa en héritier non seulement de son père, mais encore de ses aïeul et aïeule paternels. Sur le premier point, la prétention n'était pas un seul instant soutenable, par suite de la renonciation à titre onéreux faite, dès 1816, soit plus de dix ans avant la mort d'Etienne Le Jault, père du demandeur; aussi les juges se prononcèrent-ils sans hésiter dans ce sens. Sur le deuxième point, la revendication n'était guère davantage admissible : il convient d'abord d'observer que le décès de l'aïeul et de l'aïeule du demandeur était antérieur à la promulgation du code Napoléon; ce point posé, de quoi se composait leur héritage disponible et transmissible ? - Uniquement du pécule privé appartenant à la communauté conjugale d'entre les dits aïeul et aïeule, pécule qui n'a jamais été confondu avec l'avoir de la communauté des Jault et dont cette dernière n'avait jamais pu être comptable ni responsable; ainsi le spécifiait le statut fondamental et séculaire dont Etienne Le Jault, père du demandeur et héritier direct desdits aïeul et aïeule, avait reconnu et consacré l'autorité par l'acte authentique du 26 septembre 1816. Que si François Le Jault avait à faire valoir des droits sur la succession de son grand-père et de sa grand'mère, c'était à ses cohéritiers (pour la partie transmissible de l'héritage) qu'il devait s'adresser, et non à la communauté qui n'avait rien à voir dans l'affaire.

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1845

Cependant le tribunal de Nevers, par jugement du 17 décembre 1845, donna raison au réclamant; la communauté interjeta appel et son triomphe en dernière instance n'était pas douteux; mais pendant l'instruction de la cause, d'autres prétentions furent soulevées par des représentants de femmes mariées en dehors de la communauté. Dès lors, il était impossible de ne pas voir que, l'incident une fois vidé, d'autres surgiraient indéfiniment ; en outre, ce n'était plus seulement les entreprises du dehors qui menaçaient la paix et l'existence de la communauté ; la vie commune que n'avait jusqu'alors troublée aucun nuage était, depuis la Révolution, traversée au jour le jour par de petits événements, en soi de peu d'importance, mais dont l'ensemble affligeait et inquiétait les anciens. Les jeunes gens paraissaient supporter avec contrainte la discipline, pourtant si paternelle, qui avait assuré à leurs devanciers la véritable indépendance, celle qui résulte de la tranquillité morale et matérielle ; sans se mettre en révolte ouverte, ils obéissaient de mauvaise grâce, imaginaient complaisamment de petits actes de tracasserie, comme d'emmener travailler au loin, soi disant par ignorance, la paire de bœufs que le maître avait désignée la veille pour être conduite à la foire ; bref, l'influence des idées nouvelles, jointe à l'atteinte portée par les contestations judiciaires au prestige jusqu'alors intact des institutions, ne permettait plus guère d'espérer qu'on pût prolonger longtemps encore l'existence d'une association qui perdait chaque jour du reste, par le mauvais vouloir plus ou moins avéré d'une partie de ses membres, quelque chose de son charme et de son utilité.

Un membre intelligent de l'ancienne communauté, qui souffrait, comme tous les autres, de l'anarchie et du désordre moral qui régnaient en 1845, et qui a prospéré depuis lors, sous le régime de la propriété privée, consulté récemment sur les causes de la décadence des Jault, résumait ainsi ses souvenirs :
"Le plus ancien maître dont le nom me soit connu est le père Niée (Née); je ne l'ai jamais vu, mais j'en ai souvent entendu parler à mon grand (grand-père). Il se trouva tout à coup investi de l'autorité de Maître à l'âge de trente-quatre ans, par suite d'une épidémie qui ravagea la communauté, et le laissa le plus âgé des membres survivants. Son administration fut sage et respectée. Il avait l'entière disposition du bien commun, dont il répartissait les fruits équitablement entre tous, en proportion des besoins de chacun. Les associés, de leur côté, se prêtaient de bonne grâce aux travaux qu'il leur distribuait, sûrs que le maître, qui les avait tous vus s'élever autour de lui et qui les avait toujours traités comme ses propres enfants, saurait mieux qu'eux ce qu'il était à propos de faire. En un mot, il régissait bien et tout était soumis sous lui. De son vivant, maître Niée choisit Etienne le Jault, dit le Petit-Tienne, frère de mon grand, qu'il menait partout avec lui et qui lui succéda. Sous l'administration de maître Petit-Tienne, tout continua comme par le passé : on n'allait que par les ordres du chef de la communauté."
"Mais, sous François, mon grand, qui mourut vers 1830, âgé de quatre-vingt-quatre ans, l'esprit d'insubordination se glissa dans la communauté : les jeunes gens devinrent fiers et n'écoutèrent plus les anciens, qu'ils voulurent mener; ce que voyant, le père François disait souvent :
"Cent diatres, mes enfants, vous verrez que vous ne prospérerez plus." De ce moment, et sous maître Claude, qui ferma la liste des Maîtres de la communauté, les choses allèrent de mal en pis : les devoirs religieux furent oubliés; les jeunes gens se mirent à jurer; ils ne voulurent plus travailler qu'à leur fantaisie pour le compte de la communauté, détournant tout ce qu'ils pouvaient, soit de travail, soit d'autres objets communs, au profit de leurs propriétés particulières, dont la règle leur interdisait cependant l'exploitation directe. Ils s'arrogèrent aussi le droit d'exiger des comptes et de surveiller la répartition des fruits. De là des défiances et souvent des querelles. Dès lors, les jours de calme et de bonheur que la communauté avait accomplis disparurent sans retour !"

C'est pourquoi, sans attendre la décision définitive à intervenir sur l'instance pendante devant la cour de Bourges, et pour éviter les complications et dépenses que l'on préjugeait devoir être en pure perte, en ce sens qu'elles ne feraient que retarder une issue désormais fatale, la dissolution de la communauté fut résolue ; en même temps, pour se soustraire aux frais redoutables d'une procédure judiciaire, les parties intéressées se décidèrent pour une liquidation amiable par voie d'arbitrage.

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1846 - Le déserteur

Article du journal L'Atelier de février 1846
Le journal L'Atelier est fondé en septembre 1840 par le socialiste utopique et socialiste chrétien Philippe Buchez (1796-1865). Il est rédigé par des ouvriers. Il se qualifie lui-même d'"Organe des intérêts moraux et matériels des ouvriers", puis "organe spécial de la classe laborieuse". Il fait partie des grands ancêtres de la presse socialiste sous la monarchie de juillet.

LA COMMUNAUTÉ DES JAULT.
En vérité, les communistes ont bien autre chose à faire que de s'occuper de la réalisation de leurs théories, ou de la défense des institutions dans lesquelles on trouve plus ou moins l'idée de l'association ou de la communauté. Il est bien plus urgent de s'adresser entre soi de gros mots, et de considérer comme les ennemis et les concurrents les plus redoutables ceux qui, partant du même principe, ne sont pas d'accord ensemble sur les détails.
Aussi, que peuvent faire aux communistes les tentatives incessantes de la magistrature contre les vestiges d'association et de solidarité qui subsistent encore en France? En quoi les concerneraient ces ventes, ces aliénations de plus en plus croissantes des biens communaux, ces procès dans lesquels on prononce la dissolution d'antiques communautés d'agriculteurs dont l'existence avait traversé sans encombre la période révolutionnaire, et qui sont venues périr sous l'influence délétère des sentiments cupides que la société actuelle sue par tous les pores ?

André Dupin
André Dupin (1783-1865)
Député de la Nièvre
Il est bon qu'on sache qu'il y a encore en France des associations de travail et de propriétés, avec des chefs élus et toujours obéis, avec un sentiment du devoir tellement enraciné chez ses membres que leurs réunions subsistent depuis cinquante ans, par leur seule volonté et sans qu'aucune loi leur vienne en aide, au contraire. Et l'une de ces institutions a, tout récemment, tant est puissante l'influence des grandes et belles choses, arraché des éloges à M. Dupin, à l'homme du chacune pour soi. C'est par lui que le public a connu l'existence de la communauté des Jault, dans le département de la Nièvre c'est par lui que tout ce qui est honnête et tout ce qui se préoccupe de l'avenir, faisait des voeux pour la continuation et l'agrandissement d'une institution si utile et si féconde.
Or, il est arrivé dernièrement, et ce ne sont pas les communistes qui nous l'ont appris (ils ont l'esprit ailleurs), qu'un membre de la communauté des Jault, séduit par les enivrements de la vie des cités, s'est fait valet de grande maison. Corrompu par les enseignements du jour, par les exemples pernicieux, ébloui par la livrée des domestiques d'un château voisin (celui de M. Dupin peut-être), et ne voyant pas le collier de misère et de dégradation sous ces oripeaux rouges et bleus il a quitté le toit de ses ancêtres, abandonné le noble instrument du travail agricole pour la fonction d'abaisser le marchepied de la voiture ou-de porter l'épagneul de madame. Ce premier pas fait, la pente était rapide ses nouveaux camarades, instruits par lui des coutumes de sa communauté, l'ont sans doute raillé et considéré comme une bête curieuse. Et nous ne serions pas étonné qu'un avocat de l'opposition lui eût, moyennant finance bien entendu, fait comprendre que nos codes ne reconnaissent pas d'associations indivisibles, et qu'il était un grand imbécile de ne pas réclamer sa part des fonds accumulés avec tant de peine et tant de dévouement par ses devanciers.
C'est une bien belle chose que la justice. Elle a reconnu, sur la demande de l'enfant ingrat, qu'il avait droit à la part de ce trésor jusque-là si sacré pour tous; qu'il n'y avait pour lui aucune obligation de nourrir, comme il le faisait autrefois, la veuve, le vieillard, l'orphelin. Il a entendu tout cela en ouvrant de grands yeux; il a bien eu un peu honte, puis les instincts mauvais ont repris le dessus, et il a demandé le partage.
Et aujourd'hui la communauté des Jault compte un déserteur, et aujourd'hui ces braves gens craignent à chaque instant de nouvelles défections car l'exemple est donné et il est funeste.
Les communistes auront-ils le temps de comprendre qu'ils doivent faire tous leurs efforts pour faire consacrer par la loi ce précieux germe d'association qu'on veut faire périr? et que, si quelqu'un a le devoir de combattre cette spoliation légale, ce sont eux, car les principes qu'ils invoquent sont ouvertement et manifestement méconnus en cette circonstance. Quant à nous, qui sommes partisans de l'association dans le travail, et même de la communauté telle qu'elle est réalisée dans la famille des Jault, nous devions signaler aux nôtres ces déplorables tendances à l'individualisme que la loi autorise et encourage. Nous reviendrons, dans un prochain numéro, sur tout ce que nous avons appris au sujet de la situation actuelle des associations agricoles en France, et nous en ferons ressortir la conséquence qu'il y a urgence, pour nous, peuple, à nous opposer de toutes nos forces à cette déplorable croisade des partisans du chacun pour soi, contre des institutions du passé,qui n'ont survécu que parce qu'elles ont encore leur raison d'être, leur bonté et leur utilité au point de vue social, raison pour laquelle certaines gens leur ont voué une guerre à outrance.

* * * * *

3 mars 1847

En mars, avril, mai et juin 1847, différents actes furent dressés dans lesquels intervinrent tous les ayants droit et où était expressément manifestée "la volonté des communs de faire cesser l'existence de l'ancienne communauté qui avait assuré si longtemps la prospérité de leurs aïeux, mais qui semblait inconciliable avec la législation et surtout avec les moeurs nouvelles, et d'en opérer la liquidation par les voies amiables".
En conséquence de quoi, lesdits actes conféraient à trois arbitres amiables compositeurs "la mission de consulter les titres, documents, traditions écrites ou non, qui établissent la propriété des biens, comme aussi les anciennes coutumes qui ont, pendant le temps de sa durée, régi la communauté, et qui ont fait la loi et les conditions légales de l'association; partir de ce principe pour rechercher quels étaient les anciens propriétaires au moment où la nouvelle législation a pu apporter des modifications dans l'existence de la communauté et dans la transmission des biens qui là composent; par suite, admettre ou rejeter les demandes des prétendants, fixer, liquider et établir les droits de chaque associé ou prétendant, faire l'estimation de tous les biens, composer les lots, en faire l'attribution suivant la liquidation, et dans la proportion des droits de chacun." Il était en outre stipulé que les arbitres se considéreraient comme amiables compositeurs dispensés de suivre les règles du droit, leur décision devant être inattaquable par quelque voie que ce pût être.
La tâche était ardue et délicate ; elle fut conférée à trois hommes compétents et universellement estimés dans le pays : M. Lallier, ancien notaire de la communauté, ancien maire, et, dans le moment, juge de paix et conseiller général de Saint-Saulge ; M. Cornu, propriétaire à Bazolles, décédé en 1889 après avoir été maire de sa commune depuis 1814 sans interruption; M. Archambault, conseiller général de Prémery.
Le travail des arbitres portait logiquement sur trois points :
- 1° Fixation des droits respectifs des intéressés;
- 2° Etablissement, en actif et passif, de l'avoir commun ;
- 3° Constitution et attribution des lots dans la proportion arrêtée en principe dans la première partie des opérations.

Le premier point fut traité avec une appréciation très sagace et une connaissance très approfondie de l'origine et du caractère légal de la communauté; en l'absence de toute charte constitutive, il fallut dépouiller les actes privés, particulièrement les contrats de mariage, dont certaines clauses rappelaient les règles traditionnelles sur lesquelles l'association vivait depuis l'époque indéterminée de sa fondation ; puis la tradition orale fut interrogée pour coordonner et compléter ces éléments épars d'information. D'après ces données, il fut décidé et prononcé par le tribunal arbitral, le 3 juin 1847:

Que l'ancienne communauté coutumière des Jault avait cessé d'exister le 3 mars 1847 ;
Que jusqu'alors aucun de ses membres n'avait eu sur la propriété des biens de cette communauté un droit indivis transmissible ;
Que la dissolution opérée par la volonté des parties, à cette date du 3 mars 1847, avait eu pour effet d'ouvrir un droit de copropriété indivise, et une action en partage au profit de chaque chef de famille collaborant à cette époque ou représentant d'autres collaborateurs; - (parce que la communauté ayant été essentiellement une association de travail, il fallait admettre, comme conséquence de ce principe fondamental, que son actif devait profiter seulement à ceux de ses membres qui l'ont fécondé et augmenté par leur collaboration.)
Mais que le droit de chaque chef de famille devait être augmenté, comme charge commune :
- 1° d'une indemnité pour tous les hommes majeurs, le chef de famille compris, de 2,415 francs;
- 2° d'une indemnité au profit de chacun de ses enfants ayant moins de vingt et un ans, laquelle indemnité devait être calculée sur le taux de 115 francs par chaque année de son âge, et qu'au moyen d'une attribution contenant ces indemnités, chaque père de famille ferait compte à ses enfants des parts qui les concernent; - (parce que, le dividende de chacun dans la chose commune devant être en raison, soit du travail qu'il a pu fournir ou qui a pu être fourni par les siens, soit des avantages que l'état de société devait lui produire, il était juste de reconnaître aux enfants un droit proportionnel à leur âge, et par conséquent aux services qu'ils pouvaient rendre, ainsi qu'à l'expectative des avantages qui leur étaient promis; que la dissolution enlevait en effet : aux fils l'avantage d'être admis aux bénéfices de l'association pour eux et leur famille, et aux filles l'apanage qu'elles auraient retiré en se mariant; que, eu égard aux chances de vie ou de mort, et autres éventualités attachées à cet émolument, il était rationnel de graduer sur l'âge des parties prenantes l'indemnité qui devait désormais le représenter et de grever la part de chaque chef de famille du dividende revenant à ses enfants et constituant une dette de la communauté) ;
- 3° d'une valeur de 200 fr., restituable à chacune des femmes mariées qui avait apporté cette somme lors de son entrée dans la communauté, mais en observant que cette allocation ne pouvait profiter qu'aux femmes actuellement existantes, l'apport de celles qui étaient décédées étant définitivement acquis à la communauté conformément aux anciens statuts; - (cette dernière attribution était faite toujours par application des principes constitutifs de la communauté, à savoir : que les femmes des communs ne pouvaient être considérées comme communistes, que l'apport ou versement qu'elles faisaient d'une somme de 200 fr. dans la caisse commune leur donnait droit aux avantages de l'association mais ne les constituait pas copropriétaires de la chose sociale, qu'enfin la société cessant d'exister, et les avantages de l'association disparaissant avec elle, il était juste de leur rendre la prime qu'elles avaient apportée).
Que les femmes mariées hors de la communauté demeuraient forcloses au moyen de l'apanage de 1,350 francs par elles reçu lors de leur mariage et d'un supplément de 1,650 francs qui leur serait alloué; - (il résultait en effet des anciennes règles constamment observées que les filles mariées en dehors de la communauté avaient reçu un apanage de 1,350 francs qu'elles avaient pu faire fructifier à leur singulier profit, et moyennant lequel elles étaient devenues étrangères à l'association pour laquelle elles ne travaillaient plus ; que le maintien de l'ancien statut les excluait à plus forte raison du droit de prendre dans le partage un dividende égal à celui des enfants qui avaient continué de travailler à l'accroissement de la chose sociale et qui n'avaient rien reçu; que toutefois cet apanage ayant été fourni sur les fruits et eu égard à leur importance, alors que la dissolution n'était pas prévue, il y avait lieu d'admettre qu'il eût été plus considérable s'il eût été calculé sur l'importance du fonds ; et qu'en présence de la dissolution qui soumettait le fonds lui-même à une liquidation définitive, il était équitable d'ajouter un supplément à l'apanage donné).
Enfin, une mesure spéciale était prise au profit des héritiers de cet Etienne Le Jault dont il a été parlé précédemment et qui se trouvait le seul mâle qui se fût retiré de la communauté. En l'absence de tout précédent, ce membre séparatiste avait été traité comme une fille apanagée, c'est-à-dire pourvu d'une allocation de 1,350 francs; mais il paraissait bien certain que si la dissolution eût été prévue, ce n'est plus un apanage perceptible sur les fruits, mais bien un dividende calculé sur le fonds lui-même qu'aurait pu revendiquer Etienne Le Jault; aussi les arbitres lui attribuèrent-ils une somme; de 6,000 francs qui, diminués des 1,350 francs touchés par lui, laissait une disponibilité de 4,650 francs pour ses héritiers.

Ces bases une fois posées, avec un esprit d'équité dont on a pu apprécier le scrupule, le tribunal arbitral s'ajourna au 5 du même mois de juin 1847 pour dresser l'état généalogique des membres de l'association au 3 mars précédent, date de la dissolution. La communauté se composait alors de sept chefs de famille, sept autres hommes majeurs, neuf femmes mariées, douze garçons mineurs et cinq filles aussi mineures, en tout quarante individus. A ce propos, recueillons la tradition, encore très tenace aujourd'hui, d'après laquelle jamais plus de quarante membres n'auraient existé dans la communauté : lorsque le quarante et unième venait à naître, un décès ne manquait jamais de se produire dans l'année.
Les arbitres procédèrent ensuite au dénombrement des femmes mariées soit dans l'intérieur, soit au dehors de la communauté et dont l'apanage de 1,350 francs déjà touché par elles devait être augmenté d'un supplément de 1,650 francs; il y en avait vingt-huit.
Puis ils établirent la situation financière de l'association. L'actif, en bâtiments; terres, prés, pâtures, vignes et bois, ressortit à un total de 250,338 francs ; dans cette somme n'était pas comprise la valeur du mobilier, du bétail et d'une grande quantité d'arbres de haute futaie, d'une importance considérable, réservés pour le règlement des frais d'expertise, d'arbitrage et d'expédition d'actes de toute nature nécessités par la liquidation.
Le 7 juin, le tribunal arbitral reçut les comptes et gestion de l'ancien maître de la communauté et des administrateurs provisoires nommés pour gérer la chose commune depuis la date fixée pour l'ouverture de la liquidation jusqu'à la fin des opérations. Enfin le 9, les droits revenant à chacun furent rappelés conformément à la décision exposée ci-dessus, les lots furent composés et attribués ; en même temps furent arrêtées les dispositions générales de nature à prévenir toute difficulté de détail entre les copartageants.
La minute de la sentence arbitrale, ainsi complétée par opérations successives, fut déposée au greffe du tribunal civil de Nevers, le 10 juin 1847, et le 28 du même mois, le président de ce siège rendit en chambre du conseil une ordonnance qui revêtait le jugement de la forme exécutoire.


Légende qui conte la fin de la communauté

En 1847, une bourrasque d'idées dites "nouvelles" déferla sur la contrée. Le petit état dans l'État s'ébranla. Certains voulurent partir... Il fallut partager les biens...
Le 2 février, tandis qu'un nuage de tristesse planait au-dessus des têtes blanches aux cheveux longs et à la barbe épaisse, tandis que les vieilles cachaient avec peine les larmes qui venaient encore sous les dentelles frémissantes de leurs bonnets, et que l'on s'apprêtait à prier avec plus de ferveur que d'habitude la Vierge Mère, une couleuvre sortit de la cheminée.
L'un des jeunes saisit une pincette pour estourbir le reptile.... le maître arrêta son geste. Le serpent, prudent, fit le tour du groupe et vint s'enrouler devant le maître. La prière terminée, nul ne bougea.
Le maître alors, du bout de sa canne, toucha la bête ; elle n'esquissa aucun mouvement ; il se pencha, elle ne remuait plus ; il releva la tête, regarda de son regard profond, les épouses, les enfants, les hommes et il dit :

"Notre communauté est morte - la Vierge nous envoie un signe - ; nous nous séparerons désormais, mais essayons de continuer à nous aimer."

Le 28 juin, La Grosse Communauté des Jaults fut dissoute.



Sources

Manuel élémentaire d'histoire du droit français, à l'usage des étudiants en droit de première année - René Foignet - 1915
Fermiers à communauté taisible du nivernais en Saône-Et-Loire France - D'après les renseignements recueillis sur les lieux en octobre 1860 - Victor de Cheverry - Avocat
Excursion dans la Nièvre - André, Marie, Jean-Jacques DUPIN - 1840
Société internationale de science sociale. La Réforme sociale (Paris). 1881-1930. - La communauté des Jault - Albert Maron
L'alimentation des communautés familiales agricoles du centre de la France au XIXe siècle - Mme Henriette DUSSOURD
Extrait des mémoires d'Isaïe Bonfils - Propriétaire-agriculteur au Hameau de Chauvetière, paroisse de Fléty et de Tazilly - 1700 à 1740 - Lucien Gueneau
Les dissolutions de communautés familiales agricoles dans le centre de la France depuis le XVIIIe siècle jusqu'au Code civil - Mme Henriette DUSSOURD
La communauté des Jault - Etude parue dans L'Humanité les 24, 25, 27 et 29 août 1922. Fait à la communauté des Jault, par Saint-Benin-des-Bois (Nièvre), le 15 juillet 1922 - Un descendant de la communauté des Jault : A. Lejaut
Les Jaults - Communauté et Hospitalité - Eliane Fleury - Le Margotin - Juin-Juillet-Août 1980